Par Vincent Hugeux
Retour sur l’étrange équipée d’une délégation gabonaise qui, munie d’une fausse lettre invitation, a squatté l’Université d’été du PS à La Rochelle. Avec le concours, qui l’eût cru?, de l’ineffable Roland Dumas…
Sur le front africain, on le sait, Roland Dumas n’a jamais été étouffé par les scrupules. Comment oublier, parmi tant d’autres turpitudes, l’intense lobbying entrepris naguère au côté de son compère Jacques Vergès au profit de l’Ivoirien Laurent Gbagbo, président sortant vaincu dans les urnes mais résolu à s’accrocher à son fauteuil?
Cette fois, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand s’est surpassé. La prétendue « lettre d’invitation » qu’a invoquée une délégation gabonaise pour se rendre fin août à La Rochelle, théâtre de l’Université d’été du Parti socialiste, a été émise par le télécopieur du secrétariat du « Cher Maître » aux légendaires Berlutti…
Grossier, le document contrefait, qui porte pour toute signature un tampon du service d’accueil de la rue de Solférino barré d’un vague paraphe, vaut le détour. Le courrier est adressé à « Monsieur le président du Groupe parlementaire Aile Progressiste du Parti Démocratique Gabonais », Ernest Mpouho Epigat. Or, ce « groupe » n’existe que dans l’imagination des faussaires. Quant au PDG, héritier du parti unique de l’ère Omar Bongo Ondimba, il n’a pas plus d' »Aile progressiste » que de « tendance socialiste », autre formule employée plus loin. Au passage, la seule formation locale affiliée à l’Internationale socialiste est le Parti gabonais du Progrès, ou PGP.
L’invitation imaginaire précise ensuite que le PS « sera très heureux d’accueillir votre délégation composée de 6 parlementaires ». En fait, seuls deux des personnages cités peuvent se prévaloir d’une telle qualité. Les autres? Alain Claude Billié Bi Nzé est l’un des porte-paroles du chef de l’Etat Ali Bongo Ondimba; ancien ministre, Rigobert Ikambouayat Ndeka -dont le patronyme est d’ailleurs improprement orthographié par nos bricoleurs- occupe les fonctions de Directeur général de l’Office des ports et rades du Gabon (Oprag); Raphaël Ntoutoume Nkogue, conseiller à la présidence, anime un journal « satirique » fort bienveillant envers le pouvoir; Eloi Nzondo est 3e adjoint au maire de Libreville; quant à Thierry Animba, il doit semble-t-il sa présence dans ce casting à ses talents de vidéaste. Logique: le raid rochelais avait à l’évidence pour vocation première de produire des images censées attester la proximité des émissaires du Bongoland avec de hauts dignitaires du parti à la Rose.
Pour preuve, le long reportage -près de 4 minutes- diffusé le 1er septembre en ouverture du JT de Gabon Télévision, chaîne inféodée au régime. Là encore, l’exercice de style vaut qu’on s’y attarde. On y apprend qu’avant de mettre le cap sur La Rochelle, l’équipée gabonaise aurait été reçue à Paris par Yamina Benguigui, ministre déléguée à la Francophonie. Las !, l’intéressée n’apparaît sur aucun des plans de la séquence. Suit le récit épique du séjour à l’ombre des remparts de la préfecture de Charente-Maritime. Sur place, il va de soi que le jeu consiste à « serrer des louches » sous l’objectif de la caméra. Dans l’ordre d’apparition en scène, Victorin Lurel, détenteur du portefeuille « des Outre-mer », puis l’ex-Premier ministre Edith Cresson, aperçue de dos. Il est ensuite question d’un « entretien franc et cordial » avec Claude Bartolone, titulaire du perchoir du Palais-Bourbon, et d’un échange « simple et courtois » avec Harlem Désir, n°2 du PS et prétendant à la succession de Martine Aubry.
Le hic, c’est que l’ancien leader de SOS-Racisme, contacté par nos soins, conteste formellement toute rencontre de cette nature. A l’en croire, il ignorait au demeurant que les intrus librevillois étaient parvenus à s’infiltrer dans l’enceinte du forum estival. A ce stade, nous tentons de vérifier par ailleurs la réalité du « bref entretien » prétendument accordé par Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national à l’Europe et aux Relations internationales, et candidat lui aussi au fauteuil que s’apprête à quitter la maire de Lille.
Vigoureux démenti du PS
Interpellé par l’opposition et par la société civile gabonaise, de même que par l’association Survie, actrices auxquelles ce lièvre doit d’avoir été débusqué, le PS a réagi vigoureusement. Dans un courrier daté du 30 mai, et signé par Cambadélis, sa direction « dément fermement que ces individus auraient bénéficié d’une invitation officielle ». Le « soi-disant courrier d’invitation, lit-on ensuite, est clairement invalide dans la forme comme dans le fond ». Pour les envoyés du PDG, avance « Camba », il s’agissait « de transformer une participation individuelle en opération politique ».
Nul doute que les trotskystes repentis du PS apprécieront à sa juste valeur un exercice d’entrisme que les hôtes rochelais ont tant bien que mal tenté d’entraver. Dès leur arrivée in situ, un collaborateur de Jean-Christophe Cambadélis avait mis en garde ces visiteurs encombrants contre tout forcing outrancier. Et il fallut que le service d’ordre déloge le commando de la première rangée, dûment squattée, d’un atelier.
Joint la semaine dernière par Rodney Ekorezok, porte-parole d’André Mba Obame, ex-baron du PDG devenu l’opposant le plus virulent d’un Ali Bongo dont il fut l’intime dans une vie antérieure, Roland Dumas a avoué son embarras, avançant une explication filandreuse sans pour autant nier que le fameux courrier, dont « il ignorait la teneur », avait pu être expédié de son bureau. Il avait même accordé au conseiller d' »AMO » un rendez-vous ce lundi, histoire de lui fournir de plus amples explications et, comme il se doit, de « dissiper tout malentendu ». Mais voilà: prétextant un déplacement en province puis un voyage à Varsovie, l’ancien président du Conseil constitutionnel, très familier du Palais du Bord de mer au temps de Bongo Père, a différé la rencontre d’une dizaine de jours… Les envoyés du pays d’Ali avaient eu plus de chance : comme en témoigne le long sujet d’ouverture de Gabon Télévision, ils ont été reçus en ses locaux par Me Dumas avant de s’envoler pour Libreville, leur devoir accompli.
Un ultime détail. Sur la pseudo-invitation artisanale évoquée ici apparaissent trois noms ajoutés à la main: ceux du Landais Henri Emmanuelli, de Claude Bartolone et celui, moins illustre, d’une certaine « Mme Pigeon ». On ne saurait mieux dire…