On note dans la province d’origine du président Ali Bongo, le Haut-Ogooué, quelques velléités oppositionnelles, mais aussi des promotions pouvant traduire la volonté de calmer les choses. Un chef d’État a-t-il, cependant, besoin d’un fief politique de dimension provinciale ? Ne l’enferre-t-on pas ainsi dans des combinaisons d’arrière-garde ?
Depuis le coup de gueule d’Anicet Adnan Bongo Ondimba, frère cadet du président Ali Bongo, qui a appelé, en septembre dernier, à une concertation nationale et dénoncé les dissensions au sein du Parti démocratique gabonais (PDG) et de la majorité, les frustrations et prises de position se sont exacerbées dans la province du Haut-Ogooué dont est originaire le président de la République.
Dans la dernière livraison du média confidentiel La Lettre du Continent (n°652) on lit à ce sujet que «Tout en se targuant d’être un président d’ouverture, Ali Bongo est rattrapé par de vives tensions au sein du PDG, ainsi que dans son fief du Haut-Ogooué. S’estimant marginalisés par Ali Bongo, plusieurs barons du Parti démocratique gabonais (PDG) originaires du Haut-Ogooué, fief historique des Bongo, se sont mis en retrait du parti au pouvoir. Certains d’entre eux pourraient même rejoindre le mouvement que lancera, courant février à Libreville et à Paris, un des leurs, Félix Bongo, fils de Martin Bongo, ancien ministre des Affaires étrangères et cousin d’Omar Bongo. L’objectif est de susciter d’autres dissidences au sein du PDG en vue d’affaiblir la formation au pouvoir à l’approche des élections municipales prévues fin 2013.»
Si la province du Haut-Ogooué a toujours été le bastion politique des Bongo, on note en effet que de nombreux piliers du régime qui en sont originaires sont devenus des désœuvrés de luxe pour avoir été écartés des affaires depuis l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo. Les extrapolations à ce sujet vont d’ailleurs bon train. Il se murmure notamment que la ville de Franceville ne s’est jamais remise de l’attribution du poste de 6e vice-président de l’Assemblée nationale à un ressortissant de Ngouoni, Idriss Ngari, alors que ce fauteuil est toujours revenu à un ressortissant du chef-lieu du Haut-Ogooué. De même, les supputations indiquent le changement de camp, peu ou prou, de certains grands acteurs politiques de la province. En ce sens, on glose sur le refus de Jean-Boniface Assélé, oncle d’Ali Bongo, de prendre la parole lors du meeting de la majorité, le 15 septembre 2012 au Jardin botanique, à Libreville. On murmure que l’ex-député de Moanda, Jean-Valentin Léyama, et Célestin Bayogha, ancien ministre, auraient repris langue avec Zacharie Myboto ; que Jean-Marie Adzé, ancien ambassadeur du Gabon en France, lorgne du côté de l’opposition ; que Paul Toungui, ancien ministre des Affaires étrangères et époux de Pascaline Bongo, préparerait avec René Ndemezo’o Obiang leur sortie du PDG ; qu’en souvenir de son amitié avec feu Pierre Mamboundou, Antoine Yalanzèle (ex-DG de la CNSS) ne rechignerait pas à rejoindre l’aile «loyaliste» de l’UPG ; que Luc Marat Abyla se plaint en privé de ce «Petit-là», ainsi qu’il appellerait Ali Bongo. Il se raconte également que le PDG aurait du mal à conserver ses militants les plus politisés de la province : les populations du triangle Moanda-Mounana-Bakoumba afficheraient leur sympathie pour l’Union nationale, le parti pourtant interdit de Zacharie Myboto, tandis que les dernières sorties publiques du général Idriss Ngari dans le département de la Lékabi-Léwolo (Ngouoni) ont été un véritable fiasco.
«Pour mieux remédier aux dissensions dans le Haut-Ogooué, Ali Bongo compte enfin sur les interventions de sa propre mère, Patience Dabany, Téké d’Akiéni. Une mission délicate tant les clivages entre les Tékés du Nord (Onga et Akiéni) et ceux du Sud (Léconi-Bongoville-Franceville) sont aujourd’hui exacerbés», indique La Lettre du Continent. Toutefois, si certains anciens barons de la province sous Omar Bongo sont littéralement mis au ban, le pouvoir semble avoir entrepris un renouvellement des forces de cette région. On note à ce sujet que les derniers Conseils des ministres ont ramené des cadres du Haut-Ogooué au-devant de la scène : Paul Steeve Ondzounga, PCA de l’Office national de développement rural (Onader) ; Basile Essiélé, directeur général de la même structure ; François Oyabi, directeur général de la Compagnie nationale de navigation intérieure (CNI).
Les cadres du Haut-Ogooué sont donc de plus en plus nombreux aux manettes des entreprises publiques. En plus des régies financières tels que la Douane et le Trésor, ils étaient déjà à la tête du Conseil gabonais des chargeurs avec le PCA Lucchéri Gayila et le directeur général Liliane Ngari, le Centre de développement des entreprises (CDE) avec Alfred Nguia Banda, directeur général, et l’Agence de promotion des investissements et des exportations (Apiex) avec Nina Abouna, directeur général, et Lin-François Madjoupa, directeur général adjoint, ainsi que la SNI et la Caistab. Autant d’officiers politiques de réserve qui pourront, le cas échéant, être appelés dans l’arène.
A l’origine de la notion de bastion se trouve l’idée de fortification dans un système de défense et, par extension, d’un centre de résistance inébranlable pour un mouvement d’idées ou d’opinion. Le bastion politique traduit donc l’esprit de résistance d’une commune, d’une circonscription, vis-à-vis d’un environnement dominant adverse. Dans ce cas, à quoi la province d’origine du président de la République doit-elle résister ? Connu pour être quelqu’un de totalement détribalisé, le président Ali Bongo a-t-il vraiment besoin d’un bastion politique provincial ? Son fief n’est-il pas le pays tout entier ? Dans un régime qui repose sur le suffrage universel, ne suggère-t-on pas une limitation de l’exercice démocratique lorsqu’on entretien un fief politique ? Aussi, la naissance ou l’existence d’une opposition dans la province d’origine du président de la République devrait-elle n’être qu’un fait normal, sinon banal.