« Like New-York’s psychiatrits, norways economists find themselves specialising in the diseases of the rich », voici en quels termes la revue The Economist choisit de commencer, dans son numéro du 18 avril 1981, un article consacré aux problèmes posés à la Norvège par les revenus tirés du pétrole. Quelques années plutôt, cette même revue avait présenté le cas des Pays-Bas et décrit les conséquences que les exportations massives de gaz naturel avaient entraîné sur son économie, proposant même pour les désigner l’expression, désormais célèbre, de « dutch disease ». Cette expression de « dutch disease », « syndrome hollandais » ou encore « mal néerlandais » est apparue vers 1975, au moment où eurent lieu les débats relatifs aux problèmes que le pétrole de la mer du Nord risquait de poser à la Grande-Bretagne. Elle fait référence aux difficultés rencontrées par l’économie hollandaise suite à l’exploitation, dans les années 1970, des réserves de gaz naturel du gisement Slochteren. Cette référence à une certaine morbidité liée à l’exploitation d’une ressource naturelle peut surprendre et paraître paradoxale au sens où les expériences de moult pays pétroliers et miniers révèlent que la possession de richesses naturelles n’a pas toujours l’effet favorable escompté sur l’évolution économique. L’exploitation d’une ressource naturelle déclenche un processus d’ajustement aboutissant généralement au déclin des branches exposées à la concurrence internationale et à l’expansion des branches qui en sont abritées. Un boom (pétrolier ou minier) tendrait donc spontanément à compromettre tout projet d’industrialisation ou de diversification des exportations, aggravant ainsi la vulnérabilité ou la désarticulation de l’économie.
Relativement au Gabon, l’observation de son économie montre que ce serait un choc de ce type qu’il subit depuis la décennie 1970 à la suite de la flambée des cours internationaux du brut. Après le choc pétrolier de 1973-74, ce pays a connu les effets bénéfiques de transfert de revenus en provenance des pays acheteurs. Cependant, cet enrichissement s’est très vite paradoxalement accompagné d’effets sectoriels pervers (déclin des branches hors boom exposées à la concurrence internationale). Le syndrome hollandais s’y est caractérisé par un flux abondant de devises générées par les exportations du pétrole. Cette rentrée massive de devises (créances sur l’étranger et contrepartie externe de la masse monétaire) a provoqué, en dehors de toute politique de stérilisation monétaire (bancaire), un accroissement de la masse monétaire et des encaisses détenues par les agents non bancaires. À son tour, cette hausse des encaisses monétaires détenues par le secteur non bancaire a entraîné, via l’augmentation de la demande des biens abrités (bâtiment, secteurs protégés des imports, services publics ou privés…), une hausse du prix de ces derniers et donc, une appréciation du taux de change réel (TCR = R = S.PBE/PBNE). D’autre part, les secteurs exposés hors boom (sylviculture, mines, agriculture) ont accusé, du fait de la surévaluation du taux de change réel et de la perte de compétitivité-prix, un manque de rentabilité.
De la sorte, si le boom d’un produit (service) permet au pays producteur d’engranger des rentrées massives de devises, elle implique également sur ce dernier, un déclin de la compétitivité et un changement structurel de l’économie se caractérisant par une « désindustrialisation » dans les pays développés et une « désagriculturisation » dans les pays en développement.
Dans ce cadre, la vérification macroéconomique de cette maladie est faite à partir de l’analyse de l’évolution des agrégats économiques (exportations, PIB …) qui montre que le secteur hors pétrole (bois, mines, agriculture) a particulièrement souffert du boom pétrolier. L’appréciation du taux de change effectif réel (TCER) du franc CFA induite par la hausse du cours et de la production de l’or noir a brisé sa compétitivité-prix. Il s’en est suivi une atrophie de ce dernier dans les exportations totales (17,6% en 1990 contre 79,7% en 1960) pendant que le secteur pétrolier s’hypertrophiait (82,4% en 1990 contre 20,3% en 1960).
Plus précisément, avec le boom pétrolier en 1973-74, la contribution de la sylviculture dans les exportations totales n’a cessé de baisser durant la période de croissance des recettes pétrolières (1973-85). À cet égard, elle a vu sa part drastiquement chuter de 69,9% en 1960 à 30,2% en 1971 puis à 8,4% en 1990 et, a ainsi dû céder sa place de produit leader de l’économie gabonaise au pétrole.
Si la branche d’activité minière contribuait pour 22,1% dans les exports du Gabon en 1971, son poids au sein de cet agrégat a connu, avec le boom pétrolier, une baisse qui l’a stabilisée à 8,4% en 1990.
L’agriculture dont le poids au sein de l’économie était déjà faible a dû pâtir davantage des effets pernicieux de la baisse de compétitivité de l’économie et de la modification des prix relatifs. Avec cette dernière, la contribution du secteur agricole dans le total des exports est passée de 9,8% en 1960 à 0,10% en 1990. Malgré le leitmotiv du gouvernement gabonais de faire de l’agriculture, la « priorité des priorités » ou la « branche de base de développement », cette dernière a toujours été reléguée à la lisière de l’autosubsistance. Ainsi, le surplus agricole était prélevé par la différence entre le prix de vente sur le marché international et le prix d’achat (prix payé) au producteur. De fait, l’État-PDG-Bongo disposait d’une bonne partie du surplus agricole, surtout en période de bonne tenue des cours mondiaux. Cette stratégie de développement fondée sur le transfert du surplus agricole vers les autres branches d’activités n’aurait pas été, en soi, une mauvaise chose si la branche agricole d’export avait effectivement et systématiquement bénéficié en retour d’une part importante des investissements publics en vue de sa vulgarisation. Malheureusement au lieu de cela, l’expansion de la branche agricole d’export a plutôt été entravée par une mauvaise allocation des ressources. Pendant qu’elle ne bénéficiait que d’une faible part des investissements publics, ses revenus servaient prioritairement au financement des dépenses courantes improductives. De même, pendant que, au cours des hausses des prix agricoles, la caisse-cacao contrôlée par l’État-PDG-Bongo siphonnait le gros des profits des agriculteurs, ces bénéfices n’étaient plus réinvestis pour les agriculteurs lorsque les prix agricoles étaient baissiers. De fait, au lieu de « stabiliser » les prix à la production, ce plan a plutôt davantage pénalisé les producteurs.
À contrario du secteur hors-pétrole, l’ascendance du pétrole dans le commerce extérieur s’est imposée dès 1973-74 suite aux effets combinés du boom du cours et de la hausse de la production de l’or noir gabonais. La production du brut gabonais est ainsi, en tendance, passée de 5,7 millions de tonnes en 1971 à 18,2 millions de tonnes en 1995 (+219,3%) sous l’effet notamment de la découverte de l’important gisement de Rabi-Kounga. Le pétrole est ainsi devenu la première source de création de richesse nationale (29,1%) sur la période 1989-92.
Cette situation aurait pu être évitée si l’État-PDG-Bongo avait, via la BEAC en accord avec les autres pays membres (d’où, la nécessité du rapatriement de la souveraineté monétaire), demandé la stérilisation des réserves de change engrangées par le Gabon depuis 1973. Ces interventions stérilisées supposent une rupture de la séquence précédente au niveau de la relation entre les réserves (R) et la masse monétaire (M) ce, par deux actions essentielles. La première action aurait consisté à augmenter des réserves obligatoires de façon à agir sur la création de monnaie en abaissant le coefficient de base monétaire m (m = 1+k/k+r où k est le ratio billets/dépôts et r, le coefficient de réserves obligatoires). La seconde action aurait consisté à diminuer le refinancement ce, par une vente de titres sur le marché monétaire (politique dite de l’Open-Market).
Quoi qu’il en fût, les rentrées massives de devises conférées par le boom pétrolier au Gabon avaient fini, dans le contexte de leur non stérilisation, par doper fortement la demande intérieure. Cette surchauffe de la demande interne avait, face à l’offre inélastique du Gabon, fortement alimenté l’inflation, fait apprécier le taux (effectif) de change réel et engendré le déclin des activités d’exports autres que le pétrole (secteur en boom).
Il est apparu trois emplois essentiels des revenus issus du boom pétrolier qui ont, au travers de la hausse de la demande, entraîné une forte élévation du niveau général des prix (inflation).
Le premier emploi a été l’accroissement le plus infondé de l’emploi public, des salaires et autres avantages des agents de l’État-PDG-Bongo. Il apparaissait, aux yeux de beaucoup d’analystes que l’administration publique gabonaise était pléthorique, avec un absentéisme rampant et des salaires sans réelle contrepartie productive. Cette situation était liée au cadre sociopolitique créé par O. Bongo qui a eu des effets pervers au Gabon (tribalisation de la société, népotisme…). Dès lors qu’un chef d’État était coopté d’une ethnie par la Françafrique, tous les membres de cette dernière devenaient autant de petits chefs d’États et se retrouvaient, çà et là, à la tête des administrations centrales, des entreprises publiques et parapubliques, jaloux de leurs privilèges comme le titulaire de la fonction ». Pour satisfaire leurs parents et amis, la classe dirigeante a illicitement créé des emplois « fictifs » rémunérés par l’État. Par mimétisme, il a résulté, dans tous les compartiments de l’activité humaine, une géopolitique et une tribalisation outrancière de la société qui ont fait du secteur public, le déversoir de toute une main-d’œuvre le plus souvent inculte ou incompétente. Le recrutement s’y fait non sur la base des compétences individuelles mais plutôt sur des critères familiaux, tribalistes, occultes voire sataniques (crimes rituels ; inceste sur filles, fils, sœurs, frères et mères ; entrée dans des loges lucifériennes ; métamorphose en animal…). Cette situation a donné lieu, au Gabon, à l’émergence de la kleptocratie (achat, par l’usurpateur A. Bongo 9%, d’un hôtel particulier à Paris de 65 milliards francs Cfa ou d’un parc automobile de 29 voitures de luxe pour 10 milliards francs Cfa payés par le Trésor public gabonais mais non inscrit au budget de l’État).
Le deuxième emploi de la manne pétrolière a été le financement d’une série de projets urbains. Les plus extravagants avaient été entrepris dans le cadre de la tenue du sommet de l’OUA à Libreville en 1977. Pas moins de la moitié du budget de l’État avait été affecté aux frais de construction, contribuant largement à la crise fiscale et à l’adoption forcée du premier programme d’austérité du FMI en 1978. Au nombre de ces coûteuses constructions figurent le second palais présidentiel ou le chemin de fer Transgabonais qui devait relier le port d’Owendo à Moanda et Franceville avec un coût estimatif global d’environ 4 milliards USD sur la période 1973-86 ce, en vue d’accroître l’extraction des ressources naturelles telles que le bois, le manganèse et le minerai de fer. Mais, la Banque mondiale avait refusé son appui technique et financier, arguant du manque de rentabilité. Seul le boom pétrolier conjugué aux crédits provenant principalement de sources bilatérales a financièrement permis à l’État-PDG-Bongo de réaliser cette ambition.
Le troisième emploi de la manne pétrolière a été le subventionnement permanent de l’ensemble des entreprises publiques parapubliques déficitaires car très mal gérées par les affidés de l’État-PDG-Bongo. Ces derniers recevaient de colossales subventions pour couvrir les déficits de ces entités étatiques courants quand elles n’étaient pas simplement détournées pour financer des dépenses futiles dans des casinos et autres lupanars.
Dr Jacques Janvier Rop’s Okoué Edou,
Secrétaire exécutif adjoint au BDP-Modwoam chargé des Affaires économiques et de la mondialisation
Doctorant en Sciences politiques,
MAP – Évaluation des programmes publics,
DESS en Administration des Affaires,
Pr d’économie à l’UQAR et au Cégep de Limoilou,
Consultant international (BTO Groupe Consultants).