C’est le titre affiché à la UNE de l’hebdomadaire GABAON de ce vendredi. Dans cet article d’analyse, le journal présente un autre portrait de l’homme. Détails :
« Le grand théoricien du déséquilibre des ethnies n’est pas, comme il s’en vante, un simple faiseur de rois, c’est aussi – et surtout – un remarquable dribbleur des rois. Itinéraire d’un homme qui a le pouvoir sans être au pouvoir.
L’homme a une affection particulière pour les proverbes et les clauses de style. Dans le genre, il est même rentré dans l’histoire politique du Gabon. C’était au lendemain de la démission, en 1994, de Paul Biyoghe Mba du PDG et la création de son truc : le MCD. Ce jour-là, l’ex-Premier ministre a le malheur de remettre les pieds à l’Assemblée nationale sous ses nouvelles couleurs. Le message de bienvenue lui est adressé par Guy Nzouba-Ndama : « Nous constatons que nous avons élevé les souris dans le sac d’arachides ». La leçon passe sans être retenue : le PDG n’est qu’un « sac d’arachides » à l’intérieur duquel les camarades « élèvent » des « souris ». C’est de l’art !
Artiste, il faut admettre que le bonhomme l’est né un certain 17 juillet 1946, à Koula-Moutou, dans son royaume de l’Ogooué-Lolo. Selon ses multiples biographes, Moukombo a fait ses études primaires à l’Ecole Catholique Notre Dame de la Salette, à Koula-Moutou. Ensuite on va le retrouver directement au Collège Bessieux de Libreville. Quelques années après, il entreprend des études de philosophie à l’Université Paul Valery de Montpellier. Bref, c’est donc un intellectuel de haut rang qui, dès la fin de ses brillantes études et d’après toujours ses corvéables scripts, est intégré dans la Fonction Publique en qualité de Professeur de Philosophie des Lycées, en septembre 1975. Le bel habillage ! Le magnifique conte ! Le séduisant mensonge !
On ne sait pas pourquoi il en a honte, mais entre ses études, la fin de ses études et son intégration à la fonction publique en 1975, une très grande partie de sa vie va pourtant marquer son avenir. Pour la petite histoire, il se trouve qu’à Montpellier, Nzouba-Ndama n’a jamais été l’étudiant studieux pour lequel il se tue à vouloir se faire passer. Turbulent depuis Bessieux, c’est en contestataire qu’il débarque en France. Et ne tarde pas à prendre la tête des mouvements estudiantins qu’il parvient à retourner contre le régime. D’étudiant, il prend rapidement le statut de leader de l’opposition au sein de l’AGEG.
Evidemment, le verbe est trotskyste et Omar Bongo Ondimba le diable en personne. A ses côtés, un autre iconoclaste nommé Luc Bengone Nsie. En France, ce tandem fait un véritable tabac au point même d’attirer l’attention des autorités françaises qui commencent à s’inquiéter de la dangerosité de leur activisme. Avec cette rhétorique qu’il a d’ailleurs conservée, Nzouba-Ndama séduit de nombreux jeunes étudiants gabonais qui deviendront, en très peu de temps, ses petits apôtres, fidèles et dévoués grâce à un endoctrinement de son gourou Bengone Nsie.
Les années passent et nos deux opposants ne parviennent pas à faire partir Omar du pouvoir. Avec la suppression de la bourse et la faim qui va suivre, les deux compères sont contraints d’envisager le retour. Sa modeste licence en poche, Nzouba-Ndama tâte le terrain en se renseignant s’il est possible de rentrer sans se faire capturer. Les nouvelles sont plutôt rassurantes car aucun opposant repenti n’a fait la taule à son retour. Au contraire, tous occupent des hautes fonctions. Evidemment, son acolyte n’est pas au fait de ces démarches. Et pour le convaincre, Nzouba-Ndama sort la bonne vieille théorie de l’entrisme. La faim et le froid aident Bengone Nsie à accepter, sans rechigner, cette capitulation en rase-estomac.
Arrive enfin le jour du retour. Nos deux héros prennent le même le vol. Une fois au bas de la passerelle à Libreville, ils sont directement capturés par les éléments du CEDOC et jetés directement à « Sans Famille ». Ils vont y passer plusieurs mois sans que la communauté ne se préoccupe de leur cas. Totalement abandonné, Nzouba-Ndama s’en remet à une vieille connaissance répondant au nom d’Albert Yangari, alias Abdel Aziz. Alors ministre, Abdel Aziz, implore et obtient la clémence d’Omar. Nzouba Ndama et Bengone Nsie sortent de prison mais pas pour aller à la maison…
Connaissant leur aptitude à changer et à rouler tout le monde, les services de renseignement vont décider de réactualiser leur civisme. Ils sont alors envoyés suivre une formation militaire à N’djamena (Mouila), « là où le corbeau ne boit pas de l’eau ». Le kovo sur la tête, Nzouba-Ndama et son frère d’armes arrivent à Mouila en vrais Rambo. Le service se fait dans la souffrance à cause de l’âge des recrues.
Devenu civiquement responsable, Nzouba-Ndama quitte Mouila et regagne Libreville. Il lui faut trouver du boulot. Un grand intellectuel ça ne peut chômer dans un pays de bêtas : Moukombo exhibe sa licence pour postuler une chaire à l’UOB. Les responsables de l’académie lui font alors savoir qu’il a un peu trop surestimé son grand diplôme et qu’il faut encore élever un tout petit peu son niveau. Pour éviter les ricanements moqueurs des enseignants de l’UOB, il revoit discrètement ses ambitions à la baisse et se pointe à l’Education nationale où il sollicite un poste de professeur de lycée. Poste qu’il obtient naturellement.
Son entrée au PDG et avec le parrainage de ses aînés du village, les portes des promotions s’ouvrent enfin. Et là, c’est carrément la fusée. En 1975, il est nommé Directeur de l’Orientation à la Direction générale des Bourses et Stages. Cinq ans plus tard, en 1980, il est bombardé Directeur général des Bourses et Stages. Et trois ans plus tard, c’est l’entrée au gouvernement en qualité de ministre délégué auprès du Ministre d’État au Commerce et d’Industrie. La consécration n’intervient qu’en novembre 1987 quand il rafle le portefeuille de ministre de l’Éducation nationale.
L’arrivée de la Conférence nationale va lui faire connaître un peu la traversée du désert. Moukombo sort du gouvernement pour le poste de Conseiller politique d’Omar. Fonction qu’il occupera de février à novembre 1990. Une page sombre de son histoire dont il a personnellement horreur d’en parler parce que lui rappelant les atroces années de galère.
Pour rebondir, puisqu’il lui faut bien rebondir, il met sur le marché des inventions un nouveau produit, politiquement labélisé « Provinces sœurs ». Le multipartisme ayant ramené les divisions ethniques, pour Nzouba-Ndama, le PDG ne pourra survivre que s’il a pour socle les « deux provinces sœurs ». Une trouvaille qui doit lui permettre de se refaire une place au soleil maintenant que les aînés ne sont plus bons que pour le championnat corpo. L’heure a donc sonné pour que Moukombo récupère enfin le brassard de capitaine de la province.
Ce formidable calcul va malheureusement être récupéré par un autre frère qui, en devenant beau-père de la République, va s’auto-nommer roi de la communauté : Zacharie Myboto. Ce dernier réussissant même à améliorer l’invention de Moukombo en ajoutant une troisième province : Ngounié-Sud. Et Myboto de régner en maître absolu sur le Ndzébiland.
Ainsi coiffé au poteau, Moukombo décide de faire le dos rond et de se recroqueviller dans son petit bled tout en jouant au dévoué vassal de Myboto. Rôle qui va d’ailleurs lui permettre, une fois élu à l’Assemblée nationale en 1990 [], d’être élevé, grâce à Zacharie, au poste de président du Groupe parlementaire PDG. Et c’est toujours Myboto qui veillera à ce qu’il accède au perchoir le 27 janvier 1997, avec pour objectif de bosser pour Zacharie si jamais il y avait vacance du pouvoir. Petite devinette : quelle a été la première décision du tout nouveau président de l’Assemblée nationale ? Réponse : recruter son vieux pote Bengone Nsie et lui confier les finances de l’Assemblée. Pour le meilleur et pour le pire !
Lorsqu’André Mba Obame réussit à pousser Myboto à quitter le gouvernement, Nzouba-Ndama récupère évidemment le trône de la communauté. Commence alors un long règne au cours duquel sa majesté va s’atteler à placer parents, amis et connaissances de la province à tous les postes stratégiques. Ainsi de la fulgurante carrière de son filleul Séraphin Moundoungou, qui ne doit rien au hasard ou à une quelconque affinité idéologique. Il se trouve seulement que la tribu de Moukombo a une correspondance chez les punu.
Mais la personnalisation du règne par Nzouba-Ndama ne s’arrête pas à ce petit népotisme. Dans son tribalisme incomparable, il va jusqu’à personnaliser l’institution. Quand arrive le moment de baptiser les salles de l’Assemblée nationale, le gaillard ne casse pas son corps et s’empare d’une salle qu’il baptise Moango, du nom de son oncle qui, comme on dit au quartier, l’a élevé. C’est la République au village.
Il en sera ainsi jusqu’au décès d’Omar. Ne pouvant accéder au pouvoir, il choisit de contrôler le pouvoir. Et pour mieux le contrôler, rien de tel que de l’affaiblir. En un mot comme en plusieurs, Nzouba-Ndama veut d’un Ali Bongo Ondimba diminué et dépendant totalement de lui. La virulence des attaques de son ami Bengone Nsie contre Zeus ne s’explique pas autrement quand on sait que Moukombo avait la possibilité d’y mettre fin d’un simple claquement des doigts. Mais il a laissé faire pour bien fragiliser son poulain.
Ali élu, le monarque ne relâche rien. Choyer l’opposant André Mba Obame est sa nouvelle stratégie. Pas besoin de rencontrer l’homme de Medouneu, il suffit que les messages circulent en toute confidentialité à travers Franck Ndjimbi, son limier officieux. C’est que le confrère, nourrit aux petits oignons par Nzouba-Ndama, est l’interface entre Moukombo et AMO.
Il faut dire qu’avec la réussite de la CAN et la mise en chantier du pays, cette tactique a vite prouvé ses limites. Il fallait donc trouver de quoi stopper cette mécanique qui risque de renforcer, pour toujours, les fondements du pouvoir et chosifier définitivement l’influence, somme toute tribaliste, de Nzouba-Ndama. D’où cet assaut violent contre l’ANGT, que Moukombo considère comme le dangereux bras séculier de l’Emergence. D’où cette accointance avec les étudiants, pyromanes et casseurs, de l’UOB, qui se vantent d’avoir été reçus à l’Assemblée nationale alors qu’ils sont recherchés par la justice.
Nzouba-Ndama est clair dans sa logique : tout ce qui, comme l’ANGT, peut faire du bien au pays et à l’Emergence, doit être éliminé ; tout ce qui, comme les pyromanes de l’UOB, fait du mal au pays, doit être fertilisé. Une logique qui démontre que Moukombo n’est pas totalement dépourvu d’amour car il a un amour. Celui de Guy Nzouba-Ndama pour Nzouba-Ndama Guy. »
Par Martine Moukouangui
Source : GABAON