Mohamed Morsi est persuadé que le courant libéral en Egypte surmontera sa crainte des Frères musulmans et se rangera derrière lui au second tour de l’élection présidentielle pour faire barrage à Ahmed Chafik, ancien général que le candidat de la confrérie islamiste s’emploie à présenter comme l’héritier d’un ancien régime oppresseur.
Dans sa première interview accordée à un média international depuis le premier tour de la présidentielle, Mohamed Morsi tend une nouvelle perche aux jeunes révolutionnaires ayant provoqué la chute d’Hosni Moubarak en février 2011. Il promet que, lui président, l’ancien « raïs » restera en prison quel que soit le verdict prononcé samedi par le tribunal chargé de le juger pour la mort de manifestants durant la révolution.
« Il n’est pas possible de libérer Moubarak », a déclaré Mohamed Morsi à Reuters dans un hôtel de la périphérie du Caire.
Il se dit déterminé à poursuivre des enquêtes afin de juger à nouveau Hosni Moubarak, âgé de 84 ans, pour corruption, malversations électorales et autres délits commis durant ses trois décennies de pouvoir.
« Lorsque je serai président, cela me donnera l’occasion de rouvrir le dossier et de réexaminer le verdict », dit-il. « Moi président, je promets un nouveau procès pour les meurtriers des martyrs. »
Les résultats du premier tour de la présidentielle placent libéraux et laïques face à une alternative douloureuse entre un islamiste et le dernier Premier ministre d’Hosni Moubarak, qui n’ont ni l’un ni l’autre obtenu plus de 25% des suffrages.
DERNIER REMPART
Ingénieur de 60 ans formé aux Etats-Unis, Mohamed Morsi n’a toujours pas reçu le soutien officiel de l’un des principaux candidats éliminés. Il multiplie pourtant les promesses censées fournir des gages au « centre » et il s’évertue à se présenter comme le dernier rempart face à la restauration d’un régime militaire, quelles que soient les réticences suscitées par les Frères musulmans, lents à se joindre au mouvement révolutionnaire début 2011.
« Ce pays et ce peuple, qui se sont révoltés contre Moubarak, n’accepteront pas ce système à nouveau », assure Mohamed Morsi, quasiment inconnu de la plupart des Egyptiens jusqu’à ce qu’il soit propulsé dans la course à la présidence par la confrérie islamiste.
Face à Ahmed Chafik, qui promet le rétablissement de l’ordre à des Egyptiens épuisés par 15 mois de troubles, Mohamed Morsi a besoin d’élargir son électorat en vue du second tour les 16 et 17 juin. Pour cela, il est disposé à proposer des postes de vice-président et même celui de Premier ministre à des personnalités extérieures aux Frères musulmans, larges vainqueurs des législatives organisées durant l’hiver.
« Je suis ouvert au dialogue et disposé à l’unification des rangs pour contrer la tentative de restauration de l’ancien Etat oppresseur », insiste le candidat islamiste, qui s’engage en cas d’élection à quitter les Frères musulmans et leur parti politique afin de se présenter en chef d’Etat sans allégeance partisane.
« S’ils ne soutiennent pas le candidat de la révolution et ne soutiennent pas la marche vers la stabilité et la véritable liberté (…) qui soutiendront-ils? », interroge ce père de cinq enfants, qui a pris de l’assurance en public au cours de la campagne.
« Je suis certain qu’ils soutiendront la voie de la révolution. »
PLURALISME
Mohamed Morsi peut compter sur le vaste réseau développé au fil du temps par les Frères musulmans, qui, malgré leur interdiction officielle sous l’ancien régime, fournissaient une aide sociale à de nombreux Egyptiens.
Beaucoup, notamment au sein de la minorité chrétienne, craignent toutefois que cette forte présence sur le terrain conjuguée à la maîtrise des institutions de l’Etat en cas de succès à la présidentielle ne conduise les Frères musulmans à instaurer de fait un régime théocratique.
Mohamed Morsi promet au contraire qu’il garantira la liberté de chacun, des chrétiens comme des femmes, qui ne seront pas obligées de porter le voile, et de tout Egyptien n’étant pas aussi pieux que les Frères musulmans.
La confrérie islamiste est attachée au pluralisme politique et à « l’alternance du pouvoir », dit-il.
L’élection présidentielle égyptienne est suivie avec une attention particulière en Israël, qui s’inquiète de l’avenir du traité de paix signé en 1979 en cas de victoire des islamistes. Mohamed Morsi s’est engagé à respecter ce traité tout en accusant Israël d’en bafouer les termes.
Prié de dire s’il pourrait s’asseoir à la même table que les responsables israéliens, le candidat des Frères musulmans élude la question et prévient qu’Israël sera jugé sur ses actes: « La question n’est pas de savoir si l’on s’assoit à côté, la question est celle des actions sur le terrain. »
Bertrand Boucey pour le service français