Faute de faire baisser les prix dans les commerces, la mesure prise par le gouvernement de Ndong Sima de suspendre les contrôles dans les boutiques semble, comme c’était prévisible, avoir laissé libre cours aux pires pratiques commerciales dans la capitale. Les produits périmés et impropres à la consommation sont introduits dans les étalages, les escroqueries se multiplient et certains petits malins en profitent pour racketter les commerçantes des marchés.
Le 3 août dernier, suite à une rencontre avec les syndicats qui se plaignaient de l’inflation insupportable des prix, le Premier ministre avait annoncé la suspension des contrôles dans les commerces afin d’alléger leurs charges dues à la parafiscalité. Trois semaines plus tard, non seulement les prix n’ont pas baissé, mais l’absence de contrôle a multiplié les abus de la part de certains commerçants. Il devient courant, depuis quelques semaines, de trouver des embryons de poussins dans les œufs, des sodas, des biscuits, des conserves, des yaourts périmés ou sur le point de l’être, des surgelés visiblement décongelés puis recongelés, du pain ayant mystérieusement maigri, etc.
Ces pratiques ne se limitent pas aux petits épiciers plus ou moins informels. De grandes enseignes s’en rendent coupables elles aussi. Il n’est plus possible de faire ses courses sans inspecter minutieusement les étiquettes, chercher la date de péremption et inspecter avec soin les produits frais avant de les cuisiner.
La qualité de certains articles a aussi drastiquement baissé. On commence à trouver des contrefaçons de marques de riz, des pâtes vendues quelques francs de moins mais d’une qualité médiocre, au point d’être parfois immangeables, des légumes flétris et rafraîchis artificiellement, du poisson dont on peut douter de la fraîcheur. On peut aussi douter de la précision des balances maintenant que plus personne ne vient les contrôler à l’improviste.
A ces malversations pouvant entraîner des problèmes sanitaires sérieux, s’ajoute la multiplication des rackets sur les marchés auprès des commerçantes informelles. La plupart d’entre elles payaient, jusqu’à présent, un droit quotidien auprès de fonctionnaires de la mairie dans un cadre plus ou moins légal mais faisant l’objet d’un compromis tacite. L’une d’elle raconte ce qui a changé : «Avant, un employé de la mairie venait le matin et à midi et on lui payait la taxe, 500 ou 1 000 F suivant l’espace qu’on occupait. Il nous donnait un ticket et on était tranquille pour travailler. Maintenant, ce sont des jeunes qui se disent policier, mais on n’en sait rien ! Ils ne nous montrent pas leur carte. Ils prennent un soulard et ils lui demandent de venir nous demander de payer. C’est 500 ou 1 000 F, 4 fois par jour, jamais les mêmes. Les reçus c’est n’importe quoi, ceux qu’on peut acheter au kiosque, sans tampon. Si on ne paie pas, ils s’énervent, nous menacent. Ensuite ils viennent à 3 ou 4 et prennent nos produits pour les brûler, puis ils nous chassent. Si on proteste, ils nous frappent même. Ils savent qu’on ne peut pas aller se plaindre parce qu’on n’a pas toutes des papiers. On dit que c’est les nouvelles recrues de la police parce qu’ils sont tous très jeunes.» Pour une petite planche posée sur 3 cailloux à même le sol, cette commerçante avait déjà payé 3 000 F depuis le matin et il n’était que 15 heures.
Le témoignage que nous avons recueilli était énergiquement appuyé et approuvé par les commerçantes voisines, l’une d’elle nous montrant même une femme en pleurs, de l’autre côté de la route, parce qu’on venait de lui détruire sa marchandise. «C’est comme ça tous les jours !» répétaient-elles comme un leitmotiv, énervées. Des témoignages confirmés aussi par les clientes présentes sur les lieux.
Face à ces dérives, il paraît justifié de s’inquiéter de cet abandon par l’État de sa fonction régalienne de police sanitaire et de contrôle des denrées vendues. Plus inquiétant encore, l’implantation de ces maffias dans les marchés dont on ne sait pas jusqu’où elles iront pour s’enrichir. Si vraiment la parafiscalité pose un problème, pourquoi ne la réforme-t-on pas plutôt que d’abandonner le terrain aux escrocs et aux voleurs ?