Le 6 mars dernier, le ministre des Affaires étrangères chinois a, au cours d’une rencontre avec la presse chinoise et étrangère, dressé le bilan de la politique étrangère et les relations extérieures de son pays. La rencontre qui a eu pour cadre le Grand Palais du Peuple, s’est tenue en marge de la 5e session de la 11e Assemblée populaire nationale. Nous publions la première partie de cet entretien.
Gabon Matin : Monsieur le ministre, quel est le sentiment qui vous anime en vous retrouvant face aux journalistes chinois et étrangers ?
Yang Jiechi : C’est un grand plaisir pour moi de vous rencontrer ici. Le Premier ministre, Wen Jiabao, dans le rapport d’activités du gouvernement qu’il a présenté, a fait un exposé complet sur la politique étrangère et l’action diplomatique de la Chine. Et maintenant, je suis heureux de répondre à vos questions. Au cours des dix dernières années, la situation internationale a connu de grands changements et la diplomatie chinoise a résisté à de multiples épreuves l’une après l’autre.
Comment voyez-vous l’action diplomatique de la Chine de la dernière décennie ? Cette année, dans certains pays et régions se poursuivent encore des confrontations et conflits. A votre avis, comment la diplomatie chinoise pourra-t-elle répondre aux nouveaux défis ? Et comment envisagez-vous la diplomatie chinoise cette année ?
Je pense qu’il est d’une signification importante pour moi de commencer la conférence de presse d’aujourd’hui en passant en revue la diplomatie chinoise au cours des dix dernières années, car cela nous permet d’envisager l’avenir. Ces dix dernières années, en effet, ont vu le monde connaître de grands développements, de profonds changements et de vastes réajustements. C’est aussi une décennie où la Chine a déployé beaucoup d’efforts et récolté d’importants succès dans son action diplomatique. Sous la conduite du Comité central du Parti communiste chinois (PCC) ayant comme Secrétaire général le camarade Hu Jintao, nous avons, dans les affaires étrangères, travaillé fermement dans l’intérêt général, pour répondre de manière appropriée à l’instabilité. Nous avons ainsi ouvert de nouvelles perspectives, permettant de ce fait de créer un environnement extérieur favorable au développement socio-économique du pays.
Comment pouvez-vous, à votre avis, résumer l’action diplomatique de la Chine au cours de la dernière décennie ?
A mon avis, je pense que l’action diplomatique de la Chine au cours de la dernière décennie peut se résumer ainsi qu’il suit. Premièrement, il faut servir l’intérêt général. La souveraineté et la sécurité nationales représentent toujours la première priorité. La diplomatie chinoise a contribué activement au développement socio-économique du pays, en veillant dans le même temps à préserver vigoureusement les droits et intérêts légitimes des entreprises et des ressortissants chinois à l’étranger et à sauvegarder fermement la souveraineté, la sécurité et les intérêts du développement du pays. Deuxièmement, nous avons cherché la coopération. Nous avons renforcé, dans le cadre tant bilatéral que multilatéral, la coopération et les échanges politiques, économiques et culturels avec divers pays du monde, ainsi que les organisations internationales et régionales, ouvrant ainsi une nouvelle dimension de coopération gagnant-gagnant. Troisièmement, il nous a fallu promouvoir la réforme. Nous avons participé activement à la gouvernance mondiale et travaillé à faire évoluer le système et l’échiquier internationaux dans le plus grand intérêt des pays en développement, de façon à accroître la représentation et l’influence de la Chine et des autres pays en développement dans les affaires internationales. Quatrièmement, il fallait aussi façonner l’image du pays. Les visites à l’étranger de nos dirigeants et celles des dirigeants étrangers en Chine, ainsi que les plates-formes importantes que sont les Jeux Olympiques de Beijing et l’Exposition universelle de Shanghai de 2010 nous ont permis de développer activement la diplomatie publique et la diplomatie culturelle, de raffermir l’amitié entre le peuple chinois et les autres peuples du monde, et de montrer l’image d’une Chine hautement civilisée, démocratique, ouverte et qui progresse sans cesse. Cinquièmement, apporter une contribution au monde. Nous avons œuvré activement à préserver la paix mondiale et à promouvoir le développement commun. La Chine est, aujourd’hui, un acteur constructif de plus en plus important dans le règlement des problèmes ayant trait à l’actualité internationale et régionale. Notre pays est également un moteur important de la croissance mondiale. A l’heure actuelle, dans une situation internationale en mutation profonde et complexe, se dessine une tendance plus forte de la paix, du développement et de la coopération. Dans le même temps, les répercussions profondes de la crise financière internationale se font sentir et la reprise de l’économie mondiale s’avère lente. A cela s’ajoutent des problèmes qui se posent avec acuité. Je pense notamment au changement climatique, la sécurité énergétique et alimentaire. Tout cela aura des impacts profonds sur l’évolution de la situation internationale et l’action diplomatique de la Chine dans les années à venir.
Que comptez–vous faire cette année ?
Cette année, nous allons continuer à développer une diplomatie tous azimuts, dans tous les niveaux et dans de vastes domaines. Nous allons aussi sans cesse promouvoir l’innovation sur les plans théorique et pratique dans notre action diplomatique, tout en tenant compte de la situation interne et internationale, afin d’apporter une contribution active au succès du 18e Congrès du PCC et à la mise en œuvre sur tous les plans du 12e Plan quinquennal.
Quelles sont les priorités de vos actions diplomatiques ?
Les priorités de notre action diplomatique sont les suivantes : premièrement, servir le développement du pays. Nous allons axer nos efforts sur l’accélération de la transformation du mode de croissance et gérer adéquatement les différents risques et défis extérieurs pour nous offrir un environnement extérieur plus propice au développement socio-économique du pays. Deuxièmement, préserver la paix. Nous allons sauvegarder fermement la souveraineté et la sécurité nationales, promouvoir davantage le règlement des problèmes internationaux et régionaux, notamment des questions d’actualité brûlante, par la voie du dialogue, de consultations et de négociations, et jouer le rôle qui incombe à la Chine, à savoir un grand pays responsable. Troisièmement, promouvoir la coopération en renforçant davantage notre coopération d’amitié avec divers pays du monde, ainsi que les organisations internationales et régionales en vue d’approfondir les intérêts communs afin de relever ensemble les défis planétaires, de préserver la paix mondiale et de promouvoir le développement partagé.
Comment voyez-vous les récentes élections présidentielles en Russie ? Comment la Chine envisage-t-elle le partenariat de coordination stratégique sino-russe ? Par ailleurs, la Chine qui assume cette année la présidence tournante de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) sera le pays hôte du sommet de l’OCS dans le courant de l’année. Comment envisagez-vous ce sommet ? Et quelles sont vos attentes du développement de l’OCS ?
Les élections présidentielles se sont déroulées dans d’heureuses conditions en Russie le 4 mars dernier. Le président Hu Jintao a adressé un message de félicitations au président élu Vladimir Poutine. Nous espérons que le peuple russe remportera de plus grands succès dans la voie de la prospérité du pays et du redressement de la Nation. Le gouvernement chinois est déterminé à travailler de concert avec la Russie pour promouvoir le partenariat de coordination stratégique sino-russe et renforcer la coopération pragmatique entre les deux pays dans tous les domaines. Le développement des relations sino-russes en 2012 peut se résumer en une mission centrale et cinq priorités. La mission centrale est de mettre en œuvre sur tous les plans la planification pour le développement des relations sino-russes dans les dix ans à venir. Et les cinq priorités sont : premièrement, bien organiser les contacts et les échanges de visites de haut niveau ; deuxièmement, accroître le soutien mutuel sur le plan politique ; troisièmement, promouvoir davantage la coopération mutuellement avantageuse dans les domaines économique, commercial, énergétique, technico-scientifique, la décentralisation et les infrastructures ; quatrièmement, renforcer les échanges humains et culturels, et assurer en particulier le succès de l’Année touristique de la Russie en Chine et, cinquièmement, intensifier la coopération dans les affaires internationales et régionales. Nous sommes convaincus que grâce aux efforts conjugués de part et d’autre, le partenariat de coordination stratégique sino-russe donnera de bons résultats. Cette année marque l’« Année de bon voisinage » de l’OCS et aussi la première année de la deuxième décennie pour l’Organisation. La Chine présidera le Sommet de l’OCS cette année ayant pour thème « approfondir le bon voisinage et planifier le développement ultérieur de l’OCS ». Trois sujets seront inscrits à l’ordre du jour : premièrement, approfondir les différentes mesures de coopération dans le cadre de l’OCS et élaborer une stratégie de développement de l’OCS pour les dix ans à venir ; deuxièmement, planifier la coopération pragmatique de la prochaine étape et instaurer notamment un mécanisme de garantie de financement pour la coopération multilatérale ; troisièmement, procéder à un échange de vues sur la situation internationale et régionale en mettant l’accent sur l’amélioration des mesures adoptées par l’OCS pour mieux affronter les événements qui menacent la paix, la sécurité et la stabilité dans la région. Nous sommes convaincus que ce sommet, qui s’inscrira dans la continuité de l’OCS, permettra d’ouvrir de nouvelles perspectives pour le développement de l’Organisation. Pour ce qui est du développement ultérieur de l’OCS, les parties concernées vont œuvrer pour mieux valoriser les avantages de la proximité géographique, renforcer la coopération en matière de sécurité et de stabilité régionales et accroître l’inter connectivité et les échanges culturels dans le plus grand intérêt des peuples.
Est-ce que la Chine considère la réorientation stratégique des Etats-Unis vers l’Asie comme une menace ? Si c’est le cas, quelles sont les contre-mesures que la Chine prendra contre cette menace ? Par ailleurs, vu les divergences entre la Chine et les Etats-Unis sur l’Iran, la Syrie et d’autres dossiers, quelles sont les mesures que les deux pays doivent adopter pour approfondir leur confiance mutuelle ?
Je veux d’abord m’exprimer sur la relation sino-américaine dans son ensemble. Cette année marque le 40e anniversaire de la publication du Communiqué de Shanghai. Au cours des 40 dernières années, la relation sino-américaine n’a cessé de progresser malgré des hauts et des bas et la porte des échanges et de la coopération s’est de plus en plus ouverte. L’histoire des échanges entre la Chine et les Etats-Unis souligne clairement que la bonne entente leur est bénéfique tandis que l’affrontement leur est nuisible. Maintenir un développement sain et régulier de la relation sino-américaine relève de la responsabilité commune des deux pays, et correspond aux intérêts fondamentaux de la communauté internationale. A mon avis, malgré des divergences et des désaccords entre les deux pays, la relation sino-américaine va de l’avant. Le président Hu Jintao a effectué une visite d’Etat réussie aux Etats-Unis l’année dernière. Lors de cette visite, il a dégagé avec le président Barack Obama un important consensus sur la construction d’un partenariat sino-américain basé sur le respect mutuel et le bénéfice réciproque. Depuis, le président Hu Jintao et le Premier Ministre Wen Jiabao ont eu plusieurs rencontres importantes avec le Président Obama. Le mois dernier, le Vice-président Xi Jinping a effectué une visite réussie aux Etats-Unis, ce qui a permis de promouvoir davantage la construction du partenariat sino-américain. Nous estimons toujours qu’il faut traiter et gérer la relation entre la Chine et les Etats-Unis dans une perspective stratégique Dans le long terme et les deux parties doivent s’en tenir toujours aux principes énoncés dans les trois communiqués conjoints sino-américains et la déclaration conjointe sino-américaine, et respecter effectivement les intérêts vitaux et les préoccupations majeures de l’une et de l’autre partie. Les Etats-Unis doivent, en particulier, honorer leurs engagements et traiter, de manière prudente et adéquate, les questions touchant aux intérêts vitaux de la Chine, telles que la question de Taiwan et celle relative au Tibet. Les deux pays doivent continuer à accroître leur confiance stratégique mutuelle. Tout comme ils se doivent de surmonter certaines difficultés nées des échanges de visites et des contacts de haut niveau, comme les dialogues stratégique et économique, pour ouvrir de nouvelles perspectives de relations entre grands pays caractérisées par une interaction bénéfique. L’Asie-Pacifique est la région où convergent le plus les intérêts de la Chine et des Etats-Unis. Voyons ensemble la situation générale dans cette région. A mon avis, la paix, la coopération et le développement représentent une tendance irrésistible et une aspiration commune. Tous les pays du monde, grands ou petits, puissants ou faibles, riches ou pauvres, sont tous membres égaux de la communauté internationale. Tous les chemins de la Chine mènent à l’Asie-Pacifique et au reste du monde. Nous sommes disposés à coopérer avec les différents pays pour bâtir ensemble un monde meilleur et plus égal. Je pense que les parties concernées doivent toutes travailler pour la paix, la stabilité, le développement et la prospérité en Asie-Pacifique. Nous nous réjouissons de voir les Etats-Unis jouer un rôle constructif dans cette région. Dans le même temps, nous espérons qu’ils respectent les intérêts et les préoccupations de la Chine. Nous entendons travailler avec les Etats-Unis et les autres pays de la région pour construire une Asie-Pacifique plus stable et plus développée. (A suivre)
Propos recueillis par Théophile ASSOUMOU MONBEY