Ils sont les fers de lance de l’opposition à Abdoulaye Wade, mais ont peu d’espoir sur leur avenir et celui du pays…
De notre envoyée spéciale à Dakar
Un site merveilleux, à première vue. Le campus de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar n’est qu’à quelques encablures de la mer. Et même en plein mois de février, le soleil est là et la température douce. Mais à y regarder de plus près, le rêve a vite fait de prendre des allures de misère. Ici, 70 000 étudiants viennent quotidiennement fréquenter les bancs d’une faculté, qui devrait accueillir sept fois moins de monde.
Les résidences sont miséreuses : murs lépreux, sanitaires vétustes, dortoirs surpeuplés. Les étudiants de Dakar ont le paysage, mais peu de moyens.
Les tags ont envahi les murs de la fac
Résultat, ces dernières semaines, ils comptaient parmi les fers de lance des manifestations contre Abdoulaye Wade et son projet de briguer un troisième mandat. De tous côtés, les jeunes disent leur colère.
«On ne peut pas prêcher la paix avec un couteau entre les dents», s’agace Awa Sow, étudiante en géographie, pour dénoncer les prises de position d’Abdoulaye Wade, qui, hier encore appelait au calme.
Les murs de la fac sont devenus un nouveau forum: Les tags ont fleuri partout, tracts électoraux indélébiles et marques de ces semaines d’affrontements politiques qui pourraient bien changer le cours de ce pays épargné jusqu’alors par les troubles politiques.
«Wade a beaucoup investi dans l’éducation»
La jeunesse sénégalaise est en colère. «C’est quoi ça? Un déjeuner, vraiment?», demande Moagatte Gaye, un étudiant d’anglais originaire de Saint-Louis, en montrant un bout de pain et un morceau de fromage glanés au restaurant universitaire.
Tous racontent les amphithéâtres bondés, le matériel manquant… jusqu’à l’absence de professeurs! Car, aujourd’hui, ce sont les enseignants qui sont en grève, sans cesse renouvelée depuis trois mois. Gréviste, le professeur Ibrahima Ndaye, reconnaît tout de même les efforts fournis par le gouvernement d’Abdoulaye Wade, en matière d’Education, ces dernières années: «Les étudiants ne paient que 5000 CFA [10euros environ] l’année pour les deux premiers cycles et nombre d’entre eux sont boursiers. Wade a mis beaucoup de moyens dans l’éducation».
«On ne peut plus voler les élections»
Ce n’est pas assez, dénonce la jeunesse sénégalaise, qui, elle, doit ensuite faire face au chômage, à un marché de l’emploi régi par les pistons et aux jobs sous-payés. En 2000, pourtant, elle était de celle qui avait «Le vieux», comme elle l’appelle maintenant, au pouvoir.
Et maintenant ? C’est fini! «Il n’aura pas ma voix, promet Ousseynou Gueye. Et il ne sera pas réélu», croit-il aussi savoir. «On ne peut plus voler les élections», affirme de son côté Ibrahima Ndaye, le professeur. Un premier tour sans encombre, cela peut-il suffire à panser les divisions ? Pas sûr. Le soupçon de fraude, déjà, semble s’être installé. «On n’en est pas à notre premier mort [mardi, un étudiant est décédé à l’issue de la manifestation]», prédit tristement Awa Sow.
Armelle Le Goff, envoyée spécial au Sénégal