De nombreux pasteurs des églises dites du «réveil» mènent grand train ou amassent des fortunes au détriment de leurs adeptes. Ces églises sont bien souvent «de véritables machines à faire du fric en vendant du vent», selon l’expression du présentateur de télévision Steeve Mvé. Démontage rapide de ce système très lucratif.
«La religion est l’opium du peuple», écrivait Karl Marx qui pensait que celle-ci est tout d’abord une illusion, un monde fantastique, produit par l’imaginaire et entretenu par ceux qui en profitent, dans lequel l’individu se réfugie pour oublier sa propre misère. C’est sans doute pourquoi, au Gabon, les églises du réveil attirent surtout les démunis, les désaxés, les laissés-pour-compte et les déclassés. C’est aussi pourquoi les classes laborieuses sont celles qui pourvoient le plus d’adeptes à ces sectes, car c’est bien ce qu’elles sont, qui ne peuvent que proliférer dans une société en voie de sous-développement et à l’horizon socioéconomique incertain. Ces églises sont devenues des lieux de spoliation pour ceux qui croient y trouver des solutions à leurs angoisses socioéconomiques, financières ou métaphysiques.
Les églises dites du réveil ont intégré les données modernes de la communication, de la psychologie et de la sociologie. Elles s’en servent pour créer un conditionnement psychologique qui leur permet d’embrigader très vite les néophytes et les personnes déstabilisées.
Généralement, on va dans ces églises parce que l’on rencontre des problèmes d’insertion sociale, des problèmes de santé ou qu’on se trouve confronté à un cas de conscience. Les églises du réveil spéculent donc sur les besoins urgents, obsessionnels, de la population : guérir, avoir un mari ou une femme, travailler, prospérer dans les affaires, avoir un enfant et s’épanouir, mais aussi se protéger des agressions réelles ou imaginaires. Surtout imaginaires. Le néophyte est souvent amené par un parent ou un ami prosélyte afin d’assister à une réunion de prière ou à un office religieux. Dans la plupart de ces églises, les fidèles prennent place dans un temple, souvent de fortune, où ils sont mis en «condition» pendant des heures grâce à la création d’une atmosphère envoutante faite de chants et de psalmodies avant que n’intervienne le prêche du pasteur. Cette prédication est en général une dénonciation véhémente du «monde», c’est-à-dire des us et coutumes de la société et de tout ce qui est en dehors de la vie en Christ, une notion suffisamment floue pour que chacun y mette ses désirs et ses fantasmes. La prestation du pasteur est suivie de prières et de chants qui clôturent le rite, non sans qu’on ne demande aux nouveaux venus de se présenter.
Le mécanisme de captation de l’argent
Quand les nouveaux venus consentent à revenir, ils sont placés au centre d’un tourbillon de réunions de prière, réunions d’étude biblique, tables-rondes et séminaires qui contribuent à les couper du monde et de ses proches. A ce niveau, le nouveau venu contribue déjà aux affaires de la maison en procédant à des offrandes par le dépôt de quelques petits billets (les jetons y étant proscrits) dans l’escarcelle de l’église. Après son adhésion totale, le croyant «né de nouveau», tout en continuant de faire des offrandes, est invité à pratiquer la dîme, c’est-à-dire à contribuer de manière plus effective aux projets de l’église en donnant des sommes d’argent proportionnelles à ses revenus ou à sa fortune, une part de ses revenus pourtant bien maigres pour beaucoup d’entre eux. Les adeptes les plus riches «offrent» quelques millions, les plus démunis se dépossèdent du peu qu’ils ont mais, avec le principe selon lequel «les petits ruisseaux font les grands fleuves», l’église parvient à atteindre des chiffres d’affaires annuels de plusieurs dizaines de millions de francs CFA, beaucoup plus pour celles qui ont prospéré. Car il faut ajouter aux dons des adeptes ceux des organismes et donateurs internationaux.
Naturellement, le chef de l’église peut se servir à volonté dans ce trésor et il ne viendrait à aucun fidèle l’idée de demander des comptes à celui par qui s’exprime le Saint-Esprit. Parfois des problèmes surviennent au sein du bureau directeur ou du clergé de l’église, mais ils sont voilés aux fidèles qui ne les découvrent que lorsqu’ils débouchent sur des scissions.
L’action humanitaire et caritative de l’église, bien minime au regard de ses gains, permet de donner l’illusion aux fidèles que le butin amassé est redistribué pour de bonnes causes. Les dividendes de ceux-ci restent dans les promesses, l’espérance et les jolis coups du sort qui sont interprétés comme des miracles, sur lesquels on les fera témoigner pour maintenir à bon régime la machine à fric. Les pasteurs de ces pompes à fric pratiquent, au sens propre, la maxime : «Ce que tu donnes sur Terre, Dieu te le rendra au centuple». Principal avantage, personne ne viendra réclamer son dû.
Un marché captif et facile à spolier
Le fonctionnement de la machine à fric ne s’arrête pas à «l’extorsion» de fonds aux fidèles. Elle se sert également d’eux pour se constituer un marché sur lequel les dirigeants de l’église écouleront leurs productions plus ou moins réelles mais revalorisées à l’extrême par leur caractère sacré. Généralement un des membres du clergé produit un livre, une œuvre vidéo ou musicale qui sera vendue, à coup sûr, aux «frères», objets d’un braquage psychologique pour les pousser acheter, cher, cette marchandise et les produits associés (fascicules, CD, tee-shirts, pins). Ce faisant l’église se constitue un marché sûr, un marché captif sur lequel elle sera toujours assurée d’écouler ses produits même d’importation (Bible, séminaire avec un pasteur étranger invité, etc.).
La pérennité de ce marché est assurée par le respect qu’observe l’adepte face à la Parole «la charité ne cherche point son intérêt, elle ne s’irrite point, elle ne soupçonne point le mal» (1 Corinthiens 13:5).
Ce marché captif est également constitué d’un «cheptel» important de belles femmes dans lequel se servent, en priorité, les encadreurs de l’église. Ensuite, soutenus par ceux-ci, de nombreux adeptes simulent des transes inspiratrices ou prétextent d’un «songe» pour choisir la femme que leur prédestinait le Saint-Esprit. De nombreux jeunes gens ont ainsi trouvé leur conjoint, parfois au détriment d’une vie de couple antérieure ou parallèle à la fièvre religieuse. Cette utilisation du Saint-Esprit à des fins lubriques explique pourquoi bon nombre de pasteurs sont devenus des véritables Don Juan.
Vitrine humaniste du clergé, la charité fonctionne… un peu
Si nombreux jeunes Gabonais qui se terraient dans les bistrots, la débauche ou la délinquance en sont sortis grâce à ce mouvement religieux, il n’est pas certain qu’ils y trouvent un véritable avantage. La plupart sont désocialisés par l’église, déshumanisés, adeptes sans esprit critique ni vie personnelle d’une entreprise d’exploitation indécente.
Parfois, une petite partie de l’argent accumulé a permis de monter des entreprises (radio ou télévision) qui offrent de l’emploi à quelques Gabonais, ou encore à initier des actions caritatives telles que la distribution de médicaments dans les localités défavorisées, le don de draps et couvertures aux malades hospitalisés, l’aide aux indigents, l’insertion de certains croyants dans le monde du travail, etc. L’église dénommée Béthanie, par exemple, a créé, au début des années 90, un centre médico-social au quartier Nzeng-Ayong de Libreville.
Le «Charity business», qui désigne les pratiques nouvelles de financement, de gestion, de communication des églises, associations et ONG, fonctionne. Mais dans le cas de l’exploitation religieuse, avant d’apporter réconfort et soins d’urgence à quelques démunis, il enrichit d’abord, et de façon scandaleuse, ceux qui le mettent en place et le gèrent. Le business est d’autant plus rentable qu’il est fondé sur des dons en liquide, échappe à tout contrôle, ne s’acquitte pas de taxes ou d’impôts et s’appuie sur un réseau de fidèle parfois si bien introduits qu’il agit en toute impunité.