Partie 2 – Une quasi-explosion de la dette publique gabonaise dès 1986 selon les ratios de gestion de la Banque mondiale
Le risque pour le recours systématique à l’endettement de conduire à des charges, service et encours de la dette explosifs et de compromettre, à terme, le développement d’une nation a amené la Banque mondiale à mettre sur pied des critères (ratios) de gestion de la dette. Il s’agit notamment des ratios encours de la dette/PIB, encours de la dette/recettes d’exports, service de la dette/recettes d’exports et intérêts/ recettes d’exports.
Selon le ratio encours de la dette/PIB, un pays est dit lourdement endetté si ce rapport est supérieur à 50%. Il est dit moyennement endetté si le rapport est compris entre 30 et 50%. Enfin, il est dit faiblement endetté si le rapport est inférieur à 30%. Et, selon le ratio encours de la dette/recettes d’exportations, un pays est dit lourdement endetté si ce rapport est supérieur à 275%. Il est dit moyennement endetté si le rapport est compris entre 165% et 175%. Enfin, il est dit faiblement endetté si le rapport est inférieur à 165%.
Dans le cadre spécifique des ratios encours de la dette/PIB encours de la dette/recettes d’exportations, l’analyse de l’évolution de la dette publique gabonaise montre que si la politique d’endettement a été soutenable de l’indépendance à 1985, cette dernière est plutôt devenue insoutenable à partir de 1986, compromettant ainsi le développement du Gabon.
En effet, seulement au cours des deux décennies qui ont suivi son “indépendance”, beaucoup de programmes économiques et sociaux (écoles, routes, hôpitaux…) ont effectivement été réalisés et ont ainsi expliqué la hausse régulière de son PIB.
Ainsi, de 89,5 milliards francs CFA en 1970, le PIB nominal est passé à 462,4 milliards francs CFA en 1975 puis, à 968,9 milliards francs CFA en 1980 et enfin, à 1.825,4 milliards francs CFA en 1985. De son côté, la dette publique est passée de 37,1 milliards francs CFA en 1970 à 195,8 milliards francs CFA en 1975 puis, à 500,7 milliards francs CFA en 1980 et enfin, à 455,9 milliards francs CFA en 1985.
Pour corroborer la corrélation positive entre la dette publique et le PIB, il a été élaboré ce modèle économétrique (les chroniques de ces deux variables, DETPUB et PIB, vont de 1970 à 1985 et elles ont été tirées du Tableau de bord de l’économie gabonaise, situation 1998, perspectives 1999-2000).
PIBt = C + aDETPUBt + Ut tels que PIBt = Produit intérieur brut en valeur = variable expliquée = variable endogène, DETPUBt = Dette publique = variable explicative = variable exogène, a = Paramètre exprimant le comportement du PIB suite à une variation de la dette, C = Constante, Ut = Résidu, T = nombre d’observations = 16, k = nombre de variable(s) explicative(s) (terme constant y compris) = 2, T-k = 16-2 = 14 ddl (nombre de degrés de liberté), β = 1-α = seuil de confiance = 95% et α = risque d’erreur du test = 5%.
Il est ressorti, de cette étude, ce modèle estimé.
PIBt = – 39.71 + 2.933 DETPUBt + et
(-0,203) (4,738)
Le coefficient de corrélation linéaire (RD,P = 0,784) montre que les variables DETPUB et PIB sont positivement et assez fortement corrélées (la relation linéaire entre ces dernières est assez bonne sur la période 1970-85 avec un coefficient directeur = a = 2,933 > 0 qui a le signe positif escompté). La statistique t de Student, à l’exception de celui du terme constant (C), de la dette publique a une probabilité critique inférieure à 5%. Son coefficient est donc significativement différent de 0. La statistique F de Fisher (F-statistic = 22,38) indique que le modèle est globalement significatif ou bon. La variable explicative, DETPUB, est significative puisque la probabilité critique (probabilité d’acceptation de l’hypothèse H0) du test est inférieure à 5%.
Cependant, la statistique d de Durbin-Watson (d = 0,316) est médiocre. Pour m (nombre de variables explicatives) = 1, T (nombre d’observations) = 16 et α = 0,05 = 5%, il est obtenu d1 = 1,10 et d2 = 1,37 avec 0 < d = 0,316 < d1 = 1,10, ce qui laisse présager une autocorrélation positive des résidus (erreurs) c’est-à-dire une sous-estimation de notre modèle. Il faut donc déterminer une procédure adéquate d’estimation.
Dans ce cadre, afin d’écarter tout risque de « régression fallacieuse » (spurious regression) et de stationnariser les séries, il a été procédé à l’application de la méthode des MCO sur le modèle en différence première.
D(PIBt) = aD(DETPUBt) + C + et
Il est ressorti, de cette nouvelle étude, ce modèle estimé.
D(PIBt) = 0.351D(DETPUBt) + 105.92 + et
(0.634) (2.849)
Dans ce cadre, pour m (nombre de variables explicatives) = 1 et T (nombre d’observations) = 15 et α = 5%, il est obtenu d1 = 1,08 et d2 = 1,36. Dès lors, la statistique d de Durbin-Watson étant de 1,453 (d = 1,453), il se dégage donc bien d2 = 1,36 < d = 1,453 < 4 – d2 = 2,64. D’où, l’acceptation de l’hypothèse Ho : ρ1 = 0 d’indépendance des résidus et l’arrêt de l’étude économétrique.
Au-delà de cette étude économétrique, seulement donc au cours de la période 1970-85, la politique d’endettement de l’État était soutenable. Le Gabon était selon, le ratio encours dette/PIB, un pays modérément endetté en ce sens que la dette publique a le plus souvent absorbé 30 à 50% du PIB. Et, il était, selon le ratio encours dette/recettes d’exportations, un pays faiblement endetté en ce sens que la dette publique a toujours absorbé moins de 165% des recettes d’exports de ce pays.
Toutefois, à partir de 1986, le Gabon s’est progressivement enfermé dans l’engrenage de l’endettement. Les ratios de son endettement qui, avant 1985, étaient à des niveaux raisonnables sont devenus explosifs.
Ainsi, le ratio encours de la dette/PIB était de 46% en 1986, 76% en 1988, 64% en 1990, 64% en 1992, 92% en 1994, 75% en 1996, 90% en 1998, 92% en 2000… De la sorte, il a le plus souvent été supérieur à 50%, ce qui symbolisait, pour le Gabon, une situation de pays lourdement endetté.
Le ratio encours de la dette/recettes d’exportations était, lui, de 168% en 1986, 241% en 1988, 139% en 1990, 157% en 1992, 167% en 1994, 131% en 1996, 203% en 1998 et 121% en 2001… De la sorte, il a le plus souvent été compris entre 165% et 275%, ce qui symbolisait, pour le Gabon, une situation de pays modérément endetté.
À la question de savoir ce qu’il a été fait de cette dette contractée, il apparaît que sa malveillante gestion par le syndicat du crime organisé au pouvoir a conduit ce pays à tourner ostensiblement le dos au développement en raison des nombreux détournements des deniers de l’État opérés par les kleptomanes au pouvoir.
En effet, pendant que les dépenses d’investissements publics connaissaient une baisse substantielle, annuelle moyenne, de 31,8%, sur la période 1985-90, la dette publique a, elle, connu sur la même période un taux de croissance annuel moyen de 12%. Du coup, la part de la dette consacrée à l’investissement public (FBCF publique/dette publique) enregistrait une chute drastique qui a été, en moyenne annuelle, de 38,4% sur la période 1985-1990 (20% en 1970, 22% en 1971, 16% en 1972, 20% en 1973, 50% en 1974, 70% en 1975, 85% en 1976, 43% en 1977, 22% en 1978, 24% en 1979, 16% en 1980, 35% en 1981, 44% en 1982, 58% en 1983, 73% en 1984, 79% en 1985, à 24% en 1986, 6% en 1987, 3% en 1988, 3% en 1989, 4% en 1990…).
Ainsi, il se dégage que les énormes ressources financières contractées par endettement, au lieu d’être orientées systématiquement vers le financement des dépenses d’investissements productifs pouvant générer les ressources nécessaires au remboursement de la dette et assurer le développement du Gabon, ont plutôt été massivement détournées par les voleurs et buveurs du sang humain au pouvoir (adeptes des crimes rituels et du satanisme), et mises à l’abri dans des paradis fiscaux ou futilement dépensées dans des bordels et casinos.
Or, en détournant ces ressources empruntées pour l’investissement productif, le régime criminel et incompétent des Bongo a empêché les deux effets de l’investissement (effets de revenu et de capacité) de mettre le Gabon sur le sentier de la croissance équilibrée et ainsi bloqué son développement économique et social dès 1986.
En effet, l’étude du modèle de croissance postkeynésien développé par E. Domar montre que la croissance (équilibrée) de long terme d’une économie repose sur les deux effets de l’investissement que sont l’effet de revenu et l’effet de capacité productive. Il estime que pour qu’il y ait équilibre dynamique d’une économie, il faudrait tout simplement que la masse supplémentaire de revenu créé par l’accroissement de l’investissement (via l’effet multiplicateur) permette d’absorber la masse supplémentaire de biens produits par l’accroissement de la capacité de production. Autrement dit, il faudrait que l’effet de revenu ou keynésien soit égal à l’effet de capacité.
Somme toute, si la dette contractée avait été toujours orientée vers les dépenses d’investissement(s) productifs, elle aurait généré une création de richesse importante et suffisante pour assurer le développement du Gabon, rembourser les ressources empruntées et sauver les gabonais(e) de la mort précoce actuellement.
Heureusement que nous mourons tous et qu’une dictature ne peut durer mille ans !
Dr Jacques Janvier Rop’s Okoué Edou,
Secrétaire Exécutif Adjoint du BDP-Modwoam chargé des Affaires Économiques, du Développement et de la Mondialisation,
Doctorant en Sciences politiques,
MAP – Évaluation des programmes publics,
DESS en Administration des Affaires,
Pr d’économie à l’UQAR et au Cégep de Limoilou,
Consultant international (BTO Groupe Consultants)