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Message du Dr. Daniel Mengara aux citoyens étudiants du Gabon
Etudiants du Gabon mon pays, chers jeunes en quête d’avenir et de dignité.
C’est à vous que je voudrais m’adresser aujourd’hui pour vous signifier non seulement ma solidarité la plus totale, mais aussi la solidarité de mon parti politique, le BDP-Modwoam, à votre cause, et ce au moment où, pour la énième fois, une fois de trop, vous revendiquez vos droits.
Quel drame que, dans notre Gabon à nous, la crise de l’éducation soit un éternel recommencement ! Chaque année, ce sont les mêmes vieilles grèves, les mêmes vieilles revendications, les mêmes vieilles promesses de résolutions jamais résolues ! Et vous voilà encore là en 2012 à subir les brimades policières pour des revendications pourtant légitimes, revendications que ma propre génération avait déjà eu à faire en 1990, sans suites apparemment puisque les vôtres, aujourd’hui, comme les nôtres, jadis, sont exactement les mêmes.
Je m’étonne par d’ailleurs que l’étudiant gabonais doive encore, au jour d’aujourd’hui, faire face à des brimades incompréhensibles comme ces conditions d’âge qui limitent son droit à l’éducation, et ce dans un pays où l’Article 18 de la constitution stipule pourtant que « l’Etat garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture » ! Le drame est que je vis aujourd’hui dans un pays, les Etats-Unis, où l’on peut s’inscrire à l’université à tout âge. Mieux encore : en tant que professeur d’université dans le New Jersey depuis 16 ans, je me suis retrouvé à dispenser des cours à des étudiants de 60 ans, voire 70 ans, qui avaient choisi de revenir à l’université parfaire leur éducation ou d’y aller pour la toute première fois. On ne leur a pas dit : « vous êtes trop vieux ». Bien au contraire, la loi de l’Etat du New Jersey interdit non seulement les discriminations d’âge dans les universités, mais garantit aussi aux étudiants du troisième âge la gratuité quasi totale de l’instruction. Pourtant, je suis bel et bien ici dans un pays capitaliste paradoxalement connu pour la faiblesse de son bouclier social !
Chers amis, jeunes frères et compatriotes de l’université :
Quand, après 44 ans de revendications annuelles de la même chose à un régime sourd qui ne comprend rien à l’impératif de garantir l’instruction gratuite à tous les Gabonais de tous les âges ; quand après 44 ans de futiles espérances, l’avenir de générations entières de jeunes Gabonais se retrouve sacrifié à l’autel de l’ignominie et de l’incompétence bongoïstes, il convient, au final, de s’arrêter un moment et de se poser les bonnes questions, les questions suivantes : Pourquoi les choses ne changent-elles pas au Gabon depuis 44 ans? Pourquoi les étudiants de notre pays doivent-ils, chaque année, subir les exclusions, les gaz lacrymogènes, les matraques, la prison, les viols policiers et parfois même la mort, et ce pour avoir osé revendiquer le droit à une éducation digne qui leur revient de droit ? Qui est responsable ?
Une fois que vous vous serez posé ces questions, une fois que vous aurez fait le tour de ces questions, vous serez bien obligés, jeunes compatriotes, de vous rendre compte que votre revendication devra, à un moment, se politiser et se transformer en revendication politique en bonne et due forme. En d’autres termes, ces questions devraient vous pousser à constater, tout simplement, que tant qu’un Bongo sera au pouvoir, le problème de l’université du Gabon, que dis-je, le problème de l’éducation des Gabonais, ne sera jamais résolu. Certes, vous obtiendrez de temps en temps gain de cause à titre provisoire et de temps en temps on vous fera de grandes promesses. Mais vous savez comme moi que ce ne seront là que des pansements provisoires posés sur une plaie infectée. Les promesses vous faites par ce régime depuis 44 ans n’ont jamais été tenues. La preuve : après notre génération, la génération de 1990, vous en êtes encore aujourd’hui, 22 ans plus tard, à réclamer des bibliothèques universitaires dignes de ce nom, des bourses, des enseignants, et j’en passe.
Je vous dis donc ceci : le moment est venu d’en finir avec les pansements provisoires. Il faut guérir la plaie infectée une bonne fois pour toutes.
On vous demande, certes, de ne pas politiser vos revendications car vous n’êtes que de simples étudiants. Je veux bien. Mais comment ne pas politiser vos revendications dans un pays où on « résout » les problèmes chroniques des étudiants avec des chars et des matraques ?
Si j’avais été à vos côtés comme je le fus en 1990 auprès de ceux de ma génération, j’aurais suggéré que l’Assemblée générale des étudiants prenne sur elle de forcer, ici et maintenant, la réforme de tout le système éducatif gabonais, depuis le primaire jusqu’à l’université, quel que soit le temps que cela prendra. Cela veut dire, dans un premier temps, s’accorder sur un moratoire qui suspendra indéfiniment les cours non seulement à l’université, mais aussi partout au Gabon dans toutes les écoles du primaire comme du secondaire. Dans un second temps, cela voudra dire rompre toutes les négociations pour forcer, plutôt, l’organisation, dans un délai de 30 jours, des Etats-Généraux de l’éducation nationale au Gabon qui remettraient tout à plat pour permettre au pays de reformuler à zéro sa vision éducationnelle. Ce délai de 30 jours donnera le temps à tous les acteurs impliqués de préparer des carnets de charge qui, en somme, devront tous viser, au minimum, à la votation par le parlement gabonais d’une loi instituant la mise en place institutionnelle d’un budget d’exception et obligatoire de 100 à 150 milliards de F CFA devant être consacrés chaque année à l’éducation nationale. Je parle ici d’un budget inviolable qui:
1)- garantira non seulement le paiement régulier des bourses à tous les étudiants gabonais à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, mais éliminera aussi toutes les conditions rétrogrades qui briment l’étudiant gabonais, à l’instar de ces limitations d’âges qui n’ont aucun sens dans un pays sans jardins d’enfants et où les élèves n’ont nulle part la garantie de commencer l’école primaire à 6 ans et encore moins d’aller à l’université à 18 ans. Au final, l’incohérence du système éducatif gabonais fait que là où, ailleurs, on obtient son doctorat à 25 ans, nous, au Gabon, on l’obtient à 30-35 ans en moyenne. Nous avons donc, sur ce plan, entre 5 et 10 années de retard sur les autres. Et c’est dans un tel système qu’on veut imposer des limites d’âge, instituer un système LMD mal pensé et exiger des performances sapées d’avance par l’improvisation, la désorganisation et le manque de vision ?
2)- contiendra un volet investissements qui visera non seulement à la réfection et à la modernisation permanente des salles de classe et des bibliothèques existantes, mais aussi à la construction de structures modernes nouvelles capables d’offrir à nos élèves et étudiants un contexte d’études digne du 21e siècle. Outre l’université, donc, ce budget devra intégrer, pour le primaire et le secondaire, le financement de la construction d’écoles supplémentaires dans tout le pays, la mise à disposition de bus scolaires pour les enfants étudiant dans les grandes cités urbaines (Libreville, Port-Gentil, Mouila, Oyem, Franceville, etc.) et la garantie d’accès gratuit de tous les enfants aux écoles publiques du pays ; ceci suppose, par exemple, que toutes les écoles primaires et secondaires du Gabon disposeraient, dès lors, directement dans les écoles, de toutes les fournitures scolaires nécessaires à l’instruction des enfants, fournitures qui seraient dans ce cas prêtées chaque année aux élèves, leur épargnant ainsi des dépenses que pas mal de parents ne peuvent supporter.
Il est indécent, par ailleurs, de voir des populations déjà gravement paupérisées se retrouver à devoir payer des écoles privées au rabais parce que l’Etat est, au Gabon, incapable d’accueillir tous les enfants dans les écoles publiques. Le rapport « Education pour tous » du ministère de l’Education Nationale fait ainsi état du fait que le secteur privé en 2002 représentait 90% des structures éducatives existantes au Gabon, coûtant ainsi en moyenne plus de 270.000 FCFA annuels aux parents. Cette situation n’a guère évolué et, en fait, s’est même aggravée, avec un rendement zéro sur la qualité même de l’instruction reçue par les enfants. Dans les écoles publiques, il y a ainsi en moyenne un enseignant pour près de 60 élèves, avec des pointes proches de 80 à 100 élèves par enseignant dans l’Ogooué-Maritime et le Haut-Ogooué. La situation est encore pire dans le privé. Ceci doit cesser. Les Etats-Généraux ici demandés doivent s’assurer que, dès septembre 2012, tous les enfants du Gabon pourront, si leurs parents le souhaitent, avoir accès libre et gratuit aux écoles publiques du primaire et du secondaire, et ce sans exceptions. Un programme de jardins d’enfants financés par l’Etat doit aussi être initié qui garantirait, d’ici 5 ans, l’accès de tous les enfants gabonais au préscolaire, les préparant ainsi à la possibilité d’un accès à l’université qui se ferait en moyenne à 18 ans comme cela se passe ailleurs.
3)- reflètera les recommandations jadis faites au Gabon lors du Forum mondial sur l’éducation organisé par l’Unesco à Dakar en 2000, recommandations jamais appliquées mais pourtant bel et bien reprises par le Ministère de l’éducation nationale dans son rapport de suivi de 2002 nommé « Plan d’Action National Education Pour Tous », et engageant le gouvernement du Gabon à investir 10% de son PIB dans l’éducation pour se mettre en parité avec les autres pays à revenu intermédiaire du monde. Ledit rapport notait en effet que le budget de l’Education Nationale au Gabon ne représentait que 3,3% de son PIB en 2000 et 3,7%en 2002, donc très en dessous de la moyenne de plus de 5% pratiquée dans les autres pays à revenu similaire. A cause des retards encourus dans la mise en place de ce plan, ces 10% du PIB pour l’éducation que l’Unesco avait recommandés doivent, immédiatement, être institutionnalisés par une loi et un budget éducation inviolable voté automatiquement chaque année qui permettrait de rattraper tous les retards encourus dans ce domaine dans les cinq prochaines années.
Sur ces points, donc, il ne faut plus tergiverser. L’université du Gabon ne peut continuer à vivre en situation de crise permanente. Et le pays ne peut continuer à paupériser son potentiel.
Mais, au cas où l’on vous rétorquerait qu’il n’y pas d’argent disponible pour financer immédiatement la réforme susvisée, il suffira, chers étudiants, de demander à Ali Bongo de revendre non seulement la villa des Pozzo di Borgo qu’il a achetée à 100 millions d’euros à Paris en 2010, mais aussi celle des Kennedy, achetée à Washington en 2011 au prix de 6,5 millions de dollars. C’est bien là un total de près de 70 milliards de CFA qui pourraient, immédiatement, résoudre tous les problèmes qui se posent à notre système éducatif ! Autrement dit, l’argent est là. Les Bongo l’ont dilapidé dans des villas inutiles. Il faut dire à Ali Bongo de revendre ces villas. Tout de suite.
Cela voudra aussi dire, en termes encore plus clairs, que si l’on vous refuse, dans les 30 jours qui viennent, ces Etats-Généraux de l’éducation et les réformes qui vont avec, le seul acte citoyen qui convienne consistera à tout simplement rassembler élèves et enseignants des écoles et des lycées ainsi que ceux des universités dans un vaste mouvement qui décrètera que les études ne reprendront pas au Gabon tant qu’Ali Bongo ne démissionnera pas du pouvoir. Autrement dit, si Ali Bongo ne peut assumer, il part. Un point c’est tout.
C’est cela que j’appelle la politisation de vos revendications, chers étudiants. Dès lors qu’Ali Bongo a, depuis 2009, concentré tous les pouvoirs de l’Etat entre ses mains, s’instituant ainsi comme le seul arbitre de votre destinée, il est normal qu’il devienne aussi, automatiquement, responsables de vos malheurs. Son refus des Etats-Généraux de l’éducation serait, dans ce cas, une grave atteinte à vos droits à une éducation digne de ce nom. Ce serait aussi une grave atteinte à la souveraineté nationale car un pays avec des citoyens non instruits ne peut valablement se développer et, donc, faire face aux défis de la mondialisation. C’est l’équivalent d’une trahison, surtout quand on a à la bouche une supposée « émergence ». Or, on ne peut pas en permanence trouver des excuses en disant que si les choses ne changent pas au niveau du logement, c’est à cause des Gabonais et si les choses ne changent pas à l’université, c’est à cause des étudiants. A un moment, les Bongo doivent être directement tenus responsables de la débâcle généralisée du pays.
A tout cela, il faut ajouter une autre vérité. C’est généralement par les revendications estudiantines que les grands changements arrivent dans les pays sous diktat. Ce fut le cas pour notre génération estudiantine en 1990. Le moment est donc venu pour nos étudiants, et avec eux le pays tout entier, de décider si l’on veut, au Gabon, continuer chaque année à poser des pansements non aseptisés sur des plaies infectées, et risquer la mort de la nation, ou s’il ne faut pas tout de suite choisir l’amputation, pour sauver le reste.
Autrement dit, pour que vive l’étudiant gabonais, en définitive, les Bongo doivent partir. C’est cela la seule vérité qui importe aujourd’hui. Rien de bon n’arrivera au Gabon, ni pour les étudiants ni pour qui que ce soit d’autre, tant qu’un Bongo sera au pouvoir.
Fait le 31 mai 2012 à Montclair, New Jersey, USA
Dr. Daniel Mengara
Génération 1990
Président, « Bongo Doit Partir – Modwoam »
P.O. Box 3216 TCB
West Orange, NJ 07052, USA
Tél. : 973-447-9763