Grégory Ngbwa Mintsa, Prix de l’Intégrité Transparence International 2009-2010 et membre de la société civile gabonaise, était le porte-parole du «Front des indignés du Gabon» qui, à travers le «Forum des indignés du Gabon», a tenté une contre-manifestation au New-York Forum Africa. Il brosse ici les contours de cette opération qui, somme toute, a fait du bruit.
En quoi donc consistait le forum des indignés ?
Comme son nom l’indique le forum consistait à exprimer notre indignation devant un certain nombre de dysfonctionnements, devant des cas plutôt généralisés d’injustice sociale. Le New-York Forum Africa a été l’occasion de regrouper ces revendications au sein d’un contre-forum.
Organisé dans l’enceinte d’un collège, avec les seuls militants de quelques organisations non gouvernementales en accointance totale, quelle répercussion en attendiez-vous ?
Non, je pense très franchement que notre contre-forum n’était pas très opérant. Il n’aurait pas eu l’écho d’un contre-sommet altermondialiste tel qu’on les connait. Mais, je dois vous rappeler qu’avant la tenue du forum nous avons adressé une lettre ouverte aux invités dans laquelle nous leur indiquions que nous, Gabonais, contestions la tenue du New-York Forum Africa. Parce que, estimons-nous, personne ne peut faire le Gabon à notre place, personne ne peut penser le Gabon à notre place, personne ne peut imaginer notre avenir à notre place et donc, nous sommes profondément choqués et humiliés de ce que nos propositions soient systématiquement rejetés et perçus comme de la subversion et qu’on aille chercher des Américains, des Indiens, des gens venus d’Alaska ou de Papouasie pour venir tracer le destin de notre Gabon ou, plus largement, de notre Afrique. C’est à la base une question de fierté nationale.
Nous avons dit aux invités du New-York Forum Africa que nous allions exprimer notre condamnation de ce forum ; qu’ils arrivaient ici pour cautionner un Etat militaro-policier et nous savons, parce que l’expression n’est pas libre au Gabon, parce que les marches pacifiques sont interdites au Gabon depuis l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo, que notre manifestation va être réprimée par les forces de coercition. Nous avons donc posé à ces invités la question : De quel côté serez-vous, de celui des oppresseurs ou de celui du peuple opprimé ?
En réalité, notre objectif était de montrer à ces gens la nature profonde de notre système. Et le système a manifesté ce que nous avions dénoncé auparavant. Il se serait gardé de la faire. Donc pour nous c’est une grande victoire et la tenue même du contre-forum en lui-même me parait secondaire par rapport au réflexe de notre système militaro-policier.
Vous annonciez une télé-intervention de l’homme politique français, député européen et leader du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qu’en est-il advenu ?
Il y a eu, naturellement, un contretemps puisque nos assises ont été perturbées. Ce dont je suis très sûr, c’est qu’au siège de Brainforest où on devait recenser tout le dispositif, la connexion Internet a été coupée, comme par hasard, durant les deux jours qui précédaient notre manifestation.
Dans l’après-midi du 9 juin, après votre libération, vous avez tenu une conférence de presse. Qu’elle en était la substance ?
Nous avons rétabli les faits tels qu’ils s’étaient déroulés durant cette journée. Je peux vous lire quelques extraits du propos liminaire : Afin de justifier ces pratiques d’un autre âge, le ministre de l’Intérieur s’est fendu d’un communiqué qui prétend justifier l’arrestation de Marc Ona par le prétexte grotesque que, de son fauteuil roulant, il aurait lancé des cailloux aux paisibles représentants de l’ordre. Certains de ces policiers auraient été grièvement blessés et conduits à l’hôpital. Inutile de s’attarder sur ce gag…
Cet énième épisode de l’histoire des répressions et de la coercition dans notre pays pose véritablement un problème de fond quant à la lecture de notre constitution et à la conception du pouvoir de ceux qui le détiennent actuellement. Notre loi fondamentale consacre la liberté de pensée, la liberté d’expression et la liberté d’association comme des droits fondamentaux inaliénables. Dès lors, considérer que nous ne pouvons jouir de ces droits que selon le bon vouloir d’un citoyen comme nous, fut-il ministre, relève d’une conception absolument stalinienne de la démocratie.
En ce qui nous concerne, nous estimons que le rôle du ministère de l’Intérieur est d’assurer la sécurité des citoyens que nous sommes, dans la jouissance de nos droits et libertés individuels et collectifs. Il ne saurait, en aucun cas, être question désormais de nous en priver en assimilant délibérément le trouble de l’ordre établi au trouble de l’ordre public. Par conséquent, le Front des Indignés du Gabon, résolument déterminé à se réapproprier sa souveraineté et à faire respecter sa dignité, affirme solennellement qu’il continuera son combat par tous les moyens nécessaires, quoiqu’il nous en coûte.