C’est le signe que les recours de l’opposition n’y changeront rien. Sans attendre la proclamation officielle du résultat des législatives du 31 août par la commission nationale électorale (CNE), le quotidien Jornal do Angola, la voix du régime, annonçait, dimanche 2 septembre, la « large victoire » (74 % des voix) du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), au pouvoir depuis l’indépendance de l’ancienne colonie portugaise, en 1975. Ce succès attendu signifie la réélection automatique, pour un nouveau mandat de cinq ans, de José Edouardo dos Santos (70 ans), indéboulonnable président angolais depuis maintenant trente-trois ans.
L’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), l’ancienne guérilla opposée au MPLA durant la guerre civile (1975-2002) devenue, depuis, le principal parti d’opposition, a annoncé, dimanche, son intention de déposer des recours. Le parti dirigé par Isaias Samakuva (18 % des voix) affirme détenir « les preuves que les résultats publiés par la CNE ne correspondent pas à ceux relevés par les scrutateurs déployés dans les bureaux de vote ». Arrivée en troisième position avec 5 % des voix, une autre formation d’opposition, CASA (Large convergence pour le salut de l’Angola), créée il y a quelques mois seulement par un dissident de l’Unita, Abel Chivukuvuku, a l’intention de faire de même.
Depuis longtemps déjà, ces deux formations ont mis en doute la régularité du scrutin organisé par un régime tout puissant. Elles soulignaient, notamment, les imperfections d’une liste électorale « qui n’a été auditée par aucun organisme indépendant », rappelle un diplomate étranger.
Vendredi, plusieurs personnes rencontrées devant les bureaux de vote où elles s’étaient inscrites avaient renoncé à aller voter là où on les envoyait maintenant, à l’autre bout de la ville. L’opposition a également critiqué le système de délivrance des accréditations destinées à leurs représentants officiels dans les bureaux de vote.
« IMPERFECTIONS » DANS L’ORGANISATION DU SCRUTIN, SELON LA CNE
La veille du scrutin, une dizaine de personnes – parmi lesquelles Conceiçao André, candidate à la députation sur la liste de CASA – ont d’ailleurs été arrêtées sans ménagement par la police à Luanda, la capitale, alors qu’elles protestaient pacifiquement contre le refus émis par la CNE de leur délivrer l’accréditation promise à l’issue de leur stage de formation. Dimanche soir, elles n’avaient toujours pas été libérées.
A lire le Jornal do Angola, les protestations de l’opposition, dont il est par ailleurs extrêmement difficile de mesurer la véracité et l’ampleur, sont vouées à l’échec. Pour le quotidien du régime, la victoire du MPLA et de sa tête de liste le président dos Santos est sans appel. Et si la CNE a reconnu des « imperfections » dans l’organisation de ce deuxième scrutin libre organisé depuis la fin de la guerre, elles ne seraient pas de nature à influencer le résultat final.
Une opinion partagée avec une étonnante rapidité par les quelques observateurs internationaux déployés dans ce vaste pays de 21 millions d’habitants. « Nous n’avons pas constaté un seul cas d’intimidation ou de coercition. Les gens ont voté librement dans tout le pays », a estimé le Mozambicain Leonardo Simao, chef d’une équipe réduite d’une dizaine d’observateurs mandatés par la Communauté des Etats de langue portugaise (CPLP). Selon lui, la participation de 57 % du corps électoral (9 millions de personnes) a été « particulièrement bonne » chez les jeunes et les femmes.
Les envoyés de l’Union africaine ont également conclu avoir assisté à un scrutin « libre, juste, transparent et crédible ». Pedro Pires, le chef de cette mission, a toutefois reconnu que l’opposition n’avait pas eu un accès aux médias publics égal à celui du MPLA. Ce que les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent également depuis des mois, en plus des pressions dont les médias d’opposition ont été régulièrement les victimes durant cette même période.
UNE INFIME MINORITÉ S’ENRICHIT IMPUNÉMENT
Certains analystes y voient le signe d’une crispation du régime face à une montée de la contestation, pourtant encore timide et très diffuse, enregistrée depuis un an et demi notamment au sein de la jeunesse. « Le MPLA vit dans le mythe de la lutte pour l’indépendance, de la victoire durant la guerre civile et de la reconstruction d’un pays ravagé. Il est habitué aux louanges, pas aux critiques », explique un proche du pouvoir.
Le slogan de la campagne – « une meilleure croissance mieux répartie » – semble montrer que le régime a entendu les voix de tous ceux qui n’en peuvent plus de vivre dans la misère alors qu’une infime minorité, proche du pouvoir, s’enrichit impunément dans ce pays devenu il y a peu le deuxième producteur de pétrole d’Afrique noire.
Reste à savoir comment le gouvernement, qui peut se targuer d’avoir relevé les infrastructures du pays, répondra aux attentes de la population. « Il s’agit de créér des emplois, de fournir des services de base [eau, électricité, éducation, santé…]. Ce sont de vrais défis difficiles à relever », note Markus Weimer, chercheur au cercle de réflexion Chatham House. « L’industrie pétrolière ne fait travailler que 1 % de la population, ajoute-t-il dans un entretien à Al-Jazeera. Les transformations nécessaires dont la diversification d’une économie essentiellement pétrolière ne pourront être menées à bien sans un changement du modèle de la part de l’Etat angolais et du gouvernement. »
Christophe Châtelot (Luanda, envoyé spécial)
Le Monde.fr | 02.09.2012 à 13h02 • Mis à jour le 03.09.2012 à 14h36