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Tunisie : un opposant assassiné, un président en larmes et un nouveau gouvernement

Le vibrant discours du président tunisien Moncef Marzouki en faveur de la démocratie, après l’assassinat d’un opposant dans son pays, a suscité mercredi une vague d’émotion rare au Parlement européen, où des députés plus connus pour leurs effets de manche ont fini en larmes.

Quelques heures avant l’intervention de M. Marzouki, Chokri Belaïd, un opposant laïc tunisien, a été tué de plusieurs balles en sortant de chez lui. Étouffant un sanglot, le président tunisien a dénoncé l’«odieux assassinat d’un leader politique» et d’un «ami de longue date».

Chokri Belaïd dirigeait le parti des Patriotes démocrates et était une des figures de proue de l’alliance de mouvements de gauche appelée le Front populaire. Ses proches ont accusé les islamistes au pouvoir du parti Ennahda d’être responsables de son assassinat, sur fond de multiplication des violences politiques et sociales en Tunisie depuis la révolution il y a deux ans.

Peu avant 8 heures, l’avocat de profession, âgé de 49 ans, a été abattu d’une rafale de balles tirées à bout portant. «Deux hommes à moto ont ouvert le feu alors qu’il s’apprêtait à monter dans sa voiture», ont raconté des témoins oculaires, cités par «Le Courrier de l’atlas», le magazine du Maghreb en Europe. De même source, cinq balles auraient été tirées, dont trois auraient atteint la victime au cou, à la tête et près du cœur. La femme de l’opposant avait elle indiqué que son mari avait été touché par deux endroits.

Le frère de Chokri Belaïd a immédiatement accusé Ennahda, le parti islamiste au pouvoir. Spontanément, une foule de 3000 personnes s’est rassemblée devant l’hôpital Charles Nicole, où le blessé a succombé, en scandant des slogans anti Ennahdha, rapporte encore «Le Courrier de l’Atlas». Dans le même temps, pas moins de 8 000 autres Tunisiens s’est regroupée devant le ministère de l’Intérieur, réclamant la démission d’Ali Larayedh, ministre de l’Intérieur et ex-secrétaire général d’Ennhada. De son côté, le chef de file du parti, Rached Ghannouchi, a démenti tout lien avec l’assassinat. «Ils (les laïques) mobilisent contre nous après la mort de Chokri Belaïd (…) Le résultat, c’est que les sièges de notre parti dans plusieurs villes ont été attaqués et incendiés», a-t-il confié à Reuters, évoquant les incendies à Sousse, Monastir, Mahdia ou encore Sfax. «Les seuls à qui profite cet assassinat, ce sont les ennemis de la révolution», a-t-il ajouté. Et de conclure, grave: «La Tunisie connaît aujourd’hui l’impasse politique la plus grave depuis la révolution. Nous devons garder notre calme et ne pas nous laisser entraîner dans une spirale de violence. Plus que jamais, il faut que nous restions unis.»

Des émeutes spontanées dans tout le pays

La rue s’est immédiatement enflammée et dans toutes les grandes villes du pays des manifestations spontanées sont apparues dès les premières heures de la matinée. A Tunis, un policier a été tué dans des affrontements avec des manifestants. Ces derniers ont attaqué la police par des jets de pierres avenue Bourguiba, érigeant des barricades malgré les lacrymogènes tirés par un blindé de la garde nationale.

A Sidi Bouzid, haut lieu de la contestation lors de la révolte de 2011, la police a également tiré des gaz lacrymogènes sur les manifestants. L’armée est intervenue pour tenter de calmer la foule dans cette ville déshéritée du centre tunisien.

A Sousse, troisième ville du pays, «deux à trois mille manifestants se sont rassemblés très vite devant le gouvernorat ce matin avant d’être dispersés à coups de gaz lacrymogènes par la police», comme a pu le constater Pierre Aribaud, un Français sur place contacté par francetv info. Selon lui, les écoles ont été fermées. «C’est une erreur car les jeunes traînent dehors. Je crains que la soirée et que la nuit ne soient agitées», explique-t-il. «La mort de Chokri Belaïd n’est qu’un détonateur. Le problème, ici, c’est plutôt la crise sociale qui perdure.»

A Mezzouna, à 75 km au sud-est de Sidi Bouzid, et à Gafsa, dans le centre du pays, des manifestants ont saccagé les locaux d’Ennahda, le parti islamiste au pouvoir. A Mezzouna, ils ont pris d’assaut le bâtiment avant de l’incendier. A Gafsa, des dizaines de personnes ont pénétré dans les locaux avant de briser des meubles et d’arracher des banderoles du mouvement.

«Nous avançons sur un chemin extrêmement étroit, balisé de plusieurs difficultés : la révolution, c’est simple, l’après-révolution, c’est compliqué», a estimé le président tunisien, un laïc allié aux islamistes d’Ennahda qui dirigent le gouvernement.

Un hommage au Parlement européen particulièrement émouvant

Dans son discours au Parlement européen, il a promis de «protéger le mode de vie de la Tunisie moderniste», de «défendre toutes les libertés» et de «protéger les acquis de la femme».

Habituel trublion de l’hémicycle, l’eurodéputé vert Daniel Cohn-Bendit était muet de stupeur et en pleurs, tandis que le chef de file des conservateurs, Joseph Daul, les yeux rougis, épongeait ses larmes avec un mouchoir après l’intervention du président tunisien. Le discours terminé, les députés de toutes tendances politiques confondues se sont levés et ont ovationné M. Marzouki, venu évoquer la transition démocratique en Tunisie, deux ans après le début du Printemps arabe.

Un long reportage de TV5 rapporte l’émotion des députés. «Cela a été un des moments les plus émouvants ici au Parlement depuis longtemps», a reconnu le président de l’institution, l’Allemand Martin Schulz. «J’ai rarement vu des collègues si durs et si forts normalement pleurer ensemble, de gauche à droite, donc c’était un moment exceptionnel», a-t-il dit, la voix nouée.

«C’était un grand discours», s’est enthousiasmée l’élue verte française Hélène Flautre, qui elle non plus n’a pas retenu ses larmes. «Il y avait une fraternité dans cet appel à la démocratie, c’est ça qui m’a touchée profondément», a ajouté la députée, nommément citée par M. Marzouki parmi les élus européens qui l’avaient soutenu pendant ses années d’exil.

Pour la socialiste Catherine Trautmann, «c’était profondément émouvant car d’une grande sincérité». «Beaucoup de collègues ont été surpris» par la teneur de l’intervention du chef de l’État, qui a mêlé «histoire personnelle et histoire collective d’un pays», a-t-elle analysé.

Hamadi Jebali annonce un gouvernement de technocrates indépendants

Hamadi Jebali n’a pas fixé de calendrier de refonte du gouvernement qu’il annonce composé de technocrates, ce qui dans sa bouche sous entend indépendants et laïcs, et compte garder la tête de ce nouveau cabinet qui devra être confirmé par l’Assemblée nationale constituante. Il n’a pas non plus donné les noms des futurs ministres.

Depuis des mois, la coalition de laïcs de gauche et des islamistes d’Ennahda tentent, en vain, de trouver un compromis sur la distribution des ministères régaliens. Le Premier ministre a affirmé que la décision de former un cabinet de technocrates restreint avait été arrêtée avant le meurtre. «L’assassinat [de Belaïd] a accéléré ma prise de position pour laquelle j’assume ma responsabilité entière devant Dieu et devant notre peuple», a-t-il déclaré.

Personnage médiatique très critique envers le gouvernement actuel, Chokri Belaïd était le secrétaire général du Mouvement des patriotes démocrates, un parti de gauche gauche qui avait rejoint le Front populaire créé en août dernier et constitué de douze partis politiques et associations de gauche, nationalistes et écologistes, ainsi que de nombreux intellectuels indépendants. L’opposition laïque tunisienne a lancé mercredi un appel à la grève générale le jour des funérailles de Belaïd, pour qui des obsèques nationales seront organisées, et suspendu sa participation à l’Assemblée constituante.

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