Leader de la presse libre du Gabon en termes de ventes, l’hebdomadaire Échos du Nord vient d’atteindre ses sept ans d’édition, alors même que son promoteur, Désiré Ename, revient d’un exil au Cameroun. Il s’en explique et dément la rumeur au sujet de l’OPA supposée de Maixent Accrombessi ou d’Olam sur le titre. Mba Obame et l’Union nationale, Ali Bongo et BGFI sont également abordés dans cette interview, synthétique et incisive. Rencontre avec un journaliste et patron de presse qui dérange.
Échos du Nord a sept ans maintenant. Qu’avez-vous appris de cette expérience ?
Ces sept années m’ont éduqué sur la persévérance. J’ai appris à en saisir le sens, la profondeur et à la vivre. Au début c’était très difficile. A deux reprises nous avons dû arrêter parce qu’il était devenu ardu d’avancer par manque de financement. C’était au cours des deux périodes d’avril 2006 à Août 2006, puis de Mai 2010 à Septembre 2010. Lorsque nous reprenions le 25 septembre 2006, le Conseil national de la communication tel un couperet nous suspendait pour trois mois. Il fallait lutter pour infléchir la décision du CNC que nous estimions injustes. Le Directeur de la publication, c’est à dire votre interlocuteur, a engagé une grève de la faim. Et nous avons eu gain de cause. C’était aussi sept ans de remise en question permanente. Lorsque vous imprimez 5000 exemplaires ou 3000 et que vous ne vendez même pas la moitié du tiers, je crois que la meilleure chose à faire c’est de ne pas accuser Sogapresse (le distributeur, ndlr) mais de faire son autocritique et reformuler les choses. C’est ce que nous faisons depuis sept ans. Et même quand ça paraît marcher nous nous privons d’autosatisfaction et recevons avec toute la froideur et lucidité possibles les compliments qui fusent ça et là. Pour nous c’est au contraire une injonction à travailler… sept fois plus.
Vous sortez d’un exil au Cameroun. Pourquoi cet éloignement, apparemment voulu ?
L’exil est en effet un choix. Mais un choix difficile et douloureux que j’ai dû faire, non pas pour fuir, mais pour me protéger parce que des personnes sérieuses m’avaient suggéré cette option avec fermeté. Et une fois au Cameroun, au bout de dix jours je voulais revenir mais cela m’a été fortement déconseillé par mes parents et des amis qui avaient pris peur pour ma sécurité vu la tension. Et elle était menacée. Ce qui a motivé cet éloignement est en partie le harcèlement de la Police judiciaire malgré l’intervention du procureur de la République que mon avocat avait saisi. Puis un traquenard en préparation où une personne tentait de m’attirer dans un lieu hors de la ville, Bambouchine, sous prétexte de documents qu’elle voulait me refiler, ayant elle-même échappée à une attaque de pseudo membres du Conseil national de sécurité. C’était quatre jours avant mon départ. Tout cela, au même moment, n’augurait rien de bon. Des personnes ont banalisé mon déplacement au Cameroun auprès des instances internationales, c’est de l’irresponsabilité. J’aime ma famille. J’y suis profondément lié, avec une mère malade qui a préféré que je sois à l’extérieur mais en sécurité. Vous pensez bien que le choix était douloureux.
Le journal ne s’était pas pour autant arrêté de paraître. Comment fait-on pour diriger un journal à distance ?
La magie des NTIC. Échos du Nord c’est mon bébé. Je n’ai fais qu’élever ce bébé au cours des sept dernières années. C’est ma passion. Malgré la distance, j’étais en contact permanent avec ma rédaction. C’était parfois difficile mais je me suis imposé une discipline. De jeudi à dimanche j’étais au boulot : je suivais les différentes étapes du bouclage quand les communications étaient bonnes. Beaucoup de choses m’ont échappé c’est vrai je l’avoue. Cependant, mon rédacteur en chef et mes journalistes se sont bien débrouillés en maintenant le niveau du tirage à 10 000 exemplaires. Depuis mon retour il est passé à 12 000 exemplaires. C’est leur travail.
Il se raconte que Maixent Accrombessi puis Olam ont lancé, tour à tour, une OPA sur votre journal. Vous confirmez ou vous infirmez ?
(Gros rires) J’ai aussi appris que c’est la présidence qui envoyait les billes sur BGFI pour justifier cette thèse sur l’OPA d’Accrombessi, car selon ces personnes la présidence voulait se débarrasser d’Oyima. J’ai encore plus ri car je n’ai jamais associé un seul de mes journalistes dans l’enquête que j’ai menée sur BGFI pendant plus de 18 mois. Soyons sérieux il n’en est rien. Une OPA d’Olam ou d’Accrombessi avec une ligne très dure contre Ali Bongo Ondimba comment cela est-il conciliable ? Quoi la pub sur Olam ? Ni moi ni le rédacteur en chef, mon petit frère Antoine, n’étions sur place. Nous avons engagé un jeune pour le Marketing qui a estimé qu’il fallait saisir cette opportunité. Il a pris ses responsabilités et je lui ai dit ce que je pensais quand j’ai vu le journal au Cameroun, à cause de la controverse entre ce groupe et certains Gabonais. Seulement si c’était Siat ou Total qui avaient pris un espace publicitaire chez nous, les mêmes personnes auraient-elles accusé Total ou Siat d’avoir lancé une OPA chez nous ? Quant à Maixent Accrombessi, Échos du Nord était le premier à casser le mythe. Que les gens s’en souviennent aussi.
On parle également de la proximité du journal avec l’Union nationale et André Mba Obame qui en tirerait les ficelles. Qu’en est-il ?
Monsieur André Mba Obame n’a rien à voir dans Échos du Nord. Il compte parmi ceux que je considère comme mes grands frères et mes amis. C’est ensuite un homme politique que je peux choisir de soutenir, comme je peux décider de soutenir Blaise Louembé lorsqu’il pose un acte en faveur du bien commun. Monsieur Mba Obame n’a jamais cherché à influencer notre ligne éditoriale ni même s’en mêler. Notre journal l’a aussi critiqué par moment. L’Union nationale ? Une proximité ? Nous sommes contre les décisions qui vont à l’encontre de la liberté d’expression. Raphael Ntoutoume Nkoghe a été agressé à son domicile tout dernièrement, «journalistiquement» parlant nous sommes divergents mais c’est un confrère et j’ai dénoncé cet acte. Suis-je proche de lui ? Non.
A quoi renvoie l’expression «sa petite majesté» que vous appliquez au président Ali Bongo ?
Un président désigné et donc une succession dynastique. Une constitution taillée sur mesure et qui donne les pleins pouvoirs à un seul homme. Un code électoral réduit à la volonté du président de la République. Ce sont là autant d’assaisonnements pour relever une sauce monarchiste. Le petit royaume du Gabon méritait «sa petite majesté». Peut-être que demain du petit royaume on aura un «royaume émergent», cette fois-là il faudra s’accoutumer avec sa «Haute majesté».
Comment se porte économiquement le titre aujourd’hui et pourquoi l’avoir dénommé «Échos du Nord», ce que certains trouvent provincialiste ?
Je crois que notre santé est meilleure qu’en octobre 2010 lorsque nous relancions la machine et que nous caracolions à 2 000 exemplaires. Nous avons, à force de travail, multiplié ce chiffre par six. Aujourd’hui nous avons un tirage de 12 000 exemplaires avec moins de 10 % d’invendus. Je crois que, économiquement, l’entreprise commence à donner des signes intéressants. Mais je ne suis pas encore satisfait car l’on est loin d’atteindre des objectifs très satisfaisants. Quant au nom, Échos du Nord, ce n’est pas une vision provincialiste mais une vision de croissance. Le Nord est pour nous un cap, un point culminant à gravir et vers lequel nous devons tendre en permanence.
Quel avenir entrevoyez-vous pour Échos du Nord ?
Un avenir simple. Une presse de qualité, une quête permanente de qualité. Ce qui importe pour moi ce n’est pas que ce soit le meilleur journal ou qu’on soit applaudi pour le travail que nous accomplissons. Si demain Échos du Nord n’est pas une entreprise qui donne de bons emplois aux Gabonais et qui offre une presse de qualité, j’aurais échoué. C’est cela le challenge.