Après la tournée africaine ayant conduit les responsables de l’organisation de la 23e édition du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco) dans de nombreux pays du continent, l’heure est au lancement. Le samedi 23 février, cette rencontre des amateurs et des professionnels du 7e art et de la télévision mettra en valeur les films sélectionnés, avec une mise en exergue du Gabon, invité d’honneur.
La 23e édition qui s’ouvrira ce samedi avec 5 films sur les 101 œuvres sélectionnées pour la compétition officielle de cette année, enregistrera la présence d’une délégation d’une trentaine de personnes en provenance du Gabon. L’équipe sera composée de réalisateurs, vidéastes et techniciens de l’image et du son, indique un communiqué du Comité de communication (Cocom) de la présidence du Gabon.
Avant le départ au Burkina Faso pour cette grand-messe du cinéma africain, Imunga Ivanga, le directeur général de l’Institut gabonais du son et de l’image (IGIS), s’est prononcé sur la participation du Gabon à cet événement. Car le Gabon compte cinq productions en lice dont la fiction vidéo «Terre et Fils» de Fernand Lepoko, le court métrage «Dialémi (Elle s’amuse)» de Nadine Otsobogo, le film documentaire «Le Maréchalat du Roi-Dieu» d’Yveline Nathalie Pontalier, la petite série télévisuelle «l’Œil de la Cité» de Samantha Biffot et «Le Collier du Makoko» d’Henri Joseph Koumba Bididi qui concourt dans la catégorie la plus prestigieuse, Fiction Long Métrage, en course pour l’Étalon de Yennenga, la «Palme d’or» de ce festival.
Vos impressions avant le départ pour cette cérémonie qui accueille le Gabon comme invité d’honneur ?
Imunga Ivanga : Je dirai que c’est un choix historique. Le choix du Gabon comme pays invité d’honneur par le FESPACO est une marque de reconnaissance pour notre cinéma. En effet, le cinéma gabonais, bien qu’étant l’un des pionniers et des plus structurés d’Afrique subsaharienne, n’a pas toujours bénéficié d’un regard objectif. C’est donc une opportunité extraordinaire de réhabilitation. Nous sommes par conséquent sensibles à ce double hommage rendu, à travers la célébration des cinquante ans de notre cinématographie et à l’action de Charles Mensah, qui était à la tête de la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI) de 2006 à 2011. La rétrospective des 50 ans du cinéma permettra aux cinéphiles de découvrir ou redécouvrir l’imaginaire gabonais à travers une sélection de films cultes tels La Cage, Les tam-tams se sont tus, Demain un jour nouveau, Ilombè, Dôlè pour ne citer que ceux-là. Il faut relever également le panafricanisme cinématographique du Gabon qui s’est engagé dans plusieurs productions continentales telles que Le grand blanc de Lambaréné, Le Damier, Le Silence de la forêt. Le FESPACO privilégie le panafricanisme et il est bon que l’engagement du Gabon soit reconnu à ce niveau. Enfin, grâce à Philippe Mory, le Gabon est le premier pays d’Afrique subsaharienne à avoir présenté un long métrage en compétition officielle au Festival international du film de Cannes, La Cage, en 1963. Tous ces éléments, fondent le choix de notre pays, qui est l’un des rares en Afrique à exprimer une volonté réelle de soutien à son cinéma dans le cadre de politiques publiques.
Le festival a retenu plusieurs films gabonais, dans plusieurs sélections : ces œuvres ne témoignent-elles pas d’un «renouveau» des images gabonaises ?
Il y a une grande vitalité de notre cinéma qui s’exprime sur deux fronts. Il y a parmi les jeunes auteurs, ceux qui sont portés par les classiques et nous offrent déjà des œuvres de grande qualité qui trouvent un écho à l’International. Je pense ici à Nadine Otsobogo (Dialémi), Manouchka Labouba (Le Divorce), Samantha Biffot (L’œil de la Cité), Pauline Mvélé (Accroche-toi, Non coupables), Marc Tchicot (Ryhtm of my life), Philippe Ibinga (Karorlyne). Et ceux qui s’inscrivent dans la filiation d’un cinéma «nolhywoodien» à la verve populaire. Un cinéma underground, affranchi de toutes contraintes et ancré dans le fantastique et les maux de la société. Melchy Obiang (L’Amour du diable, Le cœur des femmes), Patrick Bouémé (Les Keufesses), Dominique Donatien Mpoumba (Le bal des sorciers) en sont les représentants les plus probants. Cela témoigne d’une diversité et d’une énergie que nous avons à cœur de soutenir. D’où le renforcement des politiques publiques afin de mieux organiser le secteur cinématographique et donner à l’ensemble des auteurs les mêmes chances. Ces jeunes, à l’instar de leurs aînés, ne s’interdisent rien. Il y a une grande liberté sur le choix des sujets et leur traitement. Mais il reste encore beaucoup de choses à parfaire. Il faut simplement retenir que cela nous promet des lendemains radieux. Je remarque cependant un engagement féminin plus fort, sans que l’approche genre ne soit ici dictée ou imposée. Les femmes ne se contentent plus seulement de seconds rôles et assument avec talent leur nouveau statut. Pour preuve, sur les cinq productions retenues en compétition officielle, trois sont l’œuvre de réalisatrices. Je suis convaincu que demain notre cinéma se conjuguera au féminin.
Cette mise en lumière du Gabon sur la scène culturelle panafricaine s’accompagne aussi d’un hommage rendu aux «anciens»…
Disons que la rétrospective sur les 50 ans de notre cinéma permettra de (re)découvrir le travail de nos anciens. Des films forts qui sont nés au lendemain des indépendances et dans lesquels l’engagement des auteurs traduisait des préoccupations politiques et sociales et la volonté de prendre en main notre destin. Il y a eu par la suite un intérêt pour certaines traditions dont les excès étaient dénoncés. Puis un nouveau souffle, avec des films plus politiques. Mais le fantastique est quelque chose qui court le long de notre production, à croire que notre cultivons un imaginaire digestif. Pour paraphraser Jean-Pierre Garcia, critique de cinéma, je dirai que le renouveau de notre cinéma passe par la reconnaissance de nos anciens. Ils ont fait plus que poser les bases de la fondation de notre cinéma. Philippe Mory, Pierre-Marie Dong, Simon Augé, Charles Mensah ont allumé la flamme éternelle. À nous de la porter au-delà de nos frontières.
Vous inscrivez-vous en continuité ou en rupture par rapport à Charles Mensah, qui fut votre prédécesseur ?
Je ne sais pas quoi répondre, l’histoire jugera. Mais Charles Mensah et moi ne sommes pas de la même génération. Il a une sagesse et un flegme que je n’ai pas encore atteint. Amadou Ampaté Bâ disait que «trop sérieux n’est pas très sérieux !». Et c’est un conseil de sage que j’entends respecter. Il me faut commettre encore quelques erreurs pour pouvoir les corriger et atteindre la vraie sagesse. Plus sérieusement, je partage avec Charles Mensah, qui est une grande personnalité de notre cinéma, la même passion avec la même intensité. Il y a une filiation que j’assume, mais nous sommes deux personnalités différentes. Toutefois, je fais son rêve qui est aussi celui de Pierre Marie Dong et de Philippe Mory, le rêve d’asseoir définitivement une réelle politique de développement de notre cinéma : cela ne pourra se faire sans l’appui de nos politiques.
Justement, on dit volontiers que le cinéma a une fonction «politique» : qu’en est-il pour le Gabon?
J’ai coutume de dire que filmer est un acte politique. Je ne sais pas si cela doit s’entendre dans le sens de votre question. Mais pour moi, compte tenu de la difficulté des auteurs de pouvoir créer, s’exprimer et distribuer leurs œuvres, souvent dans un univers hostile à la création, et réussir à trouver l’énergie pour ne pas renoncer, c’est éminemment politique. Car nous contribuons à faire exister une mémoire, nous sommes des fabricants de mémoire. Et l’artiste, du moins dans mon entendement, est un éveilleur de conscience. Peu importe la forme de son expression, il est un peu en avant de la société et doit porter sa lumière en toute liberté, sans entrave aucune.