À une semaine de la grande rencontre des chefs d’État et de gouvernement africains d’Addis-Abeba dans le cadre de la 19e session ordinaire de l’Union africain, le président de la commission conférence du Club UA de l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric), Fridolin Martial Fokou, a mené une réflexion sur le blocage au sein de la commission de l’UA dû à la difficulté à s’accorder sur le choix du président de commission depuis déjà six mois.
Après l’échec du sommet du 23 janvier dernier à Addis-Abeba durant lequel les chefs d’État de l’Union Africaine n’avaient pas pu départager les deux prétendants en lice (le Gabonais Jean Ping, président sortant, et la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini- Zuma ,ex-épouse de Jacob Zuma et ministre de l’Intérieur de l’Afrique du Sud), l’Afrique se réunit de nouveau les 15 et 16 juillet prochains pour trancher (le 19e sommet qui devait se tenir à Lilongwe, au Malawi, a du être relocalisé au siège de l’UA, la présidente du Malawi, Mme Joyce Banda, ayant refusé la présence du président soudanais, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international de la CPI, et sur pressions de la Grande-Bretagne).
D’autres points aussi importants et d’intérêt capital pour la bonne marche du continent, au-delà de la question de l’élection des instances de l’UA, seront abordés. Entre autres, la situation au Mali, la crise entre les deux Soudan, la recrudescence des violences dans l’est de la RDC, la guerre froide entre le Rwanda et la RDC, le processus de pacification de la Somalie, la crise économique en Occident, dont le continent est tributaire, ainsi que le prochain somme Chine-Afrique.
Dans sa réflexion menée sur la question de la succession à la tête de la commission de l’UA, Fridolin Martial Fokou interprète, sous deux axes le scénario de blocage au sein de l’institution panafricaine, notamment les divergences linguistiques et la crise existentielle.
Concernant les enclaves régionales comme source de blocage, souligne Fridolin Martial Fokou, «la lecture des évènements d’Addis-Abeba fait ressortir en toile de fond l’existence d’enclaves régionales au sein de l’organisation panafricaine. En effet, il a été donné de constater lors de cette élection une double opposition entre la Southern African Development Community (SADC) d’une part et le couple Cemac-CEEAC d’autre part qui aura contribué à cette situation d’immobilisme. Face à la force dissuasive de la diplomatie de l’Afrique australe (en témoigne la forte mobilisation lors du 4e tour de l’élection avec l’abstention observé par les pays membres de la SADC, l’Afrique centrale est apparue en perte de repères et même de solidarité régionale (un pays comme la RDC ayant voté pour la candidate sud-africaine. On peut voir dans cet acte des récompenses politiques du soutien sud-africain à la réélection contestée du président Kabila)».
«D’un autre côté, l’on a pu relever l’opposition entre la SADC et la Cedeao par l’entremise de l’Afrique du sud et du Nigeria. Cette opposition entre les «deux grands du continent» laisse percevoir l’irruption des “intérêts nationaux” sur le champ de “l’intérêt communautaire”. Le comportement de ces deux puissances témoigne de ce que l’intérêt communautaire est sacrifié, et avec lui l’idéal panafricain, à l’autel des égoïsmes partisans. On aura eu davantage l’impression que le poste probable de membre permanent du Conseil de sécurité semble plus préoccuper ces puissances que la réalisation des idéaux panafricains», poursuit-il.
En ce qui concerne les divergences linguistiques comme source de blocage, «voilà l’argument qu’on aura le plus entendu marteler à Addis-Abeba pendant deux jours. L’UA a donc fait les frais de l’opposition Afrique francophone-Afrique anglophone, qui aurait ainsi eu raison de l’élection du Président de la Commission. Si “la langue est le facteur par lequel l’Afrique pourrait réaliser son unité” (Cheikh Anta Diop), il n’en demeure pas moins que dans ce cas de figure, “le poids du passé pèse de tout son poids” (Philippe decraene). La bataille du poste de président de la commission de l’UA s’est donc limité à la logique de savoir si «ton colonisateur est plus fort que le mien» tel qu’a voulu se défendre madame Zuma. Mais, au-delà, ce clivage linguistique est un élément dangereux dans la mesure où il pourrait, s’il est consolidé comme logique d’analyse, créer des dissensions au sein de l’organisation panafricaine. En effet, que dire de l’Afrique lusophone, hispanique ou encore Arabe. Arrêtons de brandir le spectre des irrédentismes au sein de l’institution car nul n’est partisan d’une division des intérêts au sein de cette organisation», a martelé Fridolin Martial Fokou.
L’autre angle de la réflexion menée sur la crise que traverse l’institution panafricaine actuellement peut-être assimilée à «une crise existentielle» dont la définition illustre à propos le phénomène qui habite l’UA aujourd’hui. En effet, cette crise se définie comme «un phénomène, un évènement, un fait qui se produit à chaque séquence de la vie d’une organisation et qui en altère la visibilité et le fonctionnement».
«L’UA a fait preuve tout au long de son existence d’un problème à chaque fois qu’il aura fallu renouveler le mandat de ses organes dirigeants. Le blocage d’Addis-Abeba n’est de ce fait qu’un cas parmi tant d’autres. Il faut pour s’en rendre compte remonter à 2008 au moment de l’élection de monsieur Jean Ping. Le problème était certes différent, mais la récurrence de la crise était perceptible. Tout comme l’était la réélection des Secrétaires Généraux de l’OUA (il faut rappeler ici les cas des Sieurs Diallo Telli, Edem Kodjo, Nzoh Ekah Ngaki, Amara Essy…). À l’analyse donc, le problème de renouvellement s’est toujours posé à l’organisation. Sinon, comment comprendre la double appréciation de l’arrivée et du départ d’Alpha Omar Konaré à la tête de la commission de l’UA», relève le président de la commission conférence du Club UA de l’Iric.
Les pistes de sortie de crise proposées par Fridolin Martial Fokou laissent transparaitre en toile de fond les problématiques du rôle et de la fonction de président de la commission, et celle de la toute puissance de l’organe plénier qu’est la Conférence des chefs d’État et de gouvernement.
C’est dans cette optique que la conférence des chefs d’État de l’UA avait décidé de nommer un panel de chefs d’État de huit membres connus sous le vocable du G8 des chefs d’État de l’Union Africaine (5 représentants des grandes régions du continent, les présidents de l’Union Africaine (Yayi Bony du Bénin, Ali Bongo du Gabon et Jacob Zuma d’Afrique du Sud) pour trouver des compromis qui, malgré des rencontres multipliées sous l’égide du président en exercice de l’UA, n’ont fait qu’accoucher d’une souris à cause des positions diamétralement opposées entre les pros Ping qui ont dû s’affronter verbalement avec les pros Dilami Zuma.
Tout compte fait, le prochain sommet s’annonce houleux face à l’impasse et au manque de consensus au niveau du G8 des chefs d’États Africains.