Dans un entretien accordé à la presse, le président de la Commission Nationale de Lutte Contre l’Enrichissement Illicite (CNLCEI), Vincent Lebondo Le-Mali a indiqué que l’un des meilleurs moyens de combattre la corruption serait la publication périodique des états financiers.
GABONEWS (GN) : Monsieur Vincent Lebondo Le-Mali, vous êtes Président de la Commission Nationale de Lutte Contre l’Enrichissement Illicite (CNLCEI) qui organise ce vendredi 07 décembre 2012 la 3ème Journée nationale de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite marquée , au Sénat, par une conférence – débat sur le thème :’’La Lutte contre la corruption et l‘enrichissement illicite dans le secteur privé ‘’. Pourquoi ce choix ?
Vincent Lebondo Le-Mali (VLLM) : Il était temps que cet acteur qu’est le secteur privé, créateur de richesses et moteur de l’économie nationale, soit placé au cœur de cette journée que le Gabon célèbre le 09 décembre, depuis 2010. La CNLCEI voudrait que le secteur privé occupe une place de plus en plus grandissante dans le dispositif mis en place aussi bien en matière de prévention que de répression des infractions incriminées au regard des dispositions des textes législatifs et des Conventions internationales . Ainsi, on enregistre pour lesdites manifestations, les représentants du patronat gabonais, de la Chambre de Commerce et d’Industries du Gabon , de différentes banques, de plusieurs responsables d’entreprises et de différents secteurs d’activité de la sphère économique nationale. Il est aussi prévu des communications du secteur public, et des acteurs de la société civile. S’agissant plus particulièrement du secteur privé , la Commission a voulu , cette année , mettre un accent particulier sur le rôle et la place de ce secteur dans cette lutte notamment en matière : de déontologie, de coopération dans la détection et la répression des actes de corruption et d’enrichissement illicite, de règles en matière de marchés publics, de blanchiment d’argent, ou d’information du public, par la publication périodique des états financiers , afin de garantir la transparence et la sincérité des opérations et de susciter la confiance.
GN : Parmi les grandes étapes franchies, ces derniers mois, par la Commission dont vous avez la charge figure la validation du document de la stratégie nationale de lutte contre la corruption et le blanchiment des capitaux (SNLCCBC) de la République Gabonaise.
VLLM : Le document réalisé grâce à l’appui technique du PNUD était très attendu. Il s’agit d’un instrument qui va renforcer les capacités opérationnelles de notre Commission et de l’ANIF. Ce renforcement concerne aussi la coordination et la coopération entre les parties prenantes à la lutte contre la corruption (y compris l’Organisation de la société civile, la presse, les organisations publiques dédiées, les partenaires internationaux etc.
GN : Peut-on s’attendre à ce qu’il y ait une stratégie commune et consensuelle pour la lutte contre l’enrichissement illicite en Afrique centrale ?
VLLM : Vous me donnez l’occasion de revenir sur le séminaire tenue à Libreville du 26 au 28 novembre sur le rapport de l’étude de faisabilité pour la création d’un Réseau des institutions nationales de lutte contre la corruption en Afrique centrale (INAC).Nous avons adopté la feuille de route de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), du Conseil Consultatif de l’Union Africaine sur la Corruption (AU-BAC) et de la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC) qui prévoit, entre autres : la convocation et l’organisation d’une réunion de validation des textes fondateurs ainsi que le lancement officiel dudit réseau (…) Il faut le faire, les États en ont besoin. En zone Afrique centrale aujourd’hui, les États qui n’ont pas encore mis en place les agences anti-corruption sont invités à le faire. Ceux qui ont réussi à le faire sont encouragés à aller de l’avant et à tout mettre en œuvre pour que les résistances cèdent. Nous savons tous que ce n’est pas facile, mais nous savons aussi que nous ne pouvons plus faire marche-arrière. Nous avons déjà pris du retard, s’il y a une situation particulière dans un Etat qui bloque la mise en place d’une agence anti-corruption, ou qui bloque son travail, il faut qu’un plaidoyer soit fait pour que les autorités comprennent le bien- fondé de la structure. Le simple fait de mettre l’Agence en place et de lui donner des moyens crée une peur chez le corrupteur et le corrompu qui hésitent à se rapprocher comme il le faisait l’année d’avant. Cette hésitation permet de récupérer de l’argent. S’il y avait cent prédateurs l’année dernière, cette année, parce qu’on a mis en place l’Agence et qu’on lui a donné des moyens, seuls quarante prédateurs persisteraient dans notre ligne de mire. Ces Etats qui font cet effort gagnent. Si les dirigeants croient que les agences anti-corruption les dérangent, le pays sombre. La mise en place de la structure doit être une évidence ; la plus-value aussi et les premiers à apprécier cette plus-value devraient être les dirigeants. C’est un instrument entre les mains des dirigeants, pas pour encourager la corruption, mais pour la ramener au niveau le plus bas. Enfin, l’une des missions qu’aura à accomplir le réseau des agences anti-corruption d’Afrique centrale, dont le siège se trouvera à Libreville est bien ce plaidoyer dans chaque État de la CEEAC.
GN : Depuis mai 2003, date de la création de la CNLCEI, cela fait quand bientôt dix ans. Comment évaluez-vous le chemin parcouru ?
VLLM : La Commission du Gabon est composée de dix (10) membres qui ont un mandat de cinq (5) ans non renouvelable. Pour ma part, j’ai pris les rênes de cette Institution en juin 2008. A cette époque, il n’y avait dans le domaine des investigations que 12 dossiers ouverts. A ce jour, il y en a 94. Mais il y a eu plus de travail effectué du côté prévention parce que, que ce soit ici ou ailleurs, on considère la répression comme le début de l’échec. Et ce que nous recherchons, ce sont des citoyens conscients et responsables qui jouissent de leur juste part des ressources du pays, mais qui laissent aux concitoyens leurs quotes-parts. C’est pourquoi nous mettons beaucoup d’accent sur la prévention, la bonne gouvernance, la transparence, et aujourd’hui, il existe un domaine dans lequel le Gabon fait la course en tête, c’est le volet « Déclarations de biens ». Au départ, c’était impensable qu’on puisse dire à un ministre où à un président de la République de venir déclarer ses biens. Aujourd’hui, cela va simplement de soi. En février 2010, nous avons sollicité et obtenu du nouveau président de la République la modification de la loi par ordonnance, pour y inclure une amende pour ceux qui hésitent à déclarer leurs biens. Les déclarations de biens sont faites dans les trois (3) mois qui suivent la prise de service. Passé ce délai, Mme le secrétaire général et le commissaire du gouvernement – qui sont chargés de suivre la liste des agents de l’Etat- signalent ces manquements au président. Ce dernier, ainsi informé, vous envoie une mise en demeure en vous imposant le délai d’un mois pour régulariser votre situation. Passé ce nouveau délai, si vous n’obtempérez pas, la séance plénière se réunit afin de décider du montant de l’amende qui vous sera infligée. Le montant de celle-ci est compris entre 50.000 et 100.000 F. Cfa, par mois de retard. Aussitôt, ce compteur qui est systématiquement ouvert ne s’arrêtera que quand vous viendrez faire votre déclaration. Aujourd’hui. Nous nous sommes rendus compte que lors de notre visite dans les départements ministériels et les institutions, en commençant généralement par la Présidence de la République, nous avons collecté en moins de six (6) mois, six cent trente-trois (633) nouvelles déclarations. En général, elles venaient des agents qui ne savaient pas que l’obligation était faite par la loi, à tous les agents publics. Ils avaient cru que cette obligation ne concernait que ceux d’entre eux qui avaient tenu ou tenaient encore des postes de gestion. Mais le législateur a vu plus large, tout agent public doit le faire. C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’agents publics au Gabon ; ils ne sont 70.000 environ. Dans le décret d’application, cet effectif va du président de la République jusqu’au chef de service. Donc les agents qui sont en deçà de chef de service ont l’obligation légale de faire leur déclaration, mais pour l’instant, ils ne sont pas encore inquiétés. Nous pensons que si les échelons supérieurs sont propres, le bas de l’escalier hiérarchique sera assaini. Aujourd’hui, on ne peut plus se cacher ; parce qu’il y a une véritable toile tissée au niveau national, sous-régional et international, mais aussi parce que vous ne pouvez plus passer d’un endroit à un autre sans laisser de trace. Si aujourd’hui, certaines personnes ne sont pas encore inquiétées, c’est parce que nous ne sommes pas encore arrivés à leur niveau.
GN : Comme on le dit souvent, les habitudes ont la peau dure ? Quelles sont les difficultés rencontrées au quotidien?
VLLM : Oui, il y a beaucoup de difficultés au quotidien, et comme vous l’avez dit, les habitudes ont la peau dure. En fait, quand vous analysez le comportement des autorités ou des personnalités qui peuvent être inquiétées, vous constatez deux faits importants. Le premier, c’est l’ignorance de ces personnes et le deuxième, c’est la peur. Systématiquement quand vous auditionnez l’un deux, vous avez l’impression qu’il est persuadé que quelqu’un l’a « livré », soit un chef politique ou quelqu’un avec qui il a quelques ennuis. Il a des difficultés à comprendre que ses agissements sont contraires à la loi. Et quand vous arrivez à le convaincre, sa réflexion est la suivante : «mais président, tout le monde agit ainsi ici, pourquoi commencez-vous par moi ? ». C’est une question récurrente. Et généralement la personne qui pose cette question croit être la première à faire l’objet de cette interpellation. En réalité, elle est la vingtième ou la trentième. Mais comme elle ne sait pas que les autres sont déjà passées, elle conclut à une trahison. Il faut que les dirigeants comprennent qu’ils sont les premiers gagnants dans cette démarche. Il faut ici le souligner parce que les dirigeants aussi ont peur. Ils ont l’impression, parfois, que leurs propres compatriotes librement choisis par eux, afin de diriger ces instruments de bonne gouvernance, sont récupérés par leurs adversaires dans le seul but de les manipuler contre eux. Ce n’est pas cela. Nous sommes de vrais patriotes et d’ailleurs nous n’avons pas fait acte de candidature ; nous avons été choisis par ces dirigeants selon certains critères compétence et de moralité, avant décision. C’est dire que s’ils nous ont choisis, c’est qu’ils nous font confiance, ils reconnaissent nos qualités, notre degré d’intégrité ainsi que notre respect de la légalité.
GN : L’Organisation Non Gouvernementale Transparency International vient de publier un rapport 2012 sur l’indice de perception de la corruption (IPC) dans le monde. A la lecture du rapport, en Afrique centrale, le Gabon recule de deux (2) places pour être distancé par Sao-Tomé & Principe. Comment expliquer cette position ?
VLLM : Certes, Sao-Tomé & Principe nous a volé la vedette, mais le Gabon est en nette progression devant le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo, l’Angola. Nous reculons de 2 places tout en améliorant notre score de 5 points. Autrement dit, sur 180 pays, le Gabon se classe, en 2012, au 102ème ex aequo avec un indice de perception de la corruption de 3,5 sur (…) alors qu’en 2011, il était au 100ème rang avec un indice de 3,5. On peut aussi noter que cette année, il y a ceux qui ont gagné des places et beaucoup d’ex aequo. Cependant, notre pays, qui demeure dans la zone endémique, déploie d’intenses efforts pour en sortir comme en témoigne le document stratégique de lutte contre la corruption et le blanchiment des capitaux qui a été validé, en novembre 2012 à Libreville, et dont attend la mise en œuvre en 2013.