La campagne de Macky Sall, qui tentera de battre son ancien mentor, Abdoulaye Wade, dimanche prochain au second tour de la présidentielle, suscite un véritable engouement populaire.
Dakar (Sénégal), envoyé spécial. Il est 23 h 30 ce samedi à Kaolack, et ils sont plusieurs milliers à patienter depuis près de six heures pour voir le désormais favori de l’élection présidentielle, dans cette grande agglomération (200 000 habitants) de transit sur la route de Tambacounda, située à 200 km de Dakar. Malgré la chaleur étouffante, des centaines de supporters de Macky Sall l’attendent dès l’entrée de la ville et accompagnent au pas de course son long cortège composé de rutilants 4 x 4, jusqu’à l’immense terrain vague où deux écrans géants surplombent la scène. Vont s’y succéder, entre autres, le leader progressiste Moustapha Niasse, l’ancien ministre communiste Amath Dansokho, avant que le prétendant libéral à la magistrature suprême ne prenne enfin la parole, tard dans la nuit.
Wade joue la carte des marabouts
Comme son prédécesseur, Abdou Diouf (1981-2000), Abdoulaye Wade s’accrochera à son fauteuil jusqu’au verdict des urnes, dimanche prochain. Et comme en 2000, la quasi-totalité des dirigeants politiques sénégalais, faisant fi des clivages idéologiques, s’est réunie autour de Macky Sall pour chasser le sortant. Même s’il est arrivé en tête au premier tour (34 %), Abdoulaye Wade n’a donc que peu d’espoir de l’emporter à la régulière, et la présence massive d’observateurs rend l’hypothèse d’un bourrage des urnes peu plausible.
Contrairement au premier tour, marqué par des manifestations d’opposants à la candidature anticonstitutionnelle de Wade (1) réprimées dans le sang (une dizaine de morts), la campagne se déroule dans un climat relativement apaisé. Quelques nervis du PDS (le parti au pouvoir) ont bien caillassé par deux fois le convoi de Macky Sall ou attaqué le village électoral du chanteur Youssou Ndour en Casamance, le Sénégal n’a pas basculé dans un scénario à l’ivoirienne que de nombreux observateurs lui promettaient hâtivement.
Pour renverser la vapeur, les proches de Wade tentent de manipuler les conservatismes d’un pays très pieux, où les marabouts jouent un rôle important, à défaut d’être décisif. Lorsque Macky Sall a par exemple déclaré vouloir gérer la question de l’homosexualité « de façon moderne » (elle est interdite par la loi), le coordinateur du PDS a rétorqué que ce dernier s’était « dévoilé au grand jour » à propos d’un débat « ignoble et banni ».
Wade, qui prétend être le seul à pouvoir terminer ses travaux pharaoniques (autoroute à péage, nouvel aéroport international…), s’évertue aussi à discréditer son adversaire sur la scène internationale. Selon le quotidien l’Observateur, son clan aurait transmis au gouvernement français des documents sur les soutiens financiers de Macky Sall, « très hostiles au président Sarkozy et à sa formation politique » (voir encadré). Quant à l’argument des travaux à achever, véritable mantra du chef de l’État, il fait sourire Amath Dansokho : « Abdoulaye Wade réclame qu’on lui laisse un délai de trois ans pour finir ses chantiers, mais tout ce qu’il souhaite, c’est gagner du temps pour maquiller les détournements massifs de fonds publics qu’ils ont engendré. »
wade laché par la sarkozye ?
Si le ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé, a bien pris ses distances avec le pouvoir en place, Macky Sall, interrogé par l’Humanité, assure n’avoir reçu aucun coup de fil de Paris. « Je connais, dit-il, le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé. Mais ça, ce sont des relations politiques. Je n’ai pas eu de contact officiel avec l’État français. » Si la proximité de Claude Guéant avec Karim Wade pourrait expliquer ce silence surprenant, le peut-être futur président du Sénégal fait part du même mutisme en provenance de l’équipe de François Hollande, à une exception près : « Jack Lang (attendu à Dakar vendredi – NDLR) m’a téléphoné pour me féliciter, mais je ne sais même pas quel rôle il joue aujourd’hui en France. »
(1) La Constitution modifiée par Wade lui-même lui interdisait en théorie de briguer un troisième mandat.
Marc de Miramon