Le tribunal de Libreville a condamné, ce jeudi 30 août, à un an de prison dont six mois ferme, sept des manifestants qui ont été interpellés lors de la manifestation qui a dégénéré le 15 août dernier.
Les 11 mis en examen pour le pillage d’une boutique ont eu droit à un jugement expéditif. 7 d’entre eux écopent d’1 an de prison dont 6 mois avec sursis,tandis que 4 bénéficient d’un non lieu (Ondo Mba Ghislain, Ingénieur ; Toung Elvis, Etudiant ; Nzue Nzang Dex, élève, ainsi que Mengue Me ndong Edwige).
Ce procès n’a toutefois pas dissipé les doutes sur la culpabilité des condamnés. Faute de preuves matérielles, seule la parole des forces de l’ordre, pourtant confuse et parfois contradictoire, a semblé compter aux yeux du tribunal. Aucun des accusés ne reconnaissait les faits et tous ont présenté une défense très crédible. D’autant plus crédible qu’il a été impossible à la partie civile de fournir la moindre preuve tangible de leur implication dans les faits qui leurs étaient reprochés : pas d’armes, pas de butin et pas d’images malgré les vidéos de surveillance qui fonctionnaient pourtant. Ces dernières n’ont d’ailleurs même pas été présentées à la cour et on ne peux que se demander pourquoi.
Les témoignages, rapportés par le site de l’UJPDG, qu’on ne peut pas taxer d’indulgence vis à vis de l’opposition, sont édifiants. L’affaire opposait M. Kourege ressortissant d’origine mauritanienne, propriétaire du magasin pillé au quartier Cocotiers le 15 août dernier, aux 11 prévenus, accusés de pillage et destruction des biens d’autrui.
M. Patrick Nzamba déclare : «je ne reconnais pas les faits qui me sont reprochés. Je n’ai pas cassé son magasin. Je n’ai même pas vu les pilleurs. La preuve, on m’a arrêté au niveau de la descente du motel, lorsque j’allais acheter des bougies» [l’électricité fut coupée de 10h à 18h dans le quartier ce jour là ndlr]. Comme son prédécesseur, M. Lucien Ondo Mba, ingénieur en électricité, ne reconnait pas non plus les faits. Pour lui, en provenance de l’université et passant par Ancienne Sobraga, il allait au Centre hospitalier universitaire de Libreville (CHUL) pour y réaliser des travaux avec ses deux petits frères, Toung Elvis (étudiant en transit et douanes) et Nzang Nzué Dex. «On a été arrêté dans mon véhicule de service. Nous partions pour nous approvisionner en carburant à la station Total de Bessieux car j’avais des bons de carburant de ma société», ajoute-t-il. Alors que le ministère public lui affirme qu’il avait été filé un certain temps par la police, il s’est justifié : «Je suis passé par le Boulevard triomphal déposer l’ami de mon père au quartier Cocotiers. Je reconnais être descendu du véhicule quelques minutes plus tard pour acheter les arachides au Boulevard Jean Paul II et c’est là que j’ai été interpellé. Il était 17h00». Les faits qui lui sont reprochés, d’après le juge, se sont pourtant produits à 18 heures. Ses deux frères, quant à eux, soutiennent qu’ils ne savent même pas où est situé le magasin.
M. Obame Nkoghé a commencé par préciser que le plaignant n’était pas le vrai monsieur Kourege, et qu’il n’est que le gérant. Ils sont voisins, et le propriétaire dudit magasin serait locataire chez son grand frère, en face de la pharmacie, situé à plus de 100 mètres du magasin pillé. «Je ne sais pas pourquoi je suis là. J’étais à l’entrée de chez moi, à coté de son domicile, mais pas au magasin». Le procureur, le qualifiant de meneur et d’investigateur, prend à témoin Toung Elvis, un des frères Ondo, pour confondre le présumé pilleur. Malheureusement pour elle, le témoin va nier énergiquement connaître cet homme.
Madame Mengué, interpellée à 21h lorsqu’elle sortait d’une maison où elle s’était abrité de 15h à 20h30 : «Je sortais de ma planque qui m’a protégé de l’affrontement entre la police et les manifestants. Subitement, j’ai aperçu des gens entrain de piller et j’ai dis Oh ! Mon Dieu ! Le pauvre magasin ! C’est comme ça que je me suis cachée derrière un poteau électrique jusqu’à ce que l’agent vienne m’attraper.» A la question du juge qui lui demande d’identifier les pilleurs, elle répond : «Je connais le monsieur, lorsque tu achètes beaucoup des choses chez lui, il fait toujours des cadeaux. Mais comme ça se passait loin, j’ai seulement vu une foule.»
Alphonse Mounguengui : «je ne reconnais pas cette affaire de magasin pillé. Je puisais de l’eau à la pompe à 50 mètres de là. Quand les gendarmes ont lancé les bombes lacrymogènes, j’ai fuit. Mais, quelques temps après, je suis revenu récupérer les bidons que j’avais abandonnés. C’est ainsi que j’ai été pris.»
Jeanne Mbeng : «J’habite Charbonnage. Je suis allée remettre 25 000 F CFA à ma belle mère à Cocotiers au moment où le mouvement n’avait pas encore pris de l’ampleur. Voulant rallier mon domicile à tout prix, j’ai été interpellée vers la station de Nkembo. Je n’avais rien de compromettant avec moi si ce n’est mon téléphone portable et le chargeur.»
Nzé Junior, interpellé à 22h00 dans une voie secondaire entre Nkembo et le Boulevard Triomphal où il est domicilié, se dit non coupable des faits qui lui sont reprochés. Meyo Me Nguema précise à son tour qu’il a été arrêté à 25 mètres de la sortie, avant la station de Nkembo, pendant qu’il rentrait chez lui. Idem pour Obame Aboghé qui estime que son arrestation a été arbitraire, puisqu’il était juste de passage au quartier Nkembo après le travail à l’aéroport. Andeme Abagha, affirme qu’elle a été embarquée devant son salon de coiffure, non loin du lieu cambriolé. Elle nie aussi les faits.
Le Procureur de la République réfute, sans convaincre l’assistance, les récits des uns et des autres : «Les gendarmes ont bel et bien procédé aux arrestations dans le magasin de monsieur Kourège. Ils ont été tous appréhendés dans le magasin.»
Le Président du Tribunal relève l’absence à la barre d’une certaine Olivia, de nationalité camerounaise, propriétaire d’un bar à proximité du magasin, pourtant citée par le plaignant dans sa déposition, qui affirme avoir vu de la marchandise pillée dans ce bar. Il remarque aussi que les gendarme n’ont trouvé aucune marchandise volée sur les prévenus lors de leur arrestation : «Pas de cube Maggi, ni savon, ni sac de riz, ni bouteille d’huile, ni boîte de lait, ni couches Calines…»
Cela ne l’empêchera pas de les condamner à 1 an de prison. D’après leur avocat, Maître Lubin Ntoutoume, tous vont faire appel de cette décision. Quant aux 4 jeunes gens mis hors de cause, il comptent porter plainte pour diffamation contre le Parquet.
Pour les 47 autres prévenus, accusés cette fois de «trouble à l’ordre public », interpellés également lors de la manifestation, le procureur de la république Sidonie Flore Ouwé a requis des peines de prison. Ils sont actuellement en attente d’une décision mise en délibéré et fixée au 6 septembre.
Lors de son point de presse pour faire le bilan de cette journée du 15 août, le procureur de la République a indiquée : «foulant aux pieds les mesures prises par les gouvernants, les jeunes et les vieux de nationalités diverses ont gravement troublé l’ordre public en bravant les forces de police nationale, par le jet des pierres suivis d’actes de vandalisme matérialisés par l’incendie de plusieurs véhicules, la dégradation volontaire des autres véhicules et le saccage des magasins de ressortissant étrangers.»
«Nous allons frapper au cœur de la délinquance quelque soit son origine et ses acteurs, quelle soit juvénile ou sénile, force restera à la loi. Pour marquer d’avantage notre volonté de traquer les auteurs de troubles à l’ordre public, nous punirons avec tous les moyens du droit les auteurs des dégâts du 15 août 2012.», a-elle précisé, sachant que ce même procureur reconnaissait qu’il y avait parmi les personnes interpellées, «des gens qui se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment».
Il nous revient alors cette phrase, extraite d’un fable de La Fontaine, le loup et l’agneau : «Si ce n’est toi, c’est donc ton frère…»