Des mois de suspense, de rumeurs et de démentis… Et finalement, le dénouement le 30 janvier. Réunis à Addis-Abeba pour le 18e sommet de l’UA, les chefs d’État du continent doivent y élire le futur président de la Commission. Ce sera le Gabonais Jean Ping (sortant) ou la candidate sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma.
Première surprise, les deux candidats à la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA) font deux campagnes très différentes. Jean Ping, le sortant, a sillonné le continent à bord d’un jet mis à sa disposition par son pays, le Gabon. Le 15 janvier, il était à un sommet régional à N’Djamena (où le Tchadien Déby Itno et le Centrafricain Bozizé l’ont assuré de leur soutien), et le lendemain à Tripoli, où il a reçu un bon accueil, malgré les lourds malentendus passés. Le diplomate gabonais se dit « très confiant » dans sa réélection lors du sommet des 29 et 30 janvier. Nkosazana Dlamini-Zuma, la ministre sud-africaine de l’Intérieur, est tout aussi « confiante », mais se fait discrète. Un diplomate de son pays : « Elle sait qu’il faut que l’Afrique du Sud gagne ce poste, et elle est d’accord sur le fait qu’elle est la mieux placée pour cela »… On a vu plus motivé ! Le 18 janvier, lors d’une conférence de presse à Bela Bela, au nord de Pretoria, elle a laissé la plupart du temps la parole à sa collègue des Affaires étrangères, Maite Nkoana-Mashabane.
18e sommet de l’UA : ils en parleront aussi…
Des raisons de l’échec de l’Union africaine (UA), l’an dernier, en Libye. Pourquoi le plan de paix de l’UA a-t-il été « complètement ignoré » par les grandes puissances, comme dit le Sud-Africain Jacob Zuma ? Réunis à partir du 29 janvier à Addis-Abeba, les chefs d’État vont tenter de tirer les leçons de cette « humiliation » – le mot est de Jean Ping, l’actuel président de la Commission de l’UA. « L’Afrique a été humiliée, marginalisée. Mais elle est restée debout, ferme sur un certain nombre de principes. Elle n’a pas accepté qu’on vienne s’attaquer à un de ses membres, quelles que soient les raisons. Nous avons refusé l’utilisation de la force aveugle » (Le Quorum, février 2012).
Des questions de sécurité postconflit, après le pillage des arsenaux du colonel Kaddafi et la dissémination des armes de guerre dans tous les pays voisins de la Libye (Soudan, Tchad, Niger, Algérie… jusqu’au Mali et en Mauritanie).
Du suivi des conflits en cours : la lutte contre les Shebab de Somalie, où l’UA a déployé une force militaire, l’Amisom, avec plusieurs milliers de soldats burundais et ougandais ; la traque de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) aux confins de l’Ouganda, du Soudan du Sud, de la RD Congo et de la Centrafrique.
De la politique de soutien au commerce intra-africain, qui ne représente que 10 % du commerce en Afrique, grâce au développement des infrastructures (routes, chemins de fer) et à la création de compagnies régionales aériennes et maritimes.
De la lutte contre la sécheresse dans la Corne de l’Afrique. Pour la première fois, en 2011, l’UA a organisé une collecte de fonds auprès des Africains. Elle a réussi à mobiliser 350 millions de dollars pour les victimes de la sécheresse.
De l’éternel problème du trou financier de l’UA, à cause des États qui ne versent pas leur cotisation annuelle à l’organisation. Avant même la chute du colonel Kaddafi, la Libye faisait partie des mauvais payeurs – une première ! Lors de sa récente visite à Tripoli, Jean Ping aurait obtenu de la part des nouvelles autorités libyennes la promesse qu’elles s’acquitteraient des années 2010 et 2011. Les comptables de l’UA doivent regretter le « bon temps » où le colonel Kaddafi payait les arriérés des autres pays du continent.
Est-ce le signe que le diplomate gabonais a déjà gagné ? Pas si simple. En fait, les deux candidats revendiquent deux postures. Conformément à la tradition de l’UA, Jean Ping présente une candidature individuelle. Certes, le Gabon soutient sa démarche – « à 100 % », précise un ministre à Libreville -, mais Ping mène sa propre politique. La preuve : le 25 mai 2011, à Addis-Abeba, le Gabon a soutenu l’action militaire de l’Otan en Libye, alors que Ping s’est prononcé contre. Dlamini-Zuma, elle, présente la candidature de l’Afrique du Sud, et ne s’en cache pas. Le 12 janvier, quand le président Zuma est allé au Conseil de sécurité, à New York, pour critiquer durement les frappes de l’Otan en Libye, elle était à côté de son ex-mari.
La crise de l’UA ? Sur le diagnostic, Ping et les Sud-Africains sont d’accord. Jean Ping : « L’année 2011 a été terrible. Je crois que nous ne pouvions pas connaître pire. L’Afrique a été humiliée, marginalisée » (Le Quorum, février 2012). Jacob Zuma : « Pendant la crise libyenne, le plan de paix de l’UA a été complètement ignoré » (Conseil de sécurité, janvier 2012). En revanche, sur les solutions, ils ne sont pas sur la même longueur d’onde. Ping défend son bilan : « Nous avons eu le mérite de ne pas abandonner le navire Afrique et de le ramener à bon port. » Dlamini-Zuma : « Après douze ans d’existence, il est temps que l’UA se renforce. »
Logiquement, le sortant joue donc la continuité. Un ministre des Affaires étrangères d’Afrique de l’Ouest explique que « pendant la crise libyenne, Ping a été à la hauteur. Quand son pays a pris position pour l’Otan, il a même été courageux ». Tandis que sa rivale joue la rupture. Un haut fonctionnaire ouest-africain de l’ONU se dit « sûr que Dlamini-Zuma sera la représentante de son pays, mais, face aux Occidentaux, mieux vaut avoir une forte personnalité qu’un quidam ».
Le volonté hégémonique de Jacob Zuma
Le choc des bombardements de l’Otan en Libye va-t-il bousculer les traditions de la maison UA ? Tout est là. Jean Ping espère sans doute que la candidature de l’Afrique du Sud va effrayer tous les chefs d’État qui prêtent à Jacob Zuma une volonté hégémonique. « À l’UA, il y a une loi non écrite qui veut que les grands pays ne président pas la Commission, souligne notre ministre ouest-africain. Le Nigeria, l’Algérie et l’Égypte respectent cette règle. Pourquoi les Sud-Africains veulent-ils y déroger ? Ce n’est pas bien. Ils peuvent exercer leur influence autrement. »
Au contraire, Nkosazana Dlamini-Zuma fait le pari que les Africains, ulcérés par l’action de l’Otan sur leur continent, sont prêts à confier le leadership de l’UA à son pays. « C’est vrai que l’Union africaine a beaucoup souffert l’an dernier, confie un diplomate d’Afrique francophone. On a été assommés et on ne s’en remet pas. » Un conseiller du président sud-africain, Welile Nhlapo, se défend de toute prétention hégémonique : « On nous accuse d’être à la fois trop puissants et trop timides, comme sur le Zimbabwe. »
A Addis, qui va voter pour qui ? Un ex-ministre ouest-africain des Affaires étrangères confie : « À part la RDC, le camp francophone est uni derrière Ping. Cela fait 22 voix assurées pour lui. Plusieurs poids lourds du camp anglophone, comme le Nigeria, le Ghana et le Kenya, sont prêts aussi à voter Ping. Celui-ci peut donc atteindre la majorité des deux tiers, qui est de 36 voix. »
Réplique du ministre adjoint à la Présidence sud-africaine, Obed Bapela, le 18 juin, à Bela Bela : « Après avoir parlé à certains dirigeants d’Afrique de l’Ouest, je peux dire qu’il y en a qui soutiennent notre candidate. C’est pourquoi, en décembre, au sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cedeao] qui devait discuter de la question, ils n’ont pas pu se mettre d’accord. » Sa collègue des Affaires étrangères refuse d’ailleurs de distinguer les pays selon leur langue : « Quand nous agissons avec les pays, nous ne pensons pas à leur ancienne puissance coloniale. » Sous-entendu : « Que la France s’occupe de ses affaires. »
Régions d’origine
Un conseiller de la ministre ajoute confidentiellement : « Nous avons conscience que les pays francophones ne peuvent pas dire non à la France. Donc, nous leur disons de soutenir officiellement Ping tout en sachant qu’ils voteront pour nous le jour venu. » La France derrière Ping ? « C’est ridicule, rétorque un haut fonctionnaire à Paris. L’UA, c’est l’affaire des Africains. Et nous savons bien que, si la France soutenait un candidat, quel qu’il soit, il serait sûr d’être battu ! »
Pour gagner, chaque candidat compte d’abord sur sa région d’origine. Le 15 janvier, à N’Djamena, Jean Ping a reçu le soutien officiel de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac). De bonne source, le Gabonais pourrait compter en effet sur les voix de ses trois voisins, Teodoro Obiang Nguema, Paul Biya et Denis Sassou Nguesso. De son côté, Nkosazana Dlamini-Zuma peut s’appuyer sur les dirigeants de la Communauté de développement de l’Afrique australe, la SADC. Les voix de Robert Mugabe et de José Eduardo dos Santos – proche de Jacob Zuma – lui semblent acquises. « Après le soutien ostensible de Zuma à la réélection de Kabila, ce dernier ne peut rien lui refuser », ajoutent plusieurs diplomates avertis.
Restent les trois autres blocs régionaux. En Afrique de l’Est, on dit le Kenya pro-Ping, pour conserver le poste de vice-président de la Commission, et l’Ouganda pro- Dlamini-Zuma, au nom de l’axe Kampala-Pretoria. L’Éthiopie se bat bec et ongles pour que le siège de l’UA ne quitte pas Addis. Avec Ping, aucun risque. Avec les Sud-Africains ?… Le Soudan est reconnaissant à Ping d’avoir protégé le président El-Béchir contre le procureur de la Cour pénale internationale.
Les deux adversaires le savent… c’est en Afrique de l’Ouest que tout va se jouer.
En Afrique du Nord, les ex-rebelles libyens ont peut-être moins de griefs contre Ping que contre Zuma. Le régime algérien semble s’être décidé à voter Ping pour s’assurer de la reconduction de Ramtane Lamamra au poste stratégique de commissaire à la Paix et à la Sécurité. En revanche, la Mauritanie n’exclut pas de voter Dlamini-Zuma.
Les deux adversaires le savent… c’est en Afrique de l’Ouest que tout va se jouer. D’après nos informations, le Nigeria – en compétition avec l’Afrique du Sud pour une place de membre permanent au Conseil de sécurité -, le Niger et la Côte d’Ivoire sont favorables à Ping. Dans les autres pays francophones, le Gabonais part aussi avec une longueur d’avance. Mais attention. Depuis sa visite d’État à Cotonou, le mois dernier, Jacob Zuma est dans les meilleurs termes avec Boni Yayi. Le président sud-africain espère aussi gagner le vote du Guinéen Alpha Condé. Et celui-ci semble très hésitant. Qui choisir de Ping, son vieil ami du temps de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf) ou de la candidate de son nouvel ami ? Cornélien…
De l’aveu d’un ministre gabonais, le vote de cette année sera « plus serré » que celui de 2008, où Ping avait été élu au premier tour. Pronostic d’un expert : « Le vote étant secret, les trahisons seront nombreuses. »
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Par Christophe Boisbouvier avec Pierre Boisselet et Anne Kappès-Grangé