À 80 ans, le sénateur René Radembino Coniquet, par ailleurs ex-président du Sénat, fait figure de sage dans le landerneau politique national. Interrogé par Gabonreview au sujet de la conférence nationale souveraine, il indique souhaiter la décrispation du climat sociopolitique, le dialogue entre les forces politiques du pays, la réhabilitation de l’Union nationale, mais se refuse à une conférence nationale souveraine qui devrait être légalement codifiée de son point de vue.
Si vous deviez vous présenter aux jeunes générations, quel bref curriculum pourriez-vous décliner ?
Un curriculum vitae serait trop long. Je dirais que je m’appelle René Radembino Coniquet. Je suis né le 26 juin 1932 à Libreville, d’une mère Mpongwè, décédée, et d’un père Français, également décédé, qui ne m’a pas reconnu. Ce qui veut dire que je n’ai jamais été autre chose que Gabonais. J’ai exercé plusieurs fonctions. J’ai fait l’École des cadres supérieurs vers les années 50 et j’ai été à l’École nationale de la France d’Outre-mer (Enfom, aujourd’hui Institut des hautes études d’Outre-mer) autour de 1958, j’en suis sorti avec le Brevet d’administrateur civil. Puis est arrivé 1960, et de là, nous avons participé à la création du pays. Mais avant j’avais déjà travaillé dans l’administration, au niveau cadre moyen, à la Direction locale de la Police, m’occupant des problèmes d’immigration. Étant administrateur civil, j’ai assisté aux élections de l’Assemblée nationale, du président Léon Mba.
J’ai occupé des fonctions de directeur adjoint aux Finances, de préfet adjoint du Haut-Ogooué, de préfet de la Ngounié. Je suis arrivé à la Présidence de la République, sous le président Léon Mba, à la fin de l’année 1963. J’ai alors servi comme conseiller chargé des Affaires Africaines et Malgaches et en même temps comme Secrétaire général du conseil des ministres. En 1966 j’ai été nommé secrétaire général du gouvernement, toujours sous Léon Mba. En 1968, sous Omar Bongo, j’ai été nommé secrétaire général de la Présidence. Je suis d’abord entré au gouvernement en 1973 comme ministre d’État puis je suis revenu à la présidence de la République où j’ai été tour à tour Conseiller du président de la République et secrétaire général de la Présidence. Je suis resté à la Présidence jusqu’à ma retraite en 1994. J’ai été sollicité, en 1997, dans le cadre politique et j’ai été élu sénateur. Ce que je suis depuis lors et, pendant trois ans, j’ai été président du Sénat. Maintenant, je n’ai plus d’objectifs ou d’ambitions personnelles puisque je suis en train d’abandonner la politique active. Je ne la ferais certainement plus dans les années qui viennent.
Quel bilan succinct ou quelle appréciation avez-vous des trois premières années du Gabon post Omar Bongo, donc des trois premières années d’Ali Bongo ?
Je ne saurais faire un bilan, puisque je ne suis pas dans cette activité. Sans doute voulez-vous que je vous donne mon appréciation de la situation actuelle du Gabon, notamment politique. Dans ce cas, effectivement, la situation politique est tendue et je peux vous dire pourquoi : d’abord parce que l’élection du président Ali Bongo a été contestée. Apparemment ce n’était pas très clair. Mais, il a été investi par les institutions de la République. Il y a plus de trois ans déjà qu’il est là. Donc, si des gens continuent à dire qu’il est illégitime, on doit noter qu’il est là. C’est dangereux pour le pays de penser ainsi parce que l’institution existe et il détient tous les pouvoirs. On doit donc pouvoir la reconnaitre d’autant plus qu’il y a eu de vrais coups d’État militaires en Afrique ; le cas du Togo par exemple qui s’est pérennisé et qui commande ce pays, à partir d’un coup d’État originel. Dans le cas du Gabon il n’y a pas eu un coup d’État militaire. On dit coup d’État électoral parce qu’on pense qu’il y a eu fraude. Ce que je ne peux pas affirmer puisque je n’étais qu’électeur. Mais, pour la paix, puisque le président Ali Bongo est là depuis trois ans et puisque tout le monde prêche la paix, on ne doit pas continuer à la contester. Et pour qu’il y ait la paix, il faudrait qu’il y ait un dialogue entre le pouvoir et tous les acteurs politiques. Je suis pour le dialogue.
Mais cette situation tendue s’est aggravée à la suite de la déclaration d’André Mba Obame disant qu’il est le président élu (pour moi ce n’est pas grave, puisqu’il ne peut pas modifier les institutions) et, immédiatement, le pouvoir a dissout un grand parti comme l’Union nationale. Voilà la deuxième cause de la tension : la dissolution de l’UN. Et vous savez que lorsqu’un parti de cette importance est interdit, vu qu’on ne va pas en tuer les hommes, ceux-ci vont aller dans la clandestinité. Et si la lutte antiapartheid d’Afrique du Sud a pu triompher, c’est parce que le pouvoir blanc avait dissout le parti de Nelson Mandela et l’ANC a continué à travailler dans la clandestinité. Donc, on ne peut pas supprimer la volonté d’un groupe d’hommes qui vit librement. Ce groupe d’homme va continuer à travailler pour l’aboutissement de sa volonté. Dans cette situation, comment vouloir un dialogue ? Je pense personnellement que si on veut un dialogue, il faut préalablement que le gouvernement laisse l’UN fonctionner comme un parti officiellement reconnu et que l’UN reconnaisse le pouvoir en place.
Mais le véritable travail qu’il y a à faire, si j’étais opposant, c’est de faire en sorte que le système électoral soit bien élaboré, qu’il y ait très peu de possibilités de frauder. La fraude ne pouvant être à 100% éradiquée, même dans les grands pays. Il s’agit donc de faire en sorte qu’il y ait un système bien réglementé. Ici au Gabon, il n’y aucune loi, aucun décret concernant le comptage des votes. En résumé, il faut décrisper l’atmosphère : que l’UN soit réhabilité, que l’UN reconnaisse le pouvoir qui a déjà dépassé la moitié du mandat. C’est cela le dialogue.
Que pensez-vous concrètement de cette idée de conférence nationale souveraine ?
Pour moi, la conférence nationale souveraine est un coup d’État. Pour organiser une conférence nationale souveraine, il faut une loi. Parce qu’il y sera pris des décisions, à l’instar de ce qu’ils disent : «dissolution du parlement». Mais il n’y a qu’une loi qui peut le faire, même pas un décret. Même la conférence nationale de 1990 qui n’était pas souveraine et était arrivée dans un autre contexte, a été l’objet d’un décret.
Mais, il faut qu’on décrispe d’abord l’atmosphère et à partir de ce moment on pourra instaurer un dialogue où chacun amènera ce qu’il voudra et le gouvernement devra alors quand même admettre les positions acceptables de l’opposition, pour qu’il y ait la paix. Mais tant que le gouvernement n’acceptera pas ou trainera le pas, on n’aura pas la paix. La paix ce n’est pas seulement l’absence de guerre, c’est aussi le fait que dans un pays les gens ne se regardent pas, ne se parlent pas et qu’un jour, on ne sait jamais même si on est un pays de paix, ça peut éclater. On ne sait pas d’où ça peut venir. Ça peut venir d’une tierce personne ou d’un État tiers.
Quand vous dites qu’il faut décrisper l’atmosphère, comment y parvenir, par quel processus ?
Je vous l’ai dit : il faut que le pouvoir réinstalle l’UN comme parti officiel. Parce qu’à mon avis, sa dissolution n’a pas de fondements pouvant la justifier. Parce que ce parti n’a rien fait, il n’a fait que prêter son siège ; le candidat qui a prêté serment est un candidat indépendant. D’un autre côté, une fois reconstitué, il faut que l’UN reconnaisse le pouvoir en place. On ne va pas continuer à vivre comme ça. Vous savez que si la politique ne va pas l’économie ne peut pas marcher et inversement. Omar Bongo l’avait bien compris lorsqu’il disait «faites-moi de la bonne économie, je vous ferais de la bonne politique». Donc, l’économie, la politique, la paix, la sécurité dans le pays sont importants pour régler aussi bien les problèmes économiques que les problèmes sociaux.
Je ne suis pas pour une conférence nationale souveraine parce que cela ne se justifie pas, à mon avis. Je persiste qu’il faut décrisper l’atmosphère en remettant l’UN en fonction et il faut que ce parti reconnaisse le pouvoir. Il faut que le dialogue s’ouvre pour mettre en place un système électoral qui puisse permettre la transparence. Ce parti d’opposition pourra également apporter des idées pour la bonne gouvernance, mais il faut qu’il y ait le dialogue. Pas un dialogue de sourds mais un échange dans lequel quand une idée est bonne elle doit être retenue, même quand on est au pouvoir, et vice-versa pour ce qui est de l’opposition : quand le pouvoir a une idée allant dans le sens de l’intérêt général, elle doit l’accepter aussi.
J’aimerais vous rappeler qu’en 1993-94 lorsque Paul Mba Abessole avait contesté l’élection d’Omar Bongo, c’était pire que maintenant. L’opposition avait constitué un gouvernement nommé Haut conseil de la République (HCR) qui est allé jusqu’à nommer des préfets. Mais Omar Bongo avait su décrisper l’atmosphère en appelant au dialogue. Il y a donc eu les Accords de Paris. Comme la conférence nationale de 1990, ils n’étaient pas souverains puisqu’il n’y a pas eu de loi à cet effet. Et finalement les choses se sont arrangées. Omar Bongo a accepté certaines revendications du groupe qui contestait et finalement ils se sont mis d’accord et le pays a continué à avancer. Par rapport à ce qui s’est passé au début de l’année 1994 après l’élection de décembre 1993, on ne peut pas comprendre pourquoi l’UN a été supprimé. Par rapport à ce qui s’est passé en 1994, l’UN n’a rien fait. Il ne faut pas avoir peur de le dire.
Pour ce qui est de la direction du dialogue, c’est l’exécutif qui doit prendre l’initiative, inviter les autres au débat selon un ordre du jour. On n’a pas besoin de réunir tous les Gabonais. Parce la conférence nationale souveraine, c’est difficile à réaliser. C’est irréalisable, puisqu’il n’y aura jamais de loi votée pour l’organiser. Personne n’en a fait la proposition à ce jour. Personne n’indique, sur la base d’une proposition de loi, comment cela va se passer. On en parle seulement. Donc c’est le dialogue qu’on veut, on est tous pour le dialogue et on peut dialoguer sans cela ne soit pour mettre à plat les institutions. Le dialogue peut permettre de corriger les manquements. On pourra par exemple décider de refaire la dernière élection législative, si on estime qu’elle n’était pas bonne. Et justement pour les questions électorales, il faut bien associer tous ceux qui y participent. Parce que si c’est seulement le pouvoir qui impose sa manière de voir, il y aura toujours des problèmes. Voilà mon point de vue. Il n’y est pas question de conférence nationale souveraine. Je suis pour que les gens se rencontrent et que le pays puisse avancer.