L’Ogooué est la principale voie reliant Port-Gentil à Lambaréné. Mais depuis la disparition des bateaux de la Compagnie nationale de navigation intérieure, des privés s’y sont mis avec des embarcations qui laissent à désirer. Voyage au fil du fleuve le plus puissant du pays.
Depuis que Savorgnan de Brazza, l’explorateur, a rendu mondialement célèbre les voyages sur l’Ogooué, le plus grand fleuve du Gabon n’a jamais arrêté de charrier passagers et marchandises diverses, entre l’océan Atlantique et les villes riveraines de ce puissant cours d’eau. Bien avant l’explorateur, ce fleuve a servi aux migrations des ethnies qui peuplent la province du Moyen-Ogooué et de l’Ogooué-Maritime. Aujourd’hui, l’essentiel du trafic sur ce fleuve qu’empruntait également l’humanitaire Albert Schweitzer, se fait entre Port-Gentil et Lambaréné.
Cinq vedettes de fabrication locale assurent régulièrement le transport fluvial entre les chefs-lieux de la province de l’Ogooué-Maritime et du Moyen-Ogooué. Deux fois par semaine, ces embarcations pas toujours confortables transportent en moyenne près de deux mille voyageurs et plusieurs tonnes de bagages, sur des voyages qui prennent entre 6 et 8 heures de navigation, au gré de la puissance des moteurs de ces pirogues des temps modernes. Les passagers n’ayant pas d’autre choix, faute de navires plus confortables et plus rapides.
Au départ de Port-Gentil, ces voyages sont souvent programmés les lundis et vendredis. Ces jours-là, un peu avant l’aube le quai de l’ancien port de la capitale économique vibre au rythme d’une activité foisonnante. Les passagers à destination de Lambaréné étant convoqués à 5 h 30 le matin. Mais bien avant cette heure, l’endroit fourmille de passagers, petits commerçants, manutentionnaires et badauds. «Billet de 10 000 francs ! Billet de 12 000 francs ! Billet de 13 000 francs ! Carte de recharge ! Flash ! Sandwich ! Lait caillé ! Sardine bien fumée ! Cigarette !…», débitent les vendeurs à la sauvette aux passagers priés de faire la queue.
Dans la pénombre de l’aube, les embarcations, quittant leur rade au large, se dévoilent à tour de rôle pour se fixer contre le quai. Les passagers billets en main et par ordre d’arrivée, s’embarquent, les uns après les autres, à bord de ces embarcations qui ne sont à l’évidence que de larges pirogues en fibre de verre et contreplaqué, recouvertes pour parer au soleil et à la pluie et propulsées par de puissants moteurs de hors-bord. Il est 6 h 45 lorsque, en chœur, ces moteurs vrombissent et pulvérisent une épaisse fumée au parfum de gasoil. A l’intérieur de la grande pirogue, cette odeur de gasoil vient fusionner avec celles dégagées par les voyageurs, créant une atmosphère de Pandémonium. «Démarrez ! Il fait chaud ! Vous voulez tuer les gens ? On attend qui encore, la vedette est pleine ?», lancent certains passagers déjà exaspérés par la longue attente du départ.
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Quelques minutes plus tard, les embarcations chargées à bloc quittent majestueusement, à tour de rôle, le quai. Cap sur le delta de l’Ogooué avant de bifurquer en direction de Lambaréné. «Nous serons à Lambaréné aux environs de 14 heures. Nous avons encore 5 à 6 heures de navigation. Pour les autres embarcations, la durée varie entre 7 et 8 heures voir plus», rassure le skipper qui se prend pour un commandant de bord.
A l’arrière de la pirogue, une équipe de techniciens lance tous les moteurs. Après une traversée agitée d’un bras d’océan qui donne bien de frayeurs à ceux qui effectuent ce voyage pour la première fois, l’embarcation se stabilise enfin sur le lit de l’Ogooué. Les passagers par groupes, pour lutter contre l’ennui, improvisent des débats sur la politique du pays, la vie des couples, les faits divers et l’actualité sportive. Plus touristes, certains curieux sortent la tête par les fenêtres de l’embarcation pour contempler le paysage interminable de mangrove où l’on aperçoit, par intermittence, des pélicans perchés sur la cime des arbres, mais aussi de jolies cartes postales vivantes des villages érigés sur les rives du majestueux cours d’eau aux fonds insondables. Le regard est parfois captivé par le croisement des remorqueurs qui trainent des radeaux de bois ou les chalands chargés de marchandises ou de matériaux de construction. A chacun de ces croisements, les équipages ne manquent pas de lever les mains pour saluer les voyageurs. L’homme est si rare sur ce long fleuve muet.
Certains passagers endormis sont réveillés par le défilé des commerçants à bord. «Sandwich ! Boisson ! Bonbons ! Tout est climatisé !», vante une jeune dame pour indiquer que ses produits sont glacés, en se promenant entre les colonnes de chaises fixées à même la coque où les passagers sont assis au nombre de quatre par rangée. Il y a ainsi plus de 200 personnes avec plusieurs tonnes de bagages sous les pieds.
«C’est pour combler le vide, après la disparition d’Azingo et d’Alombuié, les deux bâtiments de la Compagnie nationale de navigation intérieure qui assuraient le voyage sur les eaux du plus grand fleuve du pays. Ces promoteurs sont à encourager, même si les conditions à bord laissent à désirer. On n’a pas le choix, ces embarcations sont une production locale et tout n’est pas réuni pour mettre le passager à l’aise», fait remarquer Jeanne Mbourou, une commerçante.
L’Ogooué n’est pas un long fleuve tranquille, chaque jour, des échanges importants s’y effectuent. Les passagers endurent ainsi 6 heures de voyage inconfortable, pénible. A l’arrivée à Lambaréné, ils sont tous exténués. Mais, «nous sommes arrivés à bon port, c’est le plus important», réconforte le commandant, esquissant un sourire qui ne trouve pas l’assentiment de tous.