Si vous lisez cet article, c’est que vous avez survécu à la fin du monde. Vous allez donc pouvoir reprendre votre vie normale… Jusqu’à la prochaine annonce apocalyptique. Mais ce qu’a démontré, avant tout, cette tragicomédie médiatique, c’est la profonde inculture scientifique d’un pan entier de l’humanité, qui prétend pourtant diriger le monde.
Après des dizaines de promesses de fin du (d’un ?) monde par des prédicateurs plus ou moins illuminés, plus ou moins sérieux, plus ou moins vénaux aussi car «la fin du monde» a souvent rapporté gros à ceux qui la prédisaient, le mouvement New Age se concentre depuis les années 70 sur les mystères mayas. Une affirmation théorisée par Roger Argüelles dans son livre «Le facteur maya» paru en 1987, qui ne pourra heureusement jamais vérifier l’absurdité de sa thèse puisqu’il est mort l’an dernier.
Le décryptage du calendrier maya
Au gré des découvertes archéologiques et des interprétations, élucubrations devrait-on dire, mêlant astronomie, astrologie et syncrétisme mystique, la date de la «Fin des temps» ne cesse de faire débat. «Jamais une prédiction de fin du monde n’avait été aussi médiatisée. Le 21 décembre est d’ores et déjà une date dont on se souviendra. L’important est moins que la fin du monde survienne vraiment que le fait que certains y croient, qu’on en parle. Dans le cas présent, ce phénomène a été largement amplifié par Internet, bien sûr, mais aussi par les producteurs du film 2012. C’est un très gros canular, mais l’on peut dire la même chose de toutes les prédictions qui ont précédé – 182 depuis la chute de l’Empire romain selon mon décompte. La dernière en date était celle de 2008, quand deux astrophysiciens avaient prédit que la mise en route du méga accélérateur de particules du Centre européen de physique nucléaire, à Genève, entraînerait un énorme trou noir qui avalerait la Terre. La prochaine est pour le 10 avril 2014. Celle-là, c’est une prédiction des adeptes de la Kabbale, qui assurent que ce jour-là ce sera la revanche du diable. Il y en a un tas d’autres qui suivent. A vrai dire, on a autant de prédictions de fin du monde devant nous que derrière» explique, dans le journal Libération, Luc Mary. Historien des sciences, il est l’auteur du Mythe de la fin du monde, de l’Antiquité à 2012.
En tout cas, anthropologues, linguistes et historiens semblent aujourd’hui presque tous d’accord sur un point : les Mayas ne voyaient dans cette date que la fin d’un cycle (d’un peu plus de 5 000 ans), et non la fin du monde. «Comme la plupart des peuples mésoaméricains, les Mayas avaient une notion du temps très différente de nos sociétés», souligne l’anthropologue et historienne Danièle Dehouve. A la conception cyclique de ces civilisations anciennes s’oppose celle, apocalyptique, de la nôtre. «Mais notre société est dépourvue de dates conventionnelles. Elle a certes un début, qui n’est que probable, et ne dispose d’aucune échéance future. Les courants apocalyptiques vont donc chercher ces dates dans d’autres sociétés.» Au point que, récemment, des populations mayas du Guatemala se sont publiquement indignées de cette dénaturation de leur culture passée.
Le 21 décembre 2012 n’en est pas moins une date fondamentale, comme l’a confirmé une découverte récente, même si le décryptage de la langue des Mayas et la découverte de leur calendrier spécifique, «le compte long», ont été très laborieux, et conservent encore une part de mystère. Il faut dire que la «splendeur maya» n’a duré qu’une courte période, entre 250 et 900 après Jésus-Christ. Ne restaient plus, comme témoignages de cette civilisation, que des inscriptions sur des pierres (glyphes). D’autant qu’un moine franciscain Diego de Landa, envoyé vers 1550 au Yucatàn évangéliser les peuples indigènes, s’était empressé d’organiser de terribles autodafés, brûlant des tonnes de précieux documents mayas.
La découverte en 1980 d’un glyphe sur le site de Tortuguero au Mexique, fut en tout cas déterminante pour éclairer le «long compte» maya. La date de fin de cycle y est découverte pour la première fois. Il s’agit de l’achèvement de 13 baktuns depuis le point zéro (13 x 400 ans de 360 jours, soit 5.126 de nos années) correspondant donc au 21 décembre 2012. C’était la seule référence —d’ailleurs très énigmatique— dont disposaient les experts jusqu’à très récemment. En mai dernier, une autre mention de cette date est découverte sur le site de La Corona, au Guatemala. Cette inscription datant de 696 après JC est, cette fois, beaucoup plus lisible. La stèle parle d’un roi, de la cité de Calakmul, qui aurait présidé des cérémonies marquant la fin d’un cycle de 13 katuns (13 X 20 ans).
La thèse de la fin du monde en 2012 a, en revanche, été déboulonnée dès 2010 par une autre découverte scientifique, cette fois dans la cité mexicaine de Palenque. Sur l’inscription d’un temple, on peut lire une évocation du roi Pakal, qui enchaine les rituels pour mettre fin à une série de malheurs. Il recommande à ses successeurs de faire de même régulièrement et ce, jusqu’à une date anniversaire de sa propre intronisation (615), se situant 20 baktuns (20X 400 ans) plus tard; soit le 14 octobre 4772. Pour Danièle Dehouve, «cela montre qu’ils pouvaient toujours passer à un cycle plus grand s’ils en avaient besoin [20 est un autre nombre clé des Mayas, ndlr]. La démarche pouvait se reproduire à l’infini, mais il est peu probable que la notion d’infini les intéressait. Ce qu’ils voulaient, c’était situer leur roi sacré au centre d’un cycle toujours plus long».
La fin du monde, une grande crainte depuis que l’homme existe
Pour l’historien Luc Mary, «L’histoire commence avec la conviction que Nibiru, une planète (qui n’existe pas) découverte par les Sumériens, va foncer s’écraser sur la Terre. Cette catastrophe a d’abord été prédite pour mai 2003, mais comme il ne s’est rien passé, la date fatidique a été changée à décembre 2012 et assimilée à la fin de l’un des cycles de l’ancien calendrier maya fixée au solstice d’hiver de 2012, d’où la date du 21 décembre 2012. (…) La fin du monde a deux faces. Elle est toujours, d’un côté appréhendée comme un châtiment et de l’autre, attendue comme une récompense, c’est toute son ambivalence. Le jugement dernier est un préambule à la résurrection des morts. Il y a donc l’idée du peuple élu. L’idée aussi de l’avènement d’un monde meilleur, plus juste, débarrassé de ses impuretés, de la luxure. C’était très présent notamment au moment des croisades. Au XIIe siècle, Joachim de Flore, un moine cistercien, prédit ainsi la fin du monde pour 1260. Inutile de dire que ça ne s’est pas produit. Dans les trois grandes religions monothéistes, il est question d’un âge d’or de l’humanité après le jugement dernier.»
Tous les siècles sont égaux en matière eschatologique, tous ont eu leur lot de prédictions. Mais les XVIe et XXe siècles sont champions. Pour le XVIe siècle, cela s’explique par la crise de l’Église, doublée d’un mouvement de revendications sociales. Cela a alimenté l’aspiration à un monde créé sur d’autres bases. Pour les courants millénaristes allemands de cette époque, la révélation (apokalupsis signifie «la mise à nu, le dévoilement») rimait avec révolution. Le nouveau monde serait un monde juste, sans nobles ni nantis. La fin du monde se nourrit aussi d’utopies.
Au XXe siècle, la peur de l’homme s’est substituée à la peur de Dieu. Avec les deux guerres mondiales et l’apparition de la bombe atomique, l’homme a pris conscience du fait qu’il pouvait lui-même provoquer sa perte. La destruction de la planète est de l’ordre du possible. C’est le syndrome Hiroshima. La guerre froide a poussé à son paroxysme la peur de l’apocalypse nucléaire. Cela se retrouve dans les films de science-fiction des années 70. Mad Max, la Planète des Singes… Tous mettent en scène un monde post atomique. Avec le XXIe siècle et la fin de l’URSS, on est passé à une peur de la nature, du dérèglement climatique, amplifiée par la télévision qui nous inonde d’images apocalyptiques. Le tsunami de 2004, le séisme à Haïti, le cyclone Sandy, le séisme au Sichuan… On a l’impression que le monde est en catastrophe perpétuelle. En réalité, il n’y a pas plus de catastrophes qu’avant. Le tremblement de terre de Tangshan, en Chine, en 1976, ou l’éruption du Krakatoa, près de Sumatra, en 1883, ont été par exemple des catastrophes majeures, que l’on a relativement oubliées.
En fait, il faut arrêter de croire que nos «ancêtres» disposaient d’un savoir perdu qui nous indiquerait où va le monde. On ne peut pas prédire le futur, pour tout un tas de bonnes raisons largement démontrées, entre autres, par les théories du chaos ou celles de l’effet papillon. On le peut encore moins lorsqu’on fait partie d’une peuplade primitive qui n’avait même pas été capable d’inventer la roue et qui, par contre, a été a réussi à s’auto-exterminer assez rapidement. Plus un peuple demeure dans ses croyances moins il possède la science et la technologie. Parler de maîtrise des cycles cosmiques par les mayas, les égyptiens ou toute autre civilisation ancienne est, là aussi, relativement ridicule. On connaît aujourd’hui la mécanique céleste à un niveau qu’aucune civilisation n’a pu atteindre dans le passé (ils n’avaient aucune théorie de la gravitation et pas d’ordinateurs pour effectuer les calculs). On sait donc que les astres n’ont aucune influence sur nous… parce qu’ils sont très lointains. Pour le reste, il faut savoir établir des relations de cause à effet sur d’autres paramètres qu’une coïncidence temporelle. Tel évènement peut survenir et un autre plus tard, sans qu’il y ait de relations. Dramatiser l’avenir est une façon de l’exorciser. Plutôt que d’imaginer le futur, on préfère le détruire.
Ce que ce non-événement met en lumière en revanche, c’est la démonstration du peu de culture scientifique de base de la population terrestre actuelle. C’est un plaidoyer pour plus d’éducation scientifique, à l’école et à travers les médias. Ce qui fait l’homme, c’est sa capacité à utiliser la logique et les connaissances pour élargir ses compétences. Les troupeaux d’adeptes qui vénèrent n’importe quelle prédiction, aussi absurde soit-elle, démontrent à volonté que sans un minimum d’éducation, l’homme n’est rien d’autre qu’un animal apeuré par ce qu’il ne comprend pas. Sortir du système éducatif et être illettré ou ne pas savoir compter c’est grave, mais ne pas avoir un minimum de culture scientifique, c’est à dire croire encore aux religions, à l’astrologie, aux ovnis, aux fantômes, aux prédictions des mayas ou de n’importe quel autre gourou de secours, est tout aussi grave.