Depuis fin janvier 2011, la réforme des documents de transport est inactuelle. Les nouvelles autorités des Transports avaient alors brutalement suspendu les activités de la Sogadotra et repris, en interne, le processus des cartes grises. Près d’un an après cette décision, quel bilan peut-on tirer? Gabon Matin a interrogé les usagers et les parties prenantes à cette réforme pour comprendre.
Du côté des usagers, une grogne sourde est perceptible. Ils expliquent qu’en décembre 2010, avant que la Sogadotra ne commence ses opérations, les documents de transport étaient de simples morceaux de carton aussi faciles à fabriquer qu’à falsifier. Aussi le ministère des Transports n’enregistrait-il rien du fait que les documents étaient vendus dans les quartiers, en témoignent les différents scandales qui ont émaillé la direction générale des transports terrestres. Comment le ministère pouvait-il avoir la moindre lisibilité du nombre de permis ou de cartes grises dans le pays ? C’était scandaleux mais, l’évolution faisant son bonhomme de chemin, une réforme était nécessaire. Aussi, dans le cadre de la réforme, les autorités ont-elles voulu impulser un vent de modernité en choisissant un opérateur incontesté, adossé au leader mondial de la sécurité numérique. Pour beaucoup, elles avaient choisi indubitablement la voie de la tranquillité. En recourant à une concession, les autorités du ministère des transports avaient permis à l’Etat de faire des économies en termes de coûts d’investissements, entièrement supportés par la Sogadotra concessionnaire.
Une amélioration considérable était fort observable. D’une part, le support des cartes grises et des permis de conduire avait été modernisé (c’est une carte sécurisée, conforme aux standards internationaux notamment dans la Cemac) mais mieux encore, un fichier a été constitué pour la première fois au Gabon ainsi qu’une base de données. C’est un grand pas en avant que l’Etat avait ainsi marqué. Et, comme l’avait souhaité l’autorité qui avait inspiré la réforme, le coût des documents de transports pour les usagers devait rester inchangé. L’usager et l’Etat étaient donc gagnants comme le souhaite le président de la République avec la notion de partenariat gagnant-gagnant. La réforme était exemplaire et participative de la politique de l’Emergence : l’Etat ne payait rien, les usagers ne payaient pas plus, et la modernité entrait par la grande porte dans ce secteur. Les changements intervenus au niveau des autorités du ministère des Transports ont bouleversé beaucoup de choses. S’il est normal que ceux qui désormais vont présider à la destinée d’un département ministériel fassent l’état des lieux, il n’en demeure pas moins que les avancées devraient faire l’objet d’un suivi particulier. Ainsi, la décision prise le 28 janvier 2011 de tout suspendre aurait dû permettre aux nouvelles autorités de se rendre compte que les méthodes d’avant-guerre avaient été mises de côté. Mais depuis cette date, les choses ne bougent plus si ce n’est, quand mouvement il y a, à pas de tortue ou d’escargot. Il est effarant de constater l’option du retour aux calandes grecques affichée par les autorités actuelles en délivrant de vulgaires morceaux de papier encore moins sécurisés que ce qui se faisait avant la réforme. Les services du ministère n’assurent aucun suivi de ces délivrances et aucun fichier digne de ce nom n’est constitué. Et les usagers continuent de payer 35.000 francs CFA pour une contrepartie qui n’a rien à voir avec ce qui avait été promis (non seulement le support est indigent, mais le service n’est pas mieux : retards, erreurs, pertes de dossiers, etc.). Le ministère ne semble pas se plaindre. Les 35.000 francs CFA sont royalement encaissés pour l’émission d’un bout de papier dont la confection ne coûte certainement pas plus de 500 francs CFA- sans compter que les recettes ainsi collectées vont dans des poches que le Trésor Public, selon nos sources, n’a pas encore réussi à identifier… Il est bien certain que le, ou les bénéficiaires, auront un jour à rendre des comptes sur ces circuits financiers. Une chose est sûre, la politique de l’émergence semble être mise à mal.
Le pire est cependant à venir, dans la mesure où cette annulation brutale de la réforme pourrait coûter bien cher au Gouvernement. D’après nos investigations, la Sogadotra de son côté ne comprend rien. Une manœuvre savamment orchestrée semble en marche pour boycotter leur contrat sur la modernisation de ces documents administratifs ? Des soupçons fusent de partout et la grande question reste pourquoi les autorités du ministère jouent-elles les prolongations en s’essuyant les pieds sur les délais contenus dans la loi ? Après des mois passés à tenter une négociation de conciliation que les autorités du ministère concerné n’avaient visiblement pas souhaité, la Sogadotra aurait saisi la Dgpm, qui devait répondre avant le 11 novembre dernier. Passée cette date, la Sogadotra devait saisir les instances arbitrales de la Banque Mondiale (le fameux Cirdi). Or aujourd’hui c’est le 08 février et rien n’a bougé. A l’appui de sa demande, elle fournira un rapport évaluant son préjudice à près de 11 milliards de francs CFA. Une somme que le ministère des Transports aurait pu mettre à profit dans la numérisation, la sécurisation et partant la modernisation des documents aussi importants que les cartes grises et permis de conduire. Car il faut le dire, et les différents scandales souvent enregistrés au niveau de l’acquisition de ces documents le prouvent, il y a une véritable dégradation du service public, (de la carte sécurisée on revient sur papier avec coût inchangé, c’est indéniablement un grand pas mais, cette fois, en arrière), les vieilles habitudes ayant la peau dure.
Louis Edrille Moutsinga-Moundounga