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Trafic d’enfants à Minvoul : des peines «exemplaires» pour un procès qui le fut moins

Le 27 janvier 2013, deux femmes de nationalité équato-guinéenne quittaient Mengomo pour Doumassi près de Minvoul dans le Haut-Ntem, au Gabon. Une petite bourgade dont la plus grande partie des habitants sont des pygmées Baka. Qu’étaient-elles venues faire dans ce village ? Le tribunal de Libreville, siégeant dans le cadre des sessions criminelles ordinaires, a répondu à cette question, le 22 février 2013, en condamnant les deux femmes et leurs complices pour «trafic d’enfants, complicité de trafic d’enfants et d’immigration clandestine» à des peines «exemplaires».

Les faits

A entendre Candida Mengue Mintsa Zong, l’une des femmes Equato-guinéennes, la traversée de la localité, monnayée à 2 000 francs CFA par tête avec les policiers de la frontière, avait été effectuée dans le but de «donner à manger et à boire à Medang M’Essono René», son beau-frère, et lui souhaiter par la même occasion des vœux pour la nouvelle année. Candida Mengue Mintsa Zong qui dit craindre Dieu, s’est rendue de ce fait à Doumassi accompagnée de Regina Mengue Menie Obone, sa sœur, également ressortissante Equato-guinéenne qui ne connaissait pas ce village et qui, par ailleurs, souhaitait y prendre une «épouse».

Dès leur arrivé au village, les deux femmes ont établis des contacts avec Clémentine Andong Bekalé et Jean-Marie Bibang Bi Nguema, le chef de village qui, du haut de ses 80 ans, a accepté de les héberger pendant deux jours. Pour quelle raison ? Elle le saura le lendemain après les présentations faites avec le «pseudo» beau-frère de Mengue Candida qui a pris soin d’indiquer aux deux dames la maison du couple apte à donner leur fille de 2 ans en «mariage».

Mise en contact avec Bilogho Bitéghé Désiré, un jeune homme de 25 ans, et sa femme, Mengue Regina se propose d’«épouser», selon ses termes, l’enfant du couple. Ce que consentent les parents de l’enfant qui devraient recevoir en retour au moins une somme 500 000 francs CFA comme «dot». S’en suit alors une négociation qui va se solder par une réduction de 50 000 francs CFA.

Fort de ces 450 000 F, après le «mariage» de leur enfant, le couple qui se considère désormais comme le plus riche de la bourgade, convainc aussi Bikie Ndoubo Sylvie et son mari de faire autant pour leur enfant de trois ans. Ce qui ne tarde d’ailleurs pas à arriver pour la même somme, laissant ainsi deux bambins à la charge de la ressortissante Equato-guinéenne qui a indiqué ne pas avoir d’enfant.

Le procès

Un procès s’est donc déroulé ce vendredi 22 février 2013 au Palais de justice de Libreville, après l’arrestation des deux Equato-guinéennes et de tous les membres de la communauté Baka impliqués dans l’affaire. L’enquête avait mis en accusation 9 personnes. Trois d’entre elles étaient accusées de complicité de trafic d’enfants du fait des facilités qu’elles ont mis en œuvre pour permettre l’aboutissement des transactions. Six autres ont été jugées pour trafic d’enfants pour avoir été les principaux acteurs des deux opérations de pseudo mariage.

Ainsi, les principales accusations à leur endroit par Me Ogandaga Edouard, premier président de la Cour d’appel de Libreville, portaient sur le trafic d’enfants pour les deux couples et les ressortissantes Equato-guinéennes ; la complicité de trafic d’enfants pour Jean-Marie Bibang Bi Nguema, le chef de village (ancien agent de Elf Gabon) et René Medang M’Essone, facilitateurs des transactions et de l’immigration clandestine pour les «acheteuses».

Au bout de 7 heures d’audience, un verdict collectif est tombé : 14 ans de réclusion criminelle pour les 8 accusés avec 2 ans de sursis et 1 million d’amende chacun. Le chef du village Doumassi, son sort est de 14 ans de réclusion criminelle avec 12 ans de sursis. Vu son âge (80 ans), il est à peine pensable qu’elle puisse tenir quelques semaines dans le milieu carcéral.

La morale de l’histoire ?

Si l’affaire semble «inhumaine» et «dramatique » ainsi que l’a regretté le procureur général, Me Ondjani Mireille, elle interpelle par la même occasion les autorités publiques sur le délaissement et la précarité des pygmées. Car, ce procès se voulait une leçon à ceux qui s’adonnent à ces pratiques. Toute chose qui a poussé leur avocat, Me Tony Minko Mi Ndong, à se demander ce que l’État a fait pour ces personnes afin qu’on n’en arrive pas là.

Or, les coupables semblent ne pas comprendre ce qui leur arrive. Ils n’ont, au regard de leur coutume, aucune idée de ce que leur acte représente un crime devant la loi. Du début à la fin de leur procès, ils ont parlé de «dot» et de «mariage». En outre, le ministère public qui les faisait juger a bien remarqué que dans le procès-verbal établi lors de leur arrestation, il est mentionné : «en dehors des Gabonais, il y a les Baka». Ce qui dénotait déjà, selon l’avocat de la défense, une discrimination envers ce peuple minoritaire du Gabon, ces derniers étant eux aussi gabonais à l’évidence.

Aucun prévenu n’avait de pièce d’Etat civil. Toute chose qui a encore fait dire à Me Minko Mi Ndong qu’on était en «train de juger des gens qui n’ont pas de nationalité, des apatrides», tout en expliquant leur attitude face à l’argent par le fait que les Bantous influencent les pygmées par leur supposée supériorité culturelle. «Ils sont influencés par l’argent qu’ils ne connaissaient pas», a-t-il dit pour demander l’atténuation des peines.

De la même façon, la traduction des actes du procès aux Baka ne semblait pas suffire à leur compréhension. Certains mots n’ayant visiblement pas les mêmes sens pour eux que pour le traducteur et le tribunal, soit qu’ils sont chargés d’un sens traditionnel différent, soit qu’ils sont maladroitement prononcés au lieu d’un autre, il semblait évident que les accusés ne comprenait rien de ce qu’on leur reprochait.

Ces personnes n’ont réalisé ce qui leur arrivait qu’une trentaine de minutes après que le traducteur leur ait fait le compte rendu de leur sentence. Et là, certains se sont effondrés, le regard vague. La loi qu’ils ne connaissaient pas venaient de les attraper parce qu’ils «doivent servir d’exemple», a lancé un auditeur à la fin de l’audience.

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