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Dieudonné Minlama : «En 2013 les Gabonais vont jeter les bases d’une nouvelle république»

La conférence nationale finira par se tenir, à en croire Dieudonné Minlama Mintogo, président de l’Observatoire national de la démocratie (OND). Dans l’interview ci-après, ce membre du mouvement de «Ça suffit comme ça» est amené à parler des évolutions de cette idée de conférence nationale, de la fameuse crise sociopolitique du pays, des fâcheries au sein de la société civile, mais aussi des perspectives politiques du Gabon en 2013.

Dieudonné Milama, président de l’Observatoire national de la démocratie (OND) © François Ndjimbi/gabonreview.com

Depuis le 27 janvier 2011, après la mise en place du gouvernement dit du Pnud d’André Mba Obame, vous avez lancé un appel à l’apaisement et au dialogue politique au Gabon. Quel bilan peut-on en tirer aujourd’hui ?

En effet, à cette date qui suivait la prestation de serment de M. André Mba Obame et la déclinaison de son gouvernement, l’observatoire national de la démocratie (OND) que je dirige avait lancé à la classe politique nationale un appel à l’apaisement et au dialogue. J’étais tout heureux de constater que très rapidement les différents acteurs politiques, aussi bien ceux de la majorité que de l’opposition et de la société civile, ont bien accueilli cet appel. Mais il a ensuite été demandé de quoi il fallait discuter ? C’est ce qui nous a amené à élaborer le mémorandum de la société civile sur la crise sociopolitique au Gabon avec des propositions concrètes de sorties de cette crise. Après cette étape, un plaidoyer a été entrepris qui a enregistré la participation de plusieurs autres acteurs de la société civile. Ce qui a abouti, quelques temps plus tard, au mouvement «Ça suffit comme ça» qui fait aujourd’hui la promotion de ce dialogue, avec la Convention de la diaspora gabonaise (CDG), l’opposition, et je dirais même la majorité, parce que celle-ci a également appelé au dialogue même si la présentation des formes de ce dialogue différait. Je peux donc dire que depuis le 27 janvier 2011, le feed-back de cet appel a pris du temps mais les résultats sont plutôt positifs.

Pourtant l’opinion publique pense que les choses n’avancent pas et qu’il n’y a rien de concret.

Il faut comprendre qu’il y a des réajustements à faire. En politique et même tout simplement en négociation, on peut mettre la barre à un certain niveau et l’autre partie peut également mettre la barre à un niveau différent. Je crois que nous sommes actuellement au niveau du réajustement de la barre. Lors des assises de Paris, la société civile, les membres de la diaspora et une partie de l’opposition ont rédigé un document de proposition qui a poussé la majorité à réagir ; d’abord le Premier ministre qui a d’abord proposé une concertation nationale puis le président de la République qui a réanimé l’idée du Conseil national de la démocratie. Ce sont des idées dont il faut tenir compte et qui sont des répliques au besoin d’un dialogue national. Aujourd’hui, il va falloir trouver le juste milieu entre les positions des uns et des autres et je suis convaincu que nous n’avons pas d’autres choix que de dialoguer.

Nombreux sont ceux qui soutiennent qu’il n’y a aucune crise sociopolitique au Gabon.

Si le plus grand nombre s’accorde sur le fait qu’il faut ouvrir un dialogue et si les gens veulent se parler dans le sens de l’obtention d’une paix des braves, c’est qu’il y a une crise. Je l’ai dit plusieurs fois par ailleurs : notre constitution est aujourd’hui un problème tangible. En 1991, après la conférence nationale, on a élaboré une constitution consensuelle qui devait favoriser l’alternance au pouvoir. Non seulement nous avions un mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une seule fois, mais l’équilibre entre les différentes institutions républicaines était également stipulé. Seulement, au fil des différents amendements de la constitution, sans référendums, on a éliminé toute la substance qui garantissait une certaine démocratie de notre constitution. Nous avons aujourd’hui une constitution qui met en déséquilibre les différents pouvoirs et ne garanti pas l’alternance. C’est une crise. Il y a une crise quand aucune élection ne peut se dérouler sans qu’on ne frôle la catastrophe. Il y a une crise quand les Gabonais ne peuvent plus se parler de peur d’être taxés de collabos et subir quelques revers. Depuis 2009, tous les acteurs politiques ne se sont jamais retrouvés pour traiter un problème de la République ; à chaque fois il y a eu une partie qui n’était pas là. Depuis 2009, il n’y a pas eu de rencontre entre tous les acteurs de la société civile, le gouvernement, les partis politiques. Quant, dans un pays, les gens ne se parlent plus cela entretient les rancœurs et il y a vraiment crise.

Ce dialogue sociopolitique tant invoqué, que vous dite en gestation, a-t-il réellement des chances de voir le jour ?

Je crois que les Gabonais tiendront ce dialogue. Non seulement les Gabonais eux-mêmes, majorité, opposition, société civile, s’y incitent malgré les résistances entretenus par ceux qui gagneraient à ce que ce dialogue ne se tienne jamais, mais il y a également la communauté internationale qui nous y encourage. Les Etats-Unis nous ont demandé des réformes, la France nous a demandé un dialogue, de même que l’Union africaine. Je crois que, dès qu’on aura terminé les ajustements et réajustements, nous allons inéluctablement dialoguer… et dans les meilleurs délais.

Sur la partie visible de l’iceberg les différents acteurs se regardent en chiens de faïence, rien ne semble bouger. Qu’est-ce qui est fait pour que les réajustements que vous évoquez se fassent ?

Il y a forcement des couloirs, au sens où le lobbying renvoi aux couloirs. Il y a forcément des gens qui travaillent pour qu’on puisse harmoniser un certain nombre de choses. Cela se fait et je pense que dans les meilleurs délais cela va se savoir.

En tant qu’observateur de la démocratie gabonaise, quel regard prospectif pouvez-vous jeter sur l’année 2013 ? 13, étant un nombre que les superstitieux lient à la malédiction.

Je ne crois pas du tout que cela portera malheur au Gabon. Je pense que 2013 sera l’année durant laquelle les Gabonais vont jeter les bases d’une nouvelle république. Durant l’année qui s’achève les différents camps politiques du pays ont chacun a essayé de consolider leurs positions, chacun bandait les muscles pour montrer combien il est costaud. Il y a eu les meetings et les déclarations de l’opposition, même interdite. Il y a eu, d’un autre côté, la tournée du président de la République pour démontrer tout ce qu’il a pu réaliser. Il y a eu le discours du président devant le Parlement réuni en Congrès. Maintenant, des inscriptions se font pour la conférence nationale au siège librevillois de Publiez Ce Que Vous payez, où les partis de l’opposition et la société civile se sont inscrits. Dans un camp comme dans l’autre, toutes ces manifestations, qui portent sur le dialogue, démontrent que chacun s’y prépare. Je pense que ces différentes démonstrations de forces vont s’arrêter là et qu’en 2013 nous allons passer à autre choses, c’est-à-dire qu’on va avoir un agenda pour ce dialogue, en tenant compte de ce que les uns et les autres expriment. Je pense que la phase préparatoire à cette concertation ne va pas tarder à démarrer.

Tenant compte de ce que le président de la République a dit qu’il ne dialoguera pas avec ceux qui ne respectent les institutions et de ce que la principale force de l’opposition, l’Union nationale, est dissoute et ne reconnait pas le président de la République, je n’écarte pas le fait qu’il y a un étiquetage préliminaire à effectuer : l’un s’appelle Président de la République, l’autre Union nationale. On n’imagine pas aller à un dialogue où les gens ne se nomment pas. Il y a des acteurs qui comprennent qu’il faut régler le plus vite possible ce problème de spécification.

En observant les acteurs non étatiques, on note que le mouvement «Ça suffit comme ça» organise des inscriptions à la conférence nationale où l’OND n’a pas été aperçu. Il semble que le torchon brûle au sein du mouvement. Qu’en est-il de votre point de vue ?

Je crois que l’OND a contribué à la promotion des réformes jusqu’au niveau où nous en sommes aujourd’hui et, à un moment donné, il se positionne pour amener les gens à arrondir les angles, à ne pas demeurer uniquement protagonistes. C’est une posture également républicaine et légaliste. Ce travail de promotion a été fait et ceux qui s’inscrivent au siège de Publiez Ce Que Vous payez sont ceux qui avaient déjà été convaincus par cette promotion, à l’instar des politiques qui avaient déjà adhéré à l’idée de dialogue depuis Mouila.

Maintenant en ce qui concerne le torchon qui selon vous brûle, je dois noter que des choses et d’autres ont été dites. Je suis le président de l’OND mais, en même temps, je suis agro-développeur et je travaille dans ma vie privée. Il y en a qui ont fait l’amalgame entre mes activités de consultant et mon engagement pour la défense des droits de l’homme. Pour tout dire, je suis consultant pour le groupe Olam Gabon depuis février 2010, donc bien avant que je ne lance l’appel au dialogue. Il s’est trouvé que certains membres de la société civile qui travaillent sur les questions environnementales ont certaines choses à reprocher au groupe Olam et il y en a qui se sont attaqués au consultant d’Olam que je suis. Ce que je trouve malheureux parce que certains responsables de ces ONG environnementales qui ont des atomes crochus, des cabinets d’études qui leur sont très proches et qui font des consultations pour Olam ou pour Comilog qu’ils ont attaqué hier. Je crois qu’il va falloir que les Gabonais fassent un distinguo entre la vie publique de chacun de nous et le fait que nous avons aussi des formations, des compétences qui nous font vivre. Car nous ne vivons pas de la société civile. Pour ma part, j’investis beaucoup plus de mes propres moyens dans l’action non étatique. J’ai une famille à nourrir et je gagne ma vie en tant que consultant pour les questions agricoles. Mais je travaille pour que le Gabon puisse se développer et je mets mon savoir-faire professionnel à la disposition de mon pays, aussi bien dans les questions de démocratie que dans celles de développement. Je ne pense donc pas que le torchon brûle. Il y a eu des incompréhensions et je sais que tous les membres de «Ça suffit comme ça» sont en accord pour que les 13 points que nous défendons, les réformes pour lesquelles nous nous battons puissent aboutir. C’est sur cette base que nous avons signé un accord et non ailleurs.

Avez-vous un message particulier à lancer au soir de l’année 2012 ?

Je voulais surtout dire à la classe politique gabonaise, notamment au président de la République et à la majorité que 2013 doit être une année durant laquelle le président de la République doit se mettre largement au dessus de la mêlée et qu’il comprenne aussi qu’en période de tornade, il vaut mieux être un roseau qu’un okoumé. Quand la tornade est forte, le roseau plie et ne rompt pas mais l’okoumé tombe, entrainant avec lui plusieurs autres arbres. Je crois que nous sommes à la croisée des chemins et que le dialogue est nécessaire, afin que chacun puisse vider son sac, dire ce qu’il pense, apaiser son animosité. Nous avons des thèmes sur lesquels nous voudrions insister, au titre desquels il y a celui de la constitution. Il faut réfléchir sur le type de constitution, le type de régime qui favoriserait un consensus fort. Ce qui amène au problème des élections qui contribue à diviser les Gabonais. Je pense que si nous avons une constitution qui garanti le consensus, nous n’aurons pas peur des élections parce que je crois que nous avons encore besoin d’apprendre, de nous accepter pendant un moment avant de nous disperser dans les différents idéaux démocratiques.

Ma proposition se base sur l’expérience sud-africaine. Lorsque ce pays est sorti de l’Apartheid, il a adopté une constitution donnant sur des élections à la proportionnelle. De ce fait, pendant un bon moment toutes les forces ont géré dans la cohabitation. Lorsque les esprits ont été jugés suffisamment préparés, cette constitution a été réaménagée. Je crois donc qu’il faut une profonde réflexion sur la constitution et les élections. Je crois aussi qu’il faut une sérieuse réflexion sur la suite à donner au problème des biens mal acquis, qui ne concerne pas une seule famille au Gabon mais pratiquement tous ceux qui ont géré le pays. Il va falloir que, de façon définitive, le peuple dise un mot sur ce qu’on doit faire de ces biens mal acquis. Et puis, il y a le climat social sempiternellement tendu entre les syndicats, le gouvernement et les dirigeants d’entreprises. Je crois que la conférence nationale ou le dialogue national, c’est selon, est le moment idéal pour élaguer de manière consensuelle et pérenne tous ces malaises afin qu’on puisse enfin jeter les bases d’un développement harmonieux de notre pays. Je dirais enfin à l’opposition de mettre un peu d’eau dans son vin, de revoir un certain nombre de positions pour que le dialogue se tienne dans les meilleurs délais.

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