L’opposition voit dans ce départ, après celui de plusieurs généraux, un signe que le régime se désagrège.
Mauvaise journée pour le régime syrien. Lundi, le premier ministre a fait défection et une bombe a frappé le siège de la radiotélévision d’État, en plein cœur de Damas. Le premier ministre, Riad Hijab, est passé en Jordanie dans la nuit de dimanche à lundi, confirmant sa défection dans un communiqué lu par un porte-parole: «J’annonce aujourd’hui que j’abandonne ce régime terroriste et criminel et que je rejoins les rangs de la révolution pour la liberté et la dignité. J’annonce aujourd’hui que je suis un soldat de la sainte révolution.» Il a, par ailleurs, accusé le pouvoir de «génocide».
Le transfuge devait se rendre au Qatar, l’un des États arabes les plus opposés au gouvernement syrien.
Il s’agit du plus haut personnage de l’État à faire défection depuis le début de la révolution. Le régime de Damas avait tenté de prendre les devants en affirmant que Riad Hijab avait été limogé. Nommé il y a à peine deux mois, il n’aurait en fait accepté le poste que parce que le régime, selon lui, ne lui avait pas laissé d’autre choix: occuper le poste ou être exécuté.
Avant de quitter le pays, Riad Hijab a dû s’assurer que toute sa famille pourrait partir avec lui, afin d’éviter la vengeance de la dictature. Le transfert, délicat, a été organisé par l’Armée syrienne libre, avec l’aide de complicités sur lesquelles elle ne souhaite pas s’étendre. «L’opération a été très difficile car le premier ministre était placé sous haute surveillance, assure Fahd el-Masri, responsable de la communication du Commandement conjoint de l’Armée syrienne libre de l’intérieur (ASL). Nous avions établi depuis environ deux mois des contacts à travers des intermédiaires. Ses huit frères, ses deux sœurs, et tous leurs enfants ont d’abord été évacués discrètement. Il est passé le dernier.»
Selon le porte-parole, le régime a eu vent de la fuite de Riad Hijab et a lancé des bombardements aériens à la frontière avec la Jordanie là où elle anticipait le passage. «Mais il a emprunté une autre route», ajoute Fahd el-Masri. Le premier ministre aurait été accompagné de deux autres ministres et de trois généraux, affirmait lundi le Conseil national syrien (CNS), l’une des organisations de l’opposition. Cette défection de deux autres ministres a été démentie par le ministre syrien de l’Information qui a affirmé que le nouveau chef du gouvernement intérimaire, Omar Ghalaouandji, avait tenu lundi une première réunion de son gouvernement à laquelle «tous les ministres étaient présents».
La hiérarchie réelle du système
Certes, dans la hiérarchie réelle du système syrien, où la famille du président exerce la réalité du pouvoir avec les chefs des différents services de renseignement, Riad Hijab n’était pas le vrai numéro deux. Mais son départ représente néanmoins un énorme échec pour Damas. Le transfuge, de confession sunnite contrairement au noyau dur du pouvoir, centré sur la communauté alaouite, faisait partie de la façade institutionnelle du régime. Il avait été nommé dans la foulée des élections de mai, qui prétendaient participer à l’application de «réformes» du système politique.
En outre, la défection de Riad Hijab n’est pas isolée. «Une dizaine d’officiers de haut rang et des centaines de soldats ont fait dissidence depuis trois jours», ajoute le porte-parole, qui annonçait lundi le départ d’un important général alaouite, dont le nom ne pouvait pas encore être révélé. Au chapitre des dissidents, il faut aussi compter les chefs de la police de Lattaquié et de Homs, qui auraient, eux aussi, abandonné leur poste, et surtout le passage à la révolution, il y a deux jours, d’un haut personnage sécuritaire, le colonel Yaroub al-Charaa, cousin du vice-président Farouk al-Charaa, et responsable de la branche information de la Sécurité politique. Sans oublier le général Mohammed Ahmed Fares, premier cosmonaute syrien à bord d’un vol soviétique en 1987, arrivé en Turquie dimanche.
À bout de souffle
Le départ de Riad Hijab a été salué par le président du CNS, Abdel Basset Sayda. Selon lui, il signifie que «le régime se désagrège». Pour un officiel américain de haut rang, Bachar el-Assad a «perdu le contrôle» de la Syrie. Même analyse du ministre des Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle, pour qui la défection monte «à quel point l’érosion du régime est avancée». Dans ce contexte, l’explosion d’une bombe lundi matin au troisième étage de la radiotélévision officielle témoigne elle aussi d’une dégradation de la sécurité au cœur du régime.
Le bâtiment est situé sur la place des Omeyyades, près de la grande mosquée historique de la capitale, dans un quartier ultraprotégé. Pour pénétrer dans l’immeuble, il faut passer plusieurs contrôles des services de sécurité. Le ministre de l’Information a dénoncé pêle-mêle le Qatar, la Turquie, l’Arabie saoudite et le Mossad, les services secrets israéliens.