Alors que la crise semble s’aggraver entre les têtes d’affiche du pouvoir et celles de l’opposition déclarée, on commence à se demander si le jeu politique national n’est pas occulté par une simple montée en puissance de quelques égos. Car pour se déclarer représentatif de l’opinion d’une partie du peuple gabonais, il faut tout de même être capable d’apporter quelques éléments de preuve. Le simple verbiage ne suffit pas, sauf à choisir de se ranger dans le camp des populistes, ce que personne n’avoue, évidemment, ouvertement.
Il est inutile, au Gabon, de chercher à mesurer la représentativité d’une personne ou d’un parti dans le résultat d’une élection libre et transparente. Tout simplement parce que ceux qui sont, et qui furent, au pouvoir n’ont jamais fait l’effort de parvenir à ce point de la démocratie où les résultats issus des urnes ne sont plus contestables. Et à ce titre, la faute en revient autant à ceux qui s’en plaignent aujourd’hui qu’à ceux qui s’en réjouissent. Pourtant, on ne pourra parler de vie politique assainie que lorsque les forces en place, les hommes comme les partis, pourront être jugées sur leurs forces respectives et les appuis dont ils disposent.
Après 50 ans de quasi monopartisme et d’un semblant de consensus national, le décès d’Omar Bongo a bouleversé la donne politique. Non pas que les succès électoraux du président décédé furent indiscutables ou indiscutés, mais parce que son leadership politique, lui, ne l’était pas, ou très minoritairement. Le pouvoir était, de fait, assez largement ouvert aux éventuels opposants qui, à l’exception de Pierre Mamboundou, finissaient par rentrer dans le rang après quelques discussions et concessions. L’argent était certes un argument de taille, mais ce n’était pas le seul.
Depuis l’élection de 2009, la situation est beaucoup moins claire. D’abord, sans doute, à cause du processus électoral lui-même. Transparente ou pas, cette élection a nommé un président élu avec le tiers des voix des votants. C’est évidemment suffisant légalement, mais cela rend fragile le pouvoir qui en est issu lorsque ses décisions sont contestées. Ensuite, parce que le PDG, parti relativement monolithique jusque là, s’est allégé d’un grand nombre de dirigeants Enfin parce que la contestation du résultat des élections par certains candidats malheureux n’a pas été contrée par une attitude exemplaire des autorités chargées de valider les résultats. La répression des contestations a été brutale et a accrédité l’idée que leurs colères n’étaient peut-être pas infondées.
Trois ans plus tard, et après quelques péripéties, les uns et les autres montent le ton, s’affirmant représentatifs de la majorité du peuple gabonais. Sauf que c’est très contestable de la part des uns et des autres.
Faute d’avoir convaincu, le pouvoir en place est indéniablement critiqué pour n’avoir pas su améliorer les conditions de vie des gabonais qui, à tort ou à raison, ont le sentiment de voir leur pouvoir d’achat chuter inexorablement. Crise internationale ou pas, les effets de l’Émergence promise sont encore mystérieux pour la majorité des citoyens. Le manque de logements, la montée du chômage et de la paupérisation, l’absence de visibilité à court terme sur les engagements du gouvernement et la lenteur des réformes attendues sont autant de bonnes raisons de s’inquiéter. Certes le Gabon est loin d’être le seul pays à endurer ces difficultés, mais les discours victorieux et suffisants des hommes au pouvoir agace indubitablement. Si des progrès sont patents, ils sont loin d’être suffisants aux yeux des gabonais.
Les opposants déclarés, c’est-à-dire l’Union nationale et ses alliés, ne sont, à l’évidence, pas isolés. Ils ont des militants et leurs meetings attirent du monde. Ils n’ont, pour autant, pas encore convaincu les foules. Leurs diverses tentatives de bomber le torse en appelant la population à se rebeller contre le pouvoir en place n’ont guère été suivies d’effets. Certains d’entre eux y voient le résultat d’une «terreur» entretenue par la présidence, d’une «militarisation» de la République, d’une «dictature» qui ne dit pas son nom. Là encore, tous ces adjectifs semblent exagérés, voire opportunistes, lorsqu’ils sont assénés pour comparer la situation du Gabon avec la Côte d’Ivoire en 2010, avec la Tunisie en 2011 puis la Syrie en 2012. Ce ne sont, aux yeux des populations, que des effets de manche bien peu en rapport avec leur expérience quotidienne. Jusqu’à présent, quelles qu’en furent les raisons, les appels à la révolte de l’opposition ont toujours été ignorés.
Est-ce pour autant que les deux principales forces politiques du pays qui s’opposent aujourd’hui ne sont pas représentatives du tout ? Non, certainement pas. Mais rien ne permet de mesurer leur poids respectif. Et le refus des représentants de l’Union nationale d’aller aux élections lors des législatives de 2011 a renforcé cette opacité. Le PDG est ultra majoritaire à l’Assemblée nationale, mais par défaut, ce qui ne lui confère pas une véritable représentativité non plus.
La présidence déclare qu’il n’y a pas de crise politique au Gabon. L’opposition maintient avec force le contraire. Et la population semble s’en désintéresser… Échaudée, peut-être, par la mémoire d’un passé qui l’a vue payer le prix fort chaque fois qu’elle a voulu suivre un homme qui lui promettait justice et liberté pour, au final, ne prendre en compte que son propre intérêt. Mais ce jeu de dupes, qui ne passionne pas les foules, masque la montée d’une véritable colère qui semble échapper à tous les leaders politiques : celle d’un peuple qui a perdu son optimisme et qui ne croit plus en son avenir. Un peuple qui commence à gronder quand ses enfants commencent à avoir faim, quand l’école devient impossible à payer, quand le travail ne permet plus une vie décente. La patience est à bout chez bien des gabonais, et sans changements visibles et concrets, il n’est pas évident que les trois prochaines années seront aussi calmes que les trois précédentes. Sans représentants, sans voix dans les centres de décision et de pouvoir, les peuples finissent par prendre la parole dans la rue et cela finit rarement bien.