Longtemps considérés avec suspicion comme des citoyens à la fidélité patriotique douteuse, les Français établis hors de France sont aujourd’hui courtisés par les responsables politiques. Il y a cinq ans, les candidats à l’élection présidentielle n’avaient pas manqué durant leur campagne de vanter dans un bel unanimisme les mérites d’expatriés érigés en «exemples de l’énergie et du dynamisme dont sait faire preuve notre pays» (Ségolène Royal), en «élément capital de sa politique économique et culturelle» (François Bayrou) ou encore en «visage d’une France qui ose, qui s’ouvre et qui innove» (Nicolas Sarkozy)
L’Assemblée nationale française compte actuellement 577 députés, dont 556 représentants de la métropole, 10 pour les collectivités d’Outre-mer et 11 pour les Français de l’étranger depuis le redécoupage de la carte électorale de 2009. Fait inhabituel, ce redécoupage ne s’est pas accompagné d’un changement du nombre de députés, et pour cause : en prévision de la création des 11 représentants des Français de l’étranger, l’Assemblée nationale avait décidé en 2008 d’inscrire dans la Constitution le nombre plafond de 577 députés impossible à dépasser. Une constitutionnalisation du nombre de députés inédite sous la Ve République.
On recense 2 100 000 expatriés français dans le monde. 820 000 sont inscrits sur les listes électorales notamment en Suisse (10,2%), aux États-Unis (8,4%), au Royaume Uni (8,1%) et en Allemagne (8%). D’un point de vue purement électoral, aux dernières élections présidentielles, ces Français ont voté à 54% pour Nicolas Sarkozy avec, cependant, de fortes disparités entre les pays. Cette année, pour la première fois, ils enverront onze députés les représenter à l’Assemblée nationale. Le redécoupage des circonscriptions électorales en 2009 a abouti à la création de onze zones géographiques dont la grande majorité ne devrait pas échapper à la droite en juin. C’est du moins ce qu’espère l’UMP, d’après de nombreux observateurs, en introduisant cette nouveauté, neuf circonscriptions ayant en effet placé le président sortant en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle, huit lors du second tour, à l’occasion duquel Nicolas Sarkozy a obtenu un résultat global de 53 %. Il y a donc maintenant 6 circonscriptions pour l’Europe, 2 circonscriptions pour l’Amérique, 2 pour l’Afrique et les pays du Proche et Moyen-Orient et 1 pour l’Asie et l’Océanie (voir la carte).
La 10e circonscription qui concerne le Gabon est une des plus complexe. Elle comprend 49 pays du Moyen-Orient et d’une partie de l’Afrique, pour une population de 140 310 Français inscrits sur les listes consulaires. Beaucoup d’entre eux sont des binationaux, des français issus de couples mixtes ou naturalisés suite à un mariage, bref, des français qui n’ont pour certains jamais vécu en France.
Afin de faciliter le vote de Français parfois isolés ou vivant loin de leur consulat , il sera possible de voter par procuration, mais aussi par correspondance sous pli fermé ou par Internet, ce qui est une innovation importante que certains voient d’un mauvais œil, affirmant qu’elle est loin de garantir une sécurité suffisante. Mais plus généralement, l’introduction de ces 11 députés de Français vivant hors de France pose de nombreuses questions.
Cédric Pellen, chercheur post-doctorant à l’Université de Montréal, met clairement en avant les grandes inconnues de ce scrutin original. «Schématiquement, deux pistes de recherche principales se dégagent selon qu’on se place du côté des électeurs ou des candidats. Premièrement, on connaît aujourd’hui très peu de choses sur le profil, les formes de politisation et les pratiques de participation des citoyens français résidant hors de France. Le groupe “Français de l’étranger” est-il si homogène que les modalités de sa construction actuelle par les responsables politiques le laisse croire ? Recouvre-t-il les mêmes réalités dans les différents pays ? Quelles sont les caractéristiques de ceux des expatriés qui effectuent la démarche volontaire de s’enregistrer sur les listes électorales consulaires ? Quels sont les effets de la distance à la métropole – et à ses médias – sur la définition du rapport à la politique et sur la formation éventuelle de préférences partisanes ? L’insertion dans une société étrangère affecte-t-elle ces processus ? Comment les électeurs se saisissent-ils des procédures originales de vote qui leur sont offertes, par exemple le vote par internet ? Telles sont certaines des nombreuses énigmes qui se posent aujourd’hui aux chercheurs désireux d’étudier le vote des Français de l’étranger. (…)
Deuxièmement, le caractère inédit de l’élection, le peu de données disponibles sur les électeurs et les spécificités des circonscriptions font peser des contraintes originales sur les candidats à la députation pour les Français de l’étranger. Sur quels critères de légitimité fondent-ils leur prétention à représenter les expatriés ? Quelles représentations se font-ils des attentes des électeurs ? Comment s’efforcent-ils d’évaluer la valeur de leurs biens de représentations (propositions programmatiques, modalités de présentation de soi…) en l’absence de précédents ? Comment s’attachent-ils à identifier, à atteindre et à mobiliser en leur faveur des électeurs dispersés dans des circonscriptions parfois immenses (la 11e circonscription des Français de l’étranger s’étend ainsi, de la Russie à l’Australie en passant par l’Asie, sur presque cinquante-cinq millions de kilomètres carrés, soit cent fois la France) ? Quels répertoires de techniques électorales mettent-ils en œuvre dans la campagne ? Comment gèrent-ils les coûts élevés en temps et en argent de leurs éventuels déplacements à travers la circonscription ? Quel rôle jouent les partis politiques nationaux dans ces élections ?»
Ces grandes inconnues semblent écartées par les grands partis politiques, le PS, l’UMP ou même le Front National, qui comptent sur des reports de voix classiques vers leurs candidats, ce qui n’a pourtant rien d’évident. Certains des candidats semblent l’avoir déjà compris, comme Alain Marsaud qui, lors d’une visio-conférence avec des militants de Libreville, s’éloignait ostensiblement des propositions de Nicolas Sarkozy, alors candidat à l’élection présidentielle. Sur des sujets sensibles auprès de son auditoire comme la double nationalité, l’imposition des Français hors de France, le regroupement familial, la présence militaire française au Gabon ou le renforcement (plus précisément l’arrêt du démantèlement) des structures éducatives à l’étranger, ses propos n’auraient pas été démentis par un militant socialiste. Mais sur ces sujets comme sur bien d’autres, l’électorat de droite comme de gauche à l’étranger semble singulièrement s’écarter des positions des partis majoritaires en France. Une place importante pourrait donc se dessiner pour les candidatures indépendantes, même si l’étendue de certaines circonscriptions pose un véritable problème, à la fois de représentativité (comment défendre des intérêts aussi divergents ?) et de représentation (comment rester proche de ses électeurs avec de telles distances à parcourir ?).
De même, les discussions risquent d’être très vives entre les défenseurs d’un député lui même issu des Français de l’étranger, supposé plus à même de comprendre leurs problèmes et leurs attentes, et ceux d’un député «depuis la France», plus «technique», garantie à leurs yeux d’une plus grande neutralité face à des exigences particulièrement diverses et parfois contradictoires. Un entrepreneur du Gabon saura-t-il mieux comprendre un chef de chantier résident en Israël ? Un défenseur de l’environnement résidant en Tanzanie pourra-t-il appréhender les désidératas d’un sous-traitant pétrolier du Nigeria ou ceux d’un employé des télécoms résident en Irak ? La logique de vote pour leur parti à l’Assemblée va-t-elle permettre à ces députés atypiques de défendre leurs idées, forcément différentes de celles d’un député du Vaucluse ou des Hauts-de-Seine, ou vont-ils voter comme le reste de leur représentation politique, y compris sur des textes en opposition avec l’intérêt de leurs électeurs ? Et comment discuter avec ces électeurs lorsque les distances à parcourir sont aussi importantes ?
Sur ce dernier point, Alain Marsaud répond avec un certain bon sens que les représentant des grands partis politiques, le PS et l’UMP en particulier, ont la chance de disposer de relais sur place, quasiment partout, avec l’UFE (Union des Français de l’étranger, proche de l‘UMP) et l’ADFE (Association de défense des Français de l’étranger, proche du PS). «Cela permet d’avoir un retour fiable et permanent sur les aspirations des Français de notre circonscription. D’autre part, les nouvelles technologies nous permettent de discuter, comme nous le faisons actuellement (par visio-conférence ndrl), directement et sans frais exorbitants avec les Français les plus isolés». Il reste qu’il ne sera pas évident de déplacer toutes les catégories de français pour participer à une visio-conférence d’un député “étiqueté” UMP, PS ou FN comme cela se remarquait lors de cette réunion qui ne comptait que des militants ou sympathisants UMP.
Alexandre Joly, militant du MoDem au Japon, défend une idée semblable : «Quelle “expérience de l’expatriation” peut permettre à la fois de comprendre un expatrié représentant un grand groupe français à Shanghaï et un professeur de FLE en contrat local dans le Kansai ? Qui peut avoir le vécu d’un entrepreneur en Australie et celui d’un retraité installé à Hanoï ? Et dans une même catégorie socio-professionnelle l’expatriation se vit-elle de la même façon ? L’entrepreneur en Nouvelle-Zélande ne rencontre bien évidemment pas les mêmes contraintes que celui installé au Timor-oriental… On le voit bien l’expérience de l’expatriation ne peut servir d’argument pour nous représenter. Je penserais même qu’elle peut être problématique si un député n’a comme paradigme que sa propre expérience. Un député expatrié risquerait de ne concevoir l’expatriation que sous l’angle exclusif de sa propre expérience, forcément différente, de milliers de celle d’entre nous et donc “mal” nous représenter.»
D’un autre côté, le futur député des Français établis hors de France devra être tout à la fois : un conseiller général, un conseiller régional, un conseiller municipal et enfin, un député à l’Assemblée nationale. Il devra garder son orientation idéologique (gauche ou droite) tout en gardant la possibilité de refuser de voter des textes contraires à ses convictions à son éthique ou aux intérêt de ses électeurs, chose difficile à faire s’il est affilié à un parti politique de l’avis de la plupart des candidats indépendants. On voit donc que les certitudes des grands partis politiques, et de l’UMP en particulier, sont loin d’être acquises, d’autant moins d’ailleurs que les proposition électorales à défendre sont très éloignées de celles rédigées par leurs bureaux politiques en France : les problèmes sont fondamentalement différents, parfois beaucoup plus pratiques que politiques, souvent inconnus, inimaginables, pour ceux qui résident sur le territoire national.
C’est donc avec beaucoup d’intérêt que les chercheurs en politique et les états majors des partis vont observer ces premières élections de députés pour des Français établis hors de leur pays, d’autant que cette configuration est assez rare dans le monde, se limitant en général à des pays à très forte émigration comme le Mali, le Sénégal, la Mauritanie etc. et que le mode d’élection (ou de nomination) de ces députés est loin d‘être homogène.
Les candidats à l’élection législative du 10 et 17 juin 2012 pour la 10e circonscription (incluant le Gabon) par ordre alphabétique :
■Jean Daniel CHAOUI (PS) https://www.legislatives-2012-jdchaoui.org/
■Patricia ELIAS SMIDA (indépendante) https://www.eliassmida.fr/
■François KAHN (indépendant) https://www.francoiskahn.com/
■Francis MAGINOT (FN)
■Guy MAKKI (indépendant ?) https://www.guymakki2012.com/index.php/joomla-license
■Alain MARSAUD (UMP) https://www.marsaud-expats-2012.fr/tag/legislatives/
■Jean PIERRE PONT (indépendant) https://jeanpierrepont2012.fr/