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Braquage d’infos-Kinguelé sur Internet : pirates ou corsaires*?

Adossé à Facebook, Infos-Kinguélé, le plus grand groupe de discussion gabonais sur Internet (7641 membres) vient d’être l’objet d’un hold-up informatique. Des imposteurs en ont pris le contrôle, éjecté les administrateurs-fondateurs et annoncé une réorientation des idéaux du groupe. Belle occasion pour regarder, sans a priori, ce qu’est vraiment Infos-Kinguélé et s’il mérite qu’on se donne tant de mal pour son contrôle.

Infos-Kinguélé c’est LE réseau social gabonais. Depuis le printemps arabe, ce groupe de discussion campé sur Facebook intéresse les milieux politiques et les services spéciaux du Gabon qui l’ont d’ailleurs infiltré. Un tabloïd satirique gabonais se réclamant du giron présidentiel a même publié certaines discussions du groupe avec noms ou surnoms des protagonistes, comme pour les intimider. Et, coup fatal s’il en est, le quarteron d’administrateurs-fondateurs de ce qui est aujourd’hui le plus grand groupe de discussion gabonais sur Internet, s’en est fait éjecté, le 13 juillet dernier, par des hackers. Ces derniers se sont auto-promus administrateurs de ce club virtuel qui comptait déjà 7641 membres, actifs ou dormants, au 13 juillet 2012. Et il continue d’en arriver.

On pense cependant que l’un des administrateurs a été mouillé et a livré les codes du back-office du groupe. Si l’incriminé atteste qu’il s’est fait pirater son e-mail, nombreux sont les membres qui soutiennent plutôt la thèse de la corruption, estimant que si le PDG avait de si bons hackers, le compte et les blogs de Jean-Pierre Rougou, sociétaire de l’Union nationale, ou le blog de Petit-Lambert Ovono, analyste politique impétueux et aficionado d’André Mba Obame, auraient disparu en premiers.

Putsch sur Infos-Kinguélé

Se surnommant Putschiste Kinguélé, les nouveaux maîtres du groupe assurent qu’Infos-Kinguélé sera désormais consacré à la promotion du président Ali Bongo et de sa politique de l’émergence. Ils se plaignent de ce que, du fait de leur soutien à Ali Bongo, ils n’ont été que trop insultés sur ces pages web. Animées par des opposants dans l’âme ce groupe Facebook restait pourtant ouvert à toutes les orientations politiques. «Infos-Kinguélé est un groupe purement satirico-politique, il décortique les événements politico-politiciens mais aussi sociopolitiques, tous les secrets, les mensonges et les vérités sont étalées ici… Une agora ou les idées se choquent et s’entrechoquent», lit-on dans la présentation du groupe sur Twitter.

Les administrateurs originels ont cependant laissé la correction, au sein du groupe, aller un tout petit peu à la dérive. L’exacerbation et le paroxysme de cette pratique ont été atteints à travers ce qui a été publié au sujet de Michel O., un bloggeur bien connu et proche du pouvoir. Comme dans le Far-West, l’homme a littéralement été dénudé, couvert de goudron et saupoudré de duvet. Dans une attitude à l’antipode de leur charte, les administrateurs en ont ri plutôt que de supprimer le post. Si de tels faits ont été rares, ils ne constituent pas moins des précédents fâcheux pour les âmes sensibles ou revanchardes. Pour justifier leur forfait, les nouveaux patrons du groupe excipent d’ailleurs d’une inclination à l’injure contre les partisans de l’émergence.

Des fantasmes trop grands

Si Infos-Kinguélé est espionné, il n’est pourtant pas le lieu d’où, en son état actuel, peut partir une «Révolution Facebook», à l’instar de celle de la Tunisie où les réseaux sociaux ont permis de catalyser le ras-le-bol mais aussi d’organiser la résistance au régime Ben Ali. On peut certes sentir sur Infos-Kinguélé, une foi, un langage et un engagement révolutionnaire auprès des (anciens) administrateurs et de certains internautes, mais le groupe est trop ouvert du point de vue idéologique pour être le vecteur d’une énergie révolutionnaire. On n’en voudra pour preuve que le récent «Forum des indignés du Gabon», fortement promu sur ce réseau et qui, au finish, n’aura rassemblé qu’une centaine de personnes. Si une bonne partie des membres vit à l’étranger, on notera qu’il y a sur Infos-Kinguélé autant de partisans du parti au pouvoir, que d’opposants et de sans avis politique, mais surtout qu’il n’y a que des cyber-activistes petits bourgeois ne pouvant se permettre de battre le pavé. Tout comme on y note une propension à débattre sur des sujets sans réelle portée politique pour ce qui est de «participer à l’éveil des consciences, par la connaissance profonde de l’histoire et de la culture africaines ainsi que des enjeux et des problèmes profonds qui minent le Gabon et l’Afrique», ainsi que le groupe le revendique dans l’un de ses tweets.

Il n’y a donc pas d’enjeu politique d’envergure pour justifier un déploiement de moyens, financiers, technologiques ou humains, visant la récupération d’Infos-Kinguélé. Car, ainsi que l’ont écrit Kidi Bebey et Alex Ndiaye dans «Comment se débarrasse-t-on d’un dictateur ?», «sur Facebook, ce ne sont pas plusieurs centaines, ni plusieurs milliers, mais des millions d’amis que vous devez avoir», précisant que «deux millions de Tunisiens ont leur page Facebook… C’est la condition du succès : «l’effet feu de brousse qui se transforme en un gigantesque incendie.» Infos-Kinguélé, dont les administrateurs originaux rêvaient avant tout de franchir le cap de 10.000 membres, n’a donc pas la taille critique pour le moment.

Le groupe n’est pas pour autant inutile quant à la circulation de l’information et des idées. Grâce à la magie du smartphone et de l’Internet, c’est sur Infos-Kinguélé que circule toute l’information alternative et non officielle ; c’est sur Infos-Kinguélé que sont postés tous les communiqués de presse de l’opposition ou de la société civile ne pouvant être repris par les médias gabonais de service public ; c’est sur Infos-Kinguélé que sont postés les documents recelés, mettant au grand jour tel ou tel détournement, telle ou telle exaction ; c’est sur Infos-Kinguélé que les alertes de mouvements sociaux sont donnés le plus vite et c’est Infos-Kinguélé qui a permis la publication des photos, depuis leur cellule, des 19 étudiants de l’UOB arrêtés le 11 juin. Au début de chaque semaine, les administrateurs publient une chronique sociopolitique pouvant constituer pour l’observateur une bonne prise du pouls du Gabon. Autant de choses qui risquent de disparaître avec les cyber-putschistes qui viennent de prendre le contrôle du grand plus groupe gabonais de Facebook.

On peut cependant être assuré de ce que le groupe survivra malgré la réorientation annoncée par ceux qui ont pris le contrôle. Sur ses 7000 membres, Infos-Kinguélé liste quelques candidats à la présidentielle anticipée de 2009 au Gabon, des bloggeurs et analystes politiques de renommée certaine, des personnes hautement instruites, mais aussi de nombreux adolescents, pré ou post-baccalauréat, cherchant à se former au débat politique. Si Infos-Kinguélé n’est pas un vrai forum, il reste pour nombreux de ses membres un formidable lieu de rencontre et une plate-forme inouï pour ces commérages que les Gabonais nomment Kongossa. On parie cependant que les anciens administrateurs, aujourd’hui déposés, ne vont pas rester les bras en croix. Chaud devant !

* Les pirates sont les “bandits de grand chemin” de la mer. Ils pillent, volent, séquestrent pour leur propre compte. Les corsaires, au contraire, travaillent pour le Roi. Aujourd’hui, on les appellerait “mercenaires” ou “Forces spéciales”…

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