Ambassadeur des États-Unis au Gabon depuis 2010, Eric D. Benjaminson s’est livré aux questions de Gabonreview sur le nouveau bunker de sa mission diplomatique à Libreville, les relations Gabon-USA, les négociations secrètes pour la réhabilitation de l’Union nationale, le contexte politique gabonais et l’ouverture économique du pays.
Eric D. Benjaminson, Ambassadeur des États-Unis au Gabon depuis 2010 © Ambassade US
Gabonreview : Vous avez récemment inauguré un nouveau siège pour votre ambassade à Libreville et la cérémonie a été placée sous le signe de l’engagement. Est-ce à dire que les États-Unis n’étaient pas suffisamment engagés aux côtés du Gabon ? Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
SE Eric D. Benjaminson : Si, dans un certain sens. La forme, la nature de l’engagement a changé depuis les dernières élections de 2009 et je ne veux pas dire que c’était quelque chose de magique. Ce sont les évolutions du pays. Sous l’administration de feu Omar Bongo, je n’étais pas ici mais je l’ai lu, il y avait de bonnes relations, des relations normales, amicales, stables, mais ce n’était pas au niveau où on voulait amener les relations actuelles. Dans le secteur des investissements par exemple, il y avait seulement un ou deux pétroliers américains. Dans le secteur forestier, il n’y avait rien du côté américain. Il y avait des Chinois, des Français, etc. Dans le contexte militaire américain, il y avait de petits exercices et le problème de la sécurité maritime n’était pas si évident, il y a dix ans. C’était donc un mélange de choses. Il y avait l’entrée plus précise de ce côté du Golfe de Guinée comme zone de stabilité et il y avait tous les problèmes de stabilité en Afrique de l’ouest. La Côte d’Ivoire, les problèmes au Mali, les problèmes au Nigéria constituent une certaine pression sur nous pour aider à la stabilisation du Golfe de Guinée. C’est le facteur numéro un.
Ensuite, pour nous, il y a eu le changement de votre gouvernement et il y a eu un effort majeur de votre gouvernement pour tendre la main, particulièrement aux pays anglophones. C’est à vous, à votre gouvernement de décider pourquoi attirer les anglo-saxons. Pour l’Angleterre, le Canada anglophone et nous, c’était une chance que le gouvernement voulait collaborer avec nous. Ma priorité concerne donc le domaine de l’investissement privée au Gabon et aussi dans le domaine de la conservation, de l’écotourisme, du Gabon vert, parce que ce sont là les domaines où nous pouvons faire des contributions. Dans ce sens, c’était une réponse en direction de votre gouvernement. Dans le sens militaire, c’était à cause de la sous-région qui demande un peu plus d’attention de notre part. Il y a un mélange de raisons là-dedans, mais on réagit particulièrement au message de votre gouvernement.
On a l’impression, avec cette nouvelle ambassade qualifiée, permettez l’expression, de Bunker, que les USA veulent utiliser le Gabon comme base arrière de la lutte contre les groupes extrémistes en Afrique. Qu’en dites-vous ?
La nature de nos bunkers est basée sur une préoccupation mondiale concernant la sécurité de nos ambassades. Cela n’a aucun lien avec la situation particulière du Gabon. Vous vous souvenez de la situation à Benghazi, il y a quelques mois, où mon ami l’ambassadeur Steven a été tué. C’est pour ces raisons qu’on fait des bunkers. Il y a des gens qui disent que c’est excessif dans un pays stable comme le Gabon, mais nous avons un plan pour nos ambassades dans tous les pays du monde. En fait, il y a trois tailles à cet effet. Un petit, un moyen et un grand niveau. Par exemple au Lesotho, il y a une ambassade de petit modèle, ici à Libreville c’est un modèle moyen. A Londres, à Moscou, à Ottawa, c’est un modèle plus grand. Le plan est le même. On veut savoir pourquoi on a un si grand bunker ici à Libreville, mais ce n’est pas sous mon contrôle. La menace du terrorisme, les actes extérieurs restent possibles n’importe où, pas plus au Gabon que dans les autres pays. Le problème pour le Gabon, pour ce qui concerne la sécurité, c’est la piraterie maritime et les clandestins qui traversent les frontières du Cameroun vers le Gabon ou vers le Congo Brazzaville ou encore les braconniers, les trafiquants de personnes, les narcotrafiquants, les trafiquants d’armes légères. Ce sont là des menaces. Le bâtiment n’est pas là pour nous protéger des braconniers, mais pour nous donner une base pour vous aider dans le combat contre les braconniers ou les trafiquants ou les pirates maritimes.
Il a été écrit ces derniers temps dans la presse locale que des négociations se font en sourdine avec l’ambassade des États-Unis, l’ambassade de France, pour la réhabilitation de l’Union nationale. Qu’en est-il ?
Tout d’abord, j’apprécie le rôle de nos alliés français, mais ce n’est pas coordonné comme ça. Je parle avec l’ambassadeur de France, après les réunions, pour discuter avec lui de ce que nous avons entendu, chacun, dans sa réunion. Il ne s’agit pas d’un effort pour coordonner un message. Pour répondre à la question précisément, nos efforts avec l’ex-Union nationale s’étaient faits dans le contexte de deux choses. La principale quant aux États-Unis et quant à plusieurs autres personnes au Gabon, c’est qu’il faut avoir au Gabon une opposition. Il faut avoir un pays démocratique. On ne peut pas continuer avec un parti singulier au pouvoir sans, non pas la menace, mais le défi des opposants. Et ça c’est normal. C’est ce qui est demandé par la démocratie. Dans nos conversations, pour être juste, avec votre président, il m’a dit exactement la même chose. Il faut avoir une opposition. Ça m’est égal si c’est l’UPG ou l’UFC ou l’Union nationale. C’est aux Gabonais d’en décider. Mais il faut absolument avoir une opposition active. Dans le contexte de l’Union nationale, il y a des activités qui, de temps en temps, touchent à la menace d’instabilité. C’est-à-dire ne pas être une opposition légale, et mener des activités qui ne sont pas exactement légales. Je pense, par exemple, à l’année 2011 où on était, à un moment donné, dans le Pnudpendant 30 ou 40 jours. Ce n’est pas légal.
Et on avait des réunions avec eux, avec monsieur Myboto et Paul Marie Gondjout pour souligner la question de la non-violence. Parce qu’à notre analyse, il n’y a pas de raisons d’avoir une révolution violente au Gabon. Il faut avoir des changements dans la politique, il faut avoir des alternances gouvernementales, mais on ne peut pas rapprocher la situation avec la violence et notre effort, je pense que c’était également les efforts des Français, vous pouvez poser la question aux Français, était de leur souligner que vous avez un rôle sans violence, sans les appels à la violence, sans les appels aux coups d’État ou à n’importe quoi. Il faut éviter également la violence implicite dans la question du tribalisme ou ethnisme. Le Gabon a évité tous ces problèmes qui se sont passés en Côte d’Ivoire, au Mali, au Nigéria entre les Igbo, les Yoruba et les Haoussa. Pour nous, il faut éviter ces problèmes ici. Quand on parle des Fangs, des intérêts des Fangs ou des injustices contre les Fangs, je comprends la situation, mais ce n’est pas un moyen ou une piste qui va garder le pays dans la stabilité démocratique. C’était notre message et, quant à moi, j’ai aussi parlé avec le pouvoir : il faut aussi ouvrir les portes un peu pour tous les partis de l’opposition. J’espère que la petite ouverture pour la discussion autour de la Cemac a été une réaction par rapport à mes appels et ceux de l’Union européennes et des Français. Pour la question de l’ex-Union nationale, il est important pour l’Union nationale de considérer les efforts qui ont été fait par le gouvernement, de changer de nom ou autre et de rentrer dans la politique, même si ce n’est pas sous le nom de l’Union nationale. Quel que soit le nom, ça m’est égal. Mais il y a des opportunités et j’ai encouragé ce parti de les prendre dans le contexte où nous continuons de pousser le pouvoir de faire des ouvertures vers la démocratie.
Excellence, votre prédécesseur, d’après les télégrammes de WikiLeaks, avait dit que l’élection présidentielle gabonaise en 2009 ne s’était pas bien passée. A ce qui semble, le gouvernement américain n’a toujours pas félicité ou reconnu les nouvelles autorités du pays. La situation a-t-elle changé ?
Tout d’abord, je n’étais pas là en 2009, je suis arrivée en 2010. J’ai lu tous les messages. En 2009, on avait de profondes interrogations sur le déroulement de ces élections. C’était partagé par nos partenaires européens, mais aussi des autres pays africains qui posaient des questions sur le déroulement de ces élections. On a reconnu monsieur le président Ali Bongo en 2009 et aussi pendant les actions de l’Union nationale au Pnud en 2011. Cette fois, c’était moi qui l’ai fait en 2011. Pour ce qui est de la question de félicitation, franchement, je ne sais pas si on les a faites en 2009. On a remarqué à cette époque qu’il y avait des problèmes avec les élections, particulièrement à Port-Gentil. Mais ces problèmes ne sont pas seulement du côté gouvernemental. Il y avait des problèmes avec les listes électorales de l’opposition, des lacunes et des faux dans le comptage des électeurs de tous les partis. Il y a eu une déclaration à Washington avant mon arrivée et dans les autres capitales européennes indiquant que l’élection n’était pas parfaite. Il y avait des troubles, mais le pourcentage pour les trois premiers partis était adéquat, ça reflétait le vote. C’était la position officielle de mon gouvernement vers la fin 2009 après la période où madame Rogombé était présidente temporaire, après que toutes les questions constitutionnelles aient été abordées. La balance était là et les chiffres exacts étaient soupçonnables. C’est notre position jusqu’à maintenant. Il faut souligner qu’il faut avoir plus d’ouverture vers l’opposition et il faut avoir une opposition. Et la responsabilité dans tout ça est partagée entre le pouvoir et les partis de l’opposition.
Croyez-vous, en tant qu’observateur, que la démocratie gabonaise, en dehors de ce manque d’ouverture vers l’opposition, fonctionne tout de même ?
Elle ne fonctionne pas parfaitement, mais elle marche mieux qu’auparavant. Il y a beaucoup de discussions qui ne sont pas publiques entre les membres des partis de l’opposition. La période la plus troublée, de mon point de vue, est la période des élections législatives où il y avait un boycott par un grand nombre de partis. Pour nous, c’était regrettable d’avoir un grand nombre de partis qui se sont désistés de l’élection. Je comprends pourquoi ils ont décidé de le faire, mais dans le sens stratégique et démocratique dans le pays, pour nous c’était regrettable. A ce moment, il y avait de grandes activités, par exemple l’UPG devait essayer de renouveler le parti pour être un parti solidaire, il y avait les grands mouvements de l’UFC, la nouvelle coalition politique. Tout cela donnait l’impression qu’il y avait une certaine vivacité dans l’opposition. Il y avait de grands problèmes entre le gouvernement et l’opposition, il y avait des conversations officielles et privées.
Le problème reste entre l’Union nationale et le pouvoir. Parce que les membres de l’Union nationale, vous le savez-mieux que moi, croyaient qu’ils sont à l’extérieur de la vie politique, mais ils ont des opportunités d’y entrer. Ça reste une décision politique pour eux. Et le gouvernement a une certaine sensibilité envers l’Union nationale pour des raisons de rhétorique qui venait des deux côtés. On a conseillé le pouvoir, dans ce contexte, d’être un peu moins sensible, un peu moins soucieux quand il y a des questions de la liberté de la presse. Ça veut dire que si quelqu’un a écrit dans la presse un article qui insulte monsieur le président, c’est un morceau du boulot. Il y a aux États-Unis des gens qui insultent monsieur Obama quotidiennement, il n’y a pas de réactions officielles. Dans un contexte plus difficile, quand il y a un journal qui écrit hypothétiquement un article pour dire «c’est le temps pour l’armée de se soulever et d’attaquer le pouvoir», ça c’est un peu excessif, mais il faut une décision juridique du Gabon pour suivre les lois et répondre à ce type d’article. Ce n’est pas du journalisme que d’appeler les militaires à faire un coup d’État. C’est un appel politique, pas du journalisme…
Je suis en Afrique depuis 1982. Il y a eu, durant les trois années où j’ai travaillé au Nigéria, six coups d’état. Maintenant, de quand date le dernier coup d’État au Nigéria ? De quand date le dernier coup d’État au Bénin au Togo ? La démocratie en Afrique et particulièrement en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, ça bouge un peu. C’est mieux qu’il y a 30 ans. C’est évident. Il y a encore des problèmes, des frustrations, c’est vrai. Mais prenez une échelle de 30 ans et on pourra avoir une situation meilleure que maintenant.
On découvre à travers cet entretien que vous êtes aussi politique alors que certains journaux vous présentent comme un ambassadeur-économiste, un businessman, qui préfère travailler aux relations économiques. Qu’est-ce que le Gabon peut espérer de l’avenir dans les relations économiques avec les USA ?
Ma concentration porte en effet sur les questions économiques et cela inclut les questions environnementales basées sur la conservation et, je vous taquine un peu, je ne comprends pas la politique, même des USA. Il me faut des conseillers très forts pour m’aviser. Je ne suis pas politicien, je suis un diplomate de carrière mais ma formation portait sur des questions scientifiques. J’ai une certaine psychologie personnelle qui est attirée par les questions économiques et scientifiques. Ce sont les joies d’être ambassadeur, je peux choisir mes priorités et je fais tout de même de la politique. Nous venons de parler de l’Union nationale et des autres. Donc, s’il y a un rôle pour nous à jouer dans la politique du Gabon, je vais jouer ce rôle. Mais je ne vais pas être irritant dans les discussions qui ont lieu entre le pouvoir et les opposants.
Pour les questions économiques, il y a une grande entrée des investisseurs américains au Gabon, relative à la taille du pays et à son potentiel économique. Les choses ont commencé avec les pétroliers, mais il y a maintenant une diversification des entrées. Il y a par exemple un investisseur qui vient en janvier pour travailler dans la transformation du bois. Il y a une autre société agricole qui fait une plantation de canne à sucre dans le Sud, près de Mayumba, avec la collaboration de l’Agence nationale des parcs nationaux, parce que ça se fait dans le secteur tampon à l’extérieur du parc de Mayumba. Il y a des investisseurs dans le secteur de l’énergie. Il y a une petite société ici qui travaille avec Veolia-SEEG pour ajouter un peu de capacité dans le secteur de l’électricité. Il y a également des investisseurs qui ont de grandes entrées dans le secteur forestier et chimique pour la zone franche de l’île Mandji.
Tout ceci est basé sur la perception d’une ouverture du Gabon envers tous les pays. Pas seulement ses partenaires traditionnels comme les Français ou les Chinois, mais c’est aussi les pays anglo-saxons. Permettez-moi de souligner le fait que je crois en cette ouverture et qu’elle est réelle, même s’il y a des frustrations pour les investisseurs ; mais on peut les régler. Le processus d’appui aux investisseurs est long et lent. C’est de temps en temps un peu confus. Ce n’est pas clair. On ne sait pas si c’est tel ministère ou tel autre ministère ou la présidence qu’il faut approcher. C’est un processus qui se développe. Ma frustration mineure est la lenteur, soit de l’administration, soit de la présidence, de prendre des décisions sur les grands investisseurs. Car il y a des investisseurs qui sont intéressés mais qui doivent attendre cinq, six, sept voire huit mois pour une réponse. OK, c’est normal et ce n’est pas une politique contre les investisseurs. Le pays veut attirer des investisseurs et c’est un monde un peu nouveau pour le Gabon d’avoir une diversité d’investisseurs qui ne sont pas Français, qui ne parlent pas français, qui n’ont pas des agents sur place. Ils font des allers et retour, pour des missions, entre les USA et le Gabon. C’est une situation un peu différente, je le comprends, mais il faut faire un peu attention à la lenteur du processus administratif.