La première polémique du quinquennat Hollande n’aura pas tardé. Quelques heures après son investiture, le chef de l’Etat a choisi de rendre hommage à Jules Ferry et Marie Curie. Il doit tenir un discours aux Tuileries à 13h45, devant la statue de Jules Ferry, pour saluer l’ancien ministre de l’Instruction publique (1832-1893), auteur des grandes lois républicaines rendant l’école «gratuite, laïque et obligatoire». Un choix a priori logique, tant le candidat socialiste avait placé l’éducation au coeur de son programme.
Petit problème : Jules Ferry était aussi, à l’époque, un fervent partisan de la politique coloniale française. Un aspect pointé du doigt lundi sur France Inter par Luc Ferry, ministre de l’Education entre 2002 et 2004. Jules Ferry fut «non seulement un grand colonisateur, mais c’est quelqu’un qui fonde la colonisation sur une vraie théorie raciste. De même qu’il faut éduquer les enfants, il faut éduquer les Africains, c’est ça l’idée», a dénoncé l’ancien ministre de Jacques Chirac.
Un discours de Jules Ferry devant la Chambre des députés en 1885, intitulé «Les fondements de la politique coloniale», est notamment resté dans l’histoire. Le ministre y déclarait: «Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures.»
«L’horizon impérialiste, c’était l’horizon intellectuel de l’époque»
D’autres voix se sont élevées pour exprimer des réserves quant au choix de François Hollande. En Martinique, Chantal Maignan, conseillère régionale (divers droite) et candidate aux législatives de juin, a interpellé le chef de l’Etat dans une lettre ouverte. «Vos succès aux Antilles m’obligent à vous remettre en mémoire que vos électrices et électeurs sont à jamais, mères, soeurs et filles, pères, frères et fils d’Aimé Césaire, farouchement dressés contre l’ordre colonial dévastateur et une école laïque assimilationniste, pourtant ardemment défendus par Jules Ferry», écrit-elle.
De son côté, Serge Letchimy, député (PS) et président de la Région Martinique, s’est déclaré «convaincu qu’en honorant Jules Ferry, l’artisan des grandes lois libérales des années 1880 et de l’école primaire républicaine, François Hollande se soucie de rappeler que l’école se trouve au coeur de son projet visant à refonder la République». «Cependant, ajoute-t-il dans un communiqué, nous ne pouvons ignorer que Jules Ferry fut aussi, en son temps, l’homme qui a justifié la colonisation par des considérations économiques, diplomatiques et « humanitaires ». Les échos de son célèbre discours à la chambre du 28 juillet 1885 résonnent encore dans nos mémoires et nous appellent à une extrême vigilance.»
Dans un communiqué, le président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Louis-Georges Tin, a jugé que «François Hollande peut tout à fait saluer en Jules Ferry le fondateur de l’école républicaine, mais il devrait aussi rappeler en même temps la part d’ombre de cet homme, et de toute une partie de l’histoire de France». C’est à priori ce que le chef de l’Etat devrait faire dans son discours – distinguer les deux Ferry – d’après sa plume Aquilino Morelle, cité par Le Monde.
Toutefois, pour l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, les reproches formulés à l’encontre du nouveau président sont quelque peu hâtifs. «L’horizon impérialiste, c’était l’horizon intellectuel de l’époque, donc c’est faire un peu de l’anachronisme que de le lui reprocher.» «Il ne faut pas faire de Jules Ferry un précurseur de l’OAS», ajoute son collègue Antoine Prost, rappelant que dans les années 1890, Ferry avait critiqué les colons d’Algérie, dans le cadre d’une commission d’enquête sénatoriale.