Face à la multiplication des articles de presse sur les affaires en cours à la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite (CNLCEI), le président de cette structure de lutte contre la corruption et les malversations financières au Gabon, Vincent Lebondo Le-Mali, via son service de communication, s’insurge contre ces articles parus sur ces affaires et met en garde sur le fait de la présomption d’innocence.
Il faut relever que depuis quelque temps, en effet, de nombreuses fuites divulguent des dossiers qui sont en cours de traitement dans cette institution. La plus célèbre d’entre elle met en cause l’actuel ministre de l’Agriculture, Julien Nkoghé Békalé, accusé d’avoir détourné des montants faramineux lors de son passage au ministère du pétrole, en complicité avec de nombreuses autres personnes.
La note du CNLCEI relève que «depuis quelques temps, certains titres de la presse écrite se font l’écho des affaires suivies par la commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite (CNLCEI) dans le cadre de ses missions d’investigation. Dans cette entreprise, ces journaux se livrent notamment à la publication des documents élaborés ou utilisés par la Commission lors de ses enquêtes. La CNLCEI rappelle que les membres et autres personnalités sont astreints au secret de l’instruction et que toute divulgation d’information ou de document est passible de sanctions pénales».
Le texte poursuit en indiquant que «devant la gravité des faits observés, la CNLCEI décline sa responsabilité quant à la circulation de ces informations et condamne, avec vigueur, ces actes qui remettent en cause la présomption d’innocence à laquelle ont droit tous auteurs présumés d’une infraction».
La Commission précise que enfin que «la Convention de l’Union Africaine (UA) sur la prévention et la lutte contre la corruption énonce, dans son article 12, que «les États parties s’engagent à veiller à ce que les médias aient accès à l’information dans les cas de corruption et d’infractions assimilées sous réserve que la diffusion de cette information n’affecte pas négativement l’enquête ni le droit à un procès équitable».
Dans ce contexte, «la CNLCEI exhorte également les médias au respect du Code de la communication (loi n° 12/2001) à travers son article 30 qui dispose “Les informations, photographies et illustrations doivent être obtenues uniquement par des moyens honnêtes et légaux”».
On s’étonnera tout de même de cette sortie alors que quelques mois auparavant, cette même commission encourageait, tout à fait officiellement, ces mêmes journalistes à enquêter sur les faits de corruption et les malversations financières. Ainsi en décembre 2011, M. Vincent Lebondo Le-Mali qui nous avait accordé une interview déclarait : «Nous attendons du journalisme beaucoup de choses. Je vais, par exemple, vous faire une confidence : 45 des 74 dossiers d’investigation que nous avons ouverts, l’ont été grâce à la procédure d’auto-saisine, une facilité accordée à la CNLEI d’ouvrir les enquêtes elle-même, parce qu’elle se saisie de l’information qu’elle a. Les 45 dossiers sus cités sont consécutives à des auto-saisines effectuées sur la base des coupures de presse.»
D’autre part, dans ce genre d’affaires et dans le monde entier, il semble évident que les documents sont fournis par des sources qui restent anonymes, ou que les journalistes s’engagent à garder anonymes, ce qui est la moindre des choses, et il est bien rare que les moyens d’obtention de ces informations transparaissent. Les quelques cas dans lesquels la police ou la justice sont intervenus ont été fortement contestés par les médias mais aussi par de nombreux juristes et hommes politiques. On ne peut, en effet, demander aux journalistes de ne parler que des affaires déjà jugées, seul moyen de préserver la présomption d’innocence telle que la définit M. Lebondo Le-Mali, et en même temps compter sur leur travail pour dénoncer les abus et les détournements d’argent public auxquels la commission n’aurait pas eu accès.
D’autant que dans l’affaire ici dénoncée, il ne s’agit pas d’un présumé innocent anodin et désarmé, mais d’un ministre et de responsables politiques ou administratifs, disposant de toute la puissance de feu du pouvoir pour se défendre. Il ne s’agit pas non plus d’accusations gratuites mais d’éléments concrets et écrits à partir desquels les journalistes ont tout à fait le droit, le devoir en fait, de tirer des conclusions et d’interroger la justice afin qu’elle ouvre une enquête.
Avec ce communiqué, le président de la CNLCEI donne surtout l’impression de couvrir ses arrières. Peut-être que si les dossiers d’enquête de la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite avaient été traités à temps par la justice, la presse ne serait pas obligée d’investiguer pour en connaître le contenu. En décembre 2011, dans cette même interview, M. Lebondo Le-Mali affirmait : «Sur les 74 dossiers en instruction, trois pourront aboutir cette année.» Nous aimerions savoir lesquels !