Pour un lieu commun relatif aux commanditaires des crimes rituels, le journaliste du quotidien L’Union, Olivier Ndembi, a été entendu, le 18 octobre, à la Direction générale des recherches (DGR). Un sérieux accroc à la liberté de la presse dans un pays dont le président assure y attacher une importance capitale et personnelle.
Olivier Ndembi, journaliste, chef du service Société et Culture du quotidien gabonais L’Union, est assigné en justice par le Garde des Sceaux, Ida Reteno Assonouet, selon des journalistes du quotidien. Une source judiciaire confirme qu’il aurait été entendu, le 18 octobre en milieu de matinée, par la Direction générale des recherches (DGR), un service de la Gendarmerie nationale.
Une demi-heure durant, le journaliste a répondu à une kyrielle de questions se rapportant à un article paru dans l’édition du quotidien du 14 au 15 avril dernier, dénonçant l’impunité dont bénéficient les commanditaires des crimes rituels au Gabon.
Son audition par la DGR, a confié la source judiciaire, faisait suite à une requête adressée au parquet général de Libreville par le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Ida Reteno, du reste porte-parole du gouvernement. Celle-ci, a renchéri la source, exige du journaliste la fourniture des noms «des commanditaires des crimes rituels qui seraient tapis dans les arcanes du pouvoir». Dans sa correspondance, a relevé la même source, le membre du gouvernement n’exclut pas un procès contre le journaliste de L’Union pour entrave à l’action de la justice, au cas où il ne citait pas les commanditaires des crimes rituels auxquels il avait fait allusion dans l’article incriminé.
Joint au téléphone, Olivier Ndembi n’est pas allé par le dos de la cuiller pour dénoncer ce qui apparait à ses yeux comme une manœuvre visant à bâillonner la presse au Gabon. «Mon rôle est d’informer l’opinion. Je ne peux pas me substituer aux officiers de police judiciaire pour démasquer les auteurs des crimes rituels. Le gouvernement a des entités chargées de mener des enquêtes pour la manifestation de la vérité», nous a-t-il légitimement répondu.
Ce n’est pas la première fois qu’un journaliste de L’Union se retrouve dans le collimateur du ministère de la Justice. En mai dernier, le chef du service « Faits divers & Justice », Jonas Moulenda, avait été visé par une plainte du parquet général de Libreville pour avoir écrit qu’il y aurait une grosse légume derrière l’assassinat, en novembre 2011, à Mouila, dans le sud du pays, de l’adjudant Marcel Mayombo. Le corps mutilé du militaire avait été retrouvé au bord d’une rivière, sur l’axe Mouila-Ndendé, où il s’était rendu en mission commandée en compagnie de six-cents autres soldats. L’article publié par L’Union au sujet de l’arrestation de ses présumés assassins avait pris à rebrousse-poil les autorités judiciaires du pays qui avaient annoncé des poursuites judiciaires contre l’auteur dudit article.
L’interpellation du journaliste a de quoi surprendre si l’on tient compte de ce qu’une procédure visant la levée de l’immunité parlementaire du sénateur Gabriel Ekomi Eyéghé, accusé par un assassin, lors des sessions criminelles spéciales, d’être le commanditaire du crime d’une fillette de 12 ans. Ou encore de ce qu’un documentaire de Canal +, réalisé en avril dernier et intitulé «Les organes du pouvoir», avait traité de l’impunité des commanditaires de ces crimes, qui, selon le film, seraient pour la plupart des hommes et des femmes de pouvoir. Une idée confortée, dans le même documentaire par l’indication de Jean-Elvis Ebang Ondo, président de l’Association de lutte contre les crimes rituels au Gabon, selon laquelle les années électorales sont les plus meurtrières. L’impunité des commanditaires, le classement sans suite de nombreuses affaires dont les faisceaux de présomption pointent sur des hommes politiques ou des personnalités du parapublic, sont également indiqués dans le film. Pourquoi Olivier Ndembi et pas Thierry Pasquet, réalisateur de ce film documentaire qui est allé beaucoup plus loin que la simple indication du journaliste gabonais qui tient d’ailleurs du poncif ?
Sachant que citer des noms entraînerait automatiquement les personnes concernées à porter plainte pour diffamation, dans un pays où les tribunaux semblent impuissants à punir les commanditaires de crimes rituels, et que ne pas le faire passe aux yeux de la ministre comme une entrave à l’action de la justice, que reste-t-il comme espace de liberté aux journalistes, sinon se taire et laisser faire ?