Il y a eu beaucoup de réactions de lecteurs aux billets que nous avons publiés au cours des 3 derniers jours. Les contorsions de l’entreprise Richard Attias & Associés, obligés de publier leurs recommandations très légères, qui d’ailleurs n’ont jamais été introduites au G20 (une lecture de ces recommandations pourrait vous faire comprendre pourquoi), ont amusé beaucoup de lecteurs qui, souvent nous ont envoyé des mails se résumant à ceci: « 7 milliards de francs CFA pour cela? J’aurais pu écrire ces recommandations gratuitement! » Les lecteurs ont également été particulièrement intéressé par l’immobilisme de l’opposition officielle, qui semble ne pas savoir ce qu’elle pourrait ou devrait faire, et un lecteur a suggéré que peut-être, le manque de leadership de l’opposition serait dû à une absence de vision stratégique en ce sens que l’opposition est l’image de reflet du régime: le régime avec ses effets d’annonce et l’opposition officielle avec les siens. L’équilibre parfait. Nous avons pensé à ce sujet et répondons à ce lecteur par les réflexions ci-dessous.
Les vidéos ci-dessus sont très intéressantes et même très instructives, en toute honnêteté. Elles renvoient un très bon exemple des discussions internes au sein de l’opposition et ces discussions sont très riches et indispensables. Le problème reste cependant qu’à aucun moment, l’opposition officielle ne présente un plan, une vision qui pourrait être considérée comme un guide, un phare, de la façon de procéder pour la conquête du pouvoir. Une opposition sérieuse devrait toujours garder à l’esprit que son existence même, dépend d’un seul objectif : la conquête du pouvoir. Tout le reste étant sans importance. Au Gabon, on a l’impression que l’opposition officielle est juste là pour être un petit irritant pour le régime, mais qu’il lui manque la confiance nécessaire pour faire preuve d’audace et de suffisamment d’assurance pour lancer des actions qui sont conçues pour prendre le pouvoir. Sans une mission claire, une puissante idée d’alternative pour le Gabon, une vision stratégique pour l’avenir, l’opposition officielle va tout simplement continuer la même danse et Ali Bongo pourra tranquillement préparer son fils à prendre le relais dans 25 ans. Il y a une différence entre un exercice académique de discussions philosophiques entre les membres de l’opposition et des consultations réelles sur la conquête du pouvoir. Ces vidéos sont plus philosophiques dans leur contenu, mais le peuple gabonais s’attend à bien plus que ça.
En affaires comme en politique, avoir une vision est essentielle au succès. C’est cette vision qui identifie le but à atteindre. Une fois la vision énoncée, les paramètres qui sont nécessaires pour que cette vision se matérialise, deviennent claire et peuvent être érigés. Les étapes intermédiaires sur la route menant à cette vision peuvent également être identifiées et bien ciblées. Les ressources nécessaires pour atteindre la vision peuvent également être déterminées. Donc, vous voyez chers lecteurs, sans une vision claire, le succès est très difficile car on ne sait pas ce qui doit être fait et dans quel but et objectif on le ferait.
Une bonne vision stratégique doit d’abord et avant tout être réaliste. Pour qu’une vision soit réaliste, il faut qu’elle soit très précise, viable et pas du tout vague et pleine d’incertitudes. Par exemple, une vision stratégique n’est pas une idée vague de l’avenir comme nous le voyons en permanence avec Ali Bongo. Quand il dit qu’il veut faire du Gabon un pays émergent, ce n’est pas une vision stratégique, mais une prière, un souhait, un espoir. C’est beaucoup trop vague pour être d’une vision stratégique concise et mesurable. Voici des exemples de bonnes visions stratégiques:
Nelson Mandela: Lorsque le Congrès National Africain a été créé en 1912, sa charte déclarait que son objectif principal, son but, sa mission était de mettre fin à la domination blanche et créer une Afrique du Sud multi-raciale. Lorsque Nelson Mandela est devenu son chef, il a fait de la vision de l’ANC, sa vision. En réponse à cette vision, les membres de l’ANC ont élaboré un programme d’actions appelant à des grèves en masse, à des boycotts, à des manifestations et à la résistance, parce qu’ils savaient où ils allaient. En raison de cette clarté, l’ANC a recruté plus de membres. Au cours de ses 27 ans de prison, la vision de Nelson Mandela est restée la même. Quand il a été libéré de prison, il a été en mesure de réaliser cette vision qui avait été formulée pour la première en 1912. Voici une vision stratégique forte. Ceci est en contraste avec les déclarations superficielles d’Ali Bongo de vouloir faire du Gabon un pays émergent, une déclaration totalement et rhétoriquement vide.
La Société Civile gabonaise libre: au cours de la dernière élection législative, la libre société civile gabonaise a développé un plan stratégique fort, de la façon dont cette élection allait être traitée. Elle a simplement dit: « Pas de biométrie, pas d’élection ». Très simple et très directe. Elle a fait campagne sur ce thème quand les élections eurent lieu, près de 90% de la population les boycotta. Un grand succès!
Le Forum des Indignés: Gregory Ngbwa-Mintsa le porte-parole de ce contre forum au New-York Forum Africa, a exprimé l’objectif de leur forum de la manière qui suit: « l’idée à la base est la réappropriation de notre souveraineté. Qu’est-ce que ça veut dire? Il est absolument et proprement scandaleux pour nous, qu’on fasse venir à grands frais et à coup de milliards, des gens qui ne connaissent rien du Gabon, qui vont prétendre décider de notre destinée à notre place; alors que nos aspirations sont considérées comme des troubles de l’ordre public. Il faut que nous les gabonais comprenions que les gens qui sont au pouvoir sont les serviteurs de l’état gabonais, sont nos serviteurs. Donc nous devons cesser de nous considérer comme leurs esclaves et eux comme nos maitres. Quel Gabon pour les Gabonais? C’est ça le sens du Forum des Indignés. » Une fois de plus ces citoyens gabonais libres ont formulé une vision forte et claire que tout le monde peut comprendre. Pas de brouillard, tout est clair.
En revanche, quand on demande quelle est la vision de l’opposition gabonaise officielle, quels sont leurs buts et objectifs, il est très difficile de trouver une réponse cohérente. En dehors de leur rhétorique habituelle sur les élections, ils ont tendance à ne rien faire d’autre, même pour satisfaire les besoins les plus élémentaires du peuple. Récemment, lorsque Marc Ona-Essangui et plus de 40 autres ont été arrêtés pour avoir organisé le forum des indignés, l’opposition officielle est resté très discrète. De même, lorsque les étudiants ont été arrêtés, c’est la société civile et des réseaux sociaux indépendants qui se sont impliqués. L’opposition officielle est restée léthargique. S’ils veulent vraiment détrôner Ali Bongo, ils ont une drôle de façon de s’y prendre. L’opposition officielle peut avoir de bonnes intentions, mais s’il lui manque la nécessaire vision et orientation pour élever le statut du peuple gabonais ; alors franchement, la rhétorique vide ne mènera nulle part. La population gabonaise entière sait que le régime Bongo utilise le pouvoir à 3 fins: piller le trésor public, mater toute dissidence et se perpétuer au pouvoir. Ainsi, la tyrannie est à l’ordre du jour pour la population gabonaise. Quelle est la stratégie de l’opposition officielle pour mettre fin à cette tyrannie qui étouffe les gens? Le boycott de l’élection locale est une bonne chose, mais certainement assez marginal. Une stratégie plus forte et mieux pensée est nécessaire.
Les Bongos sont restés au pouvoir au Gabon, non pas tant en raison de leurs compétences et ruse politique, mais en raison de la nature et des caractéristiques de ceux qui se sont opposés à eux. Une chose est sûre, les Bongos savent manier l’intimidation, les arrestations, les assassinats, la corruption ; ils cooptent facilement leurs ennemis en leur offrant des postes importants et des nominations ministérielles ; mais l’incapacité de l’opposition à être forte, ferme et résolue est le principal problème. Les Bongos ont prévalu pendant des décennies parce que les forces d’opposition contre eux ont été souvent faibles et parfois même non existantes. Cela doit changer! L’opposition a besoin d’un leadership qui est solide et qui a une vision claire ainsi que la capacité de la transmettre sans ambiguïté à la population. L’opposition a besoin de définir où veut-elle conduire le peuple et comment envisage-t-elle y arriver, et de communiquer cette destination clairement au peuple.