L’opposition gabonaise vient d’écrire une autre page de son histoire, sans toutefois changer de registre : une nouvelle coalition a en effet vu le jour le jeudi 13 décembre dernier au siège du Congrès pour la Démocratie et la Justice (CDJ), au quartier dit Petit Paris à Libreville. Il s’agit de l’Union des Forces pour l’Alternance, l’UFA ; un antidote trouvé au pied levé par un groupe de partis politiques bien connus avec une dénomination proprement taillée pour rester à peu près dans les termes de l’Union des Forces du Changement (UFC), l’autre aile tiraillée et finalement obtenue par Louis Gaston Mayila et compagnie.
Ce dernier né des coalitions politiques de l’opposition compte onze partis ; évidemment quand on ampute l’Union Nationale, le parti dissous des Zacharie Myboto, André Mba Obame et consort et dont les cadres participent cependant activement à toutes les rencontres de cette nouvelle tendance politique. On y trouve le CDJ, le Morena Unioniste, le PSD, le CCDG, l’EPI, le PDN, le PGP, l’UPG tendance David Mbadinga, l’URDP, le RNB et bien d’autres. En tout cas onze partis au total contre neuf chez Louis Gaston Mayila et compagnie qui ont donc obtenu la garde de l’UFC qui avait été bâtie avec tambour et trompette à Mouila dans la Ngounié, et qui avait pour ambition de rassembler, unifier, consolider l’opposition gabonaise et redorer définitivement son blason ; elle à qui même le peuple a souvent reproché son caractère épars et ses égoïsmes ambiants qui avaient souvent fini par prendre le dessus sur la vision politique, chaque fois transformée en visée personnelle.
Mouila, c’était le 10 septembre dernier. Il y a donc à peine trois mois. C’était après un retranchement de trois jours qui avait eu le don de mobiliser les caméras de la télévision et une bonne partie de l’armada radiophonique nationale et internationale. Résultat des débats, la création de l’Union des Forces du Changement ; soit un regroupement exceptionnel de tous les partis de l’opposition : une vingtaine au total. Autant la surprise fut géante ; autant les attentes furent énormes et de nombreux partisans de l’opposition pouvaient souffler « enfin »! Avec en ligne de mire notamment l’idée que les prochaines batailles électorales pourraient voir une victoire de l’opposition sur le Parti Démocratique Gabonais, leader incontestable en matière d’installation à travers le territoire national et premier volontaire à la continuité. Ce qui est normal. Sauf que voilà quarante-quatre ans que cela dure ; et le parti ne compte pas céder la moindre parcelle devant un désir de changement pourtant de plus en plus présent.
Depuis Mouila donc la nouvelle force politique avait fixé ses objectifs ; avec en première ligne l’organisation d’une conférence nationale souveraine. Un projet lumineux lancé par André Mba Obame à son retour à Libreville le samedi 11 août 2012 après plus de 14 mois d’absence liée à des problèmes de santé. Une idée qui avait été accueillie comme un éclair de génie et qui du coup était scandée à chaque rassemblement et chaque débat par la classe politique de l’opposition qui voyait là le moyen de déboucher sur l’organisation d’élections générales pouvant elles-mêmes aboutir au départ d’Ali Bongo Ondimba, et à la fin du règne du Parti Démocratique Gabonais.
Pourtant, deux semaines seulement après sa création, l’UFC est hantée par les démons de la division. Louis Gaston Mayila, président de la plate-forme, est jugé trop proche du pouvoir. La suspicion fait place à la certitude avec son absence au meeting de Rio le 22 septembre ; mais mieux avec son invitation dans la foulée sur le plateau du 20h de Gabon Télévision, la chaîne nationale, avec un passage chronométré à 6 minutes 26 secondes ; « une attitude souvent hors de portée d’un homme politique de l’opposition », se sont exclamés les plus radicaux. En outre, si l’argumentaire et les révélations de l’invité d’Ali Radjoumba – le présentateur du soir – arrachent le sourire à certains téléspectateurs et aux mordus du camp au pouvoir, en face ils sont plutôt mal accueillis. Le lendemain la sanction tombe net : Louis Gaston Mayila est dans un premier temps « exclu », puis révision terminologique : il est « interdit de toute activité au sein de l’UFC autant que tout autre représentant de son parti », l’UPNR. Le tout après avoir été copieusement insulté et vilipendé par une bande de jeunes se réclamant de l’opposition radicale. Tous calculs faits, l’exclusion de l’un des fondateurs de l’UFC est intervenue quarante et un jours seulement après la naissance de cette plate forme à Mouila.
Seul problème : Mayila est un vigoureux combattant ; et en matière de contestation, le président de l’ancien Parti de l’Unité du Peuple et actuel dirigeant de l’Union pour la Nouvelle République sait démêler les couleurs. Il commence donc par réclamer la paternité de l’UFC avec une autre frange des signataires de la charte de Mouila : Richard Moulomba, Séraphin Akuré Davain, Samuel Mendou Nguema, entres autres. Ensuite il demande et obtient la reconnaissance de l’UFC par le Ministère de l’Intérieur. Et là, dans un entretien accordé à nos confrères de Gaboneco il déclare : « Ceux qui voulaient m’exclure de l’UFC, c’est moi qui les exclus aujourd’hui ».
Après quelques atermoiements et agacements, la branche conduite par Jules Aristide Bourdes Ogouliguendé s’est donc résolue, ce jeudi 13 décembre, à rebaptiser sa tendance désormais appelée l’Union des Forces pour l’Alternance, l’UFA en abrégé ; nous voilà loin de la confusion. Seulement, la coalition des vingt partis de l’opposition née à Mouila le 10 septembre s’est officiellement disloquée ; elle vient de voler en éclat et de donner raison aux plus sceptiques qui n’avaient pas cru à ce dernier élan d’unité, à un nouveau souffle de cette opposition là malgré le choix de Mouila, en se basant sur les gênes égoïstes des uns et des autres qui ont longtemps prouvé leur pouvoir de destruction et qui ont toujours miné ce bord politique. Les séquelles tiennent encore une place de choix dans leurs décisions et l’intérêt guide toujours aussi efficacement leurs actions. Désormais donc, et de façon globale, il va falloir s’habituer à deux plates-formes de l’opposition : l’UFC d’un coté et l’UFA de l’autre ; avec derrière une succession d’interrogations mais surtout une seule principalement évoquée par tous : l’unité de l’opposition est-elle donc aussi inaccessible au Gabon ?
Revenons quelques mois avant, à la veille des législatives du 17 décembre 2011 plus exactement. L’opposition semblait alors marcher en rang serré avec un discours unanime sur sa non participation à « un scrutin pipé d’avance par le régime en place », disait-elle ; le régime qui n’avait pas accédé à des réclamations liées à l’introduction de la biométrie dans le système électoral. Entre temps donc l’opposition avait réussi à mener une campagne rude auprès des populations pour leur non inscription sur les listes électorales. A l’approche du scrutin pourtant, Pierre Claver Maganga Moussavou et Louis Gaston Mayila principalement s’étaient désengagés de leur propre discours pour se proclamer candidat – finalement – puis de réclamer l’annulation du scrutin au lendemain de leur échec, avant de retrouver tranquillement leurs anciens compagnons au sein l’opposition dite radicale.
Un autre exemple. Quelques années plus tôt, à la veille de l’élection présidentielle anticipée du 30 août 2009, la société civile, dans un « Mouvement populaire d’appel à la candidature unique des forces du changement », avait rassemblé des milliers de personnes au rond point de la démocratie pour la signature d’une pétition dans ce sens. Jean Eyeghe Ndong, premier ministre démissionnaire lui-même candidat déclaré, avait d’ailleurs appelé le 25 août de cette année là les présidentiables de l’opposition à présenter une candidature unique contre celle du PDG. Résultat : vingt-deux candidatures. La vingt-troisième étant celle du parti au pouvoir. Un nombre qui s’était stabilisé à dix-huit, après quelques désistements et ralliements de dernière minute.
La Convention des groupes et Partis Politiques pour l’Alternance, la CPPA, un rassemblement de tous les indignés formé peu après cette élection, avait fini sa course avec la création de l’Union Nationale et était sur la bonne voie avant que son Secrétaire exécutif André Mba Obame, très inspiré, ne trouve le moyen de réduire à néant les efforts de construction d’un parti dont l’élan d’adhésion des populations était bien perceptible. C’était le 25 janvier 2011, à l’occasion d’une prestation de serment qui avait surpris certains invités en pleine cérémonie, dont de nombreux partisans de l’opposition.
Un peu plus loin de nous il y avait eu, rappelez-vous, la Coordination de l’opposition Démocratique (la COD), le Haut Conseil de la Résistance (le HCR), ou l’Alliance pour le Changement et la Restauration (l’ACR). Chacune de ces organisations a eu son histoire, son cheminement ; sans véritablement constituer des expériences heureuses pour l’opposition toute entière, mais faisant le bonheur de quelques individus aujourd’hui juteusement installés dans les arcanes du pouvoir.
Question : l’opposition est-elle devenue un tremplin, un marchepied qui offre une visibilité, permet de franchir des obstacles et d’atteindre des objectifs personnels ? Rien n’est moins sûr ! Mais au bénéfice du doute on demande à accorder à l’UFC et à l’UFA une période de vie, un temps d’examen pour leur nouvelle démarche politique. Mais Feu le président de l’Union du Peuple Gabonais Pierre Mamboundou l’avait déjà dit en son temps : « Au-delà de la base militante, il y a les égos de ces leaders politiques de l’opposition qui sont démesurément trop forts ».