Ni Voltaire ni Sartre mais pour le moins dérangeant, le principal trublion de la société civile gabonaise, Marc Ona, qui a été traduit en justice à la suite d’une plainte du chef de cabinet du président Ali Bongo, risque un an d’emprisonnement. Ce qui serait une attaque fort symbolique contre les libertés démocratiques au Gabon. L’essentiel de ce qui s’est dit dans un procès qui n’en valait pas la peine.
Poursuivi en justice par Liban Soleiman, le chef de cabinet du président de la République, Marc Ona Essangui, membre de la Société civile gabonaise et prix Goldman pour l’Environnement en 2009, a finalement comparu devant le tribunal correctionnel de Libreville, le 8 mars 2013. Il lui est reproché d’avoir déclaré qu’ «Olam est le business d’Ali Bongo et Liban Soleiman». Ce qu’il lui a été demandé de prouver.
Les forces en présence
Le leader associatif était défendu par Me Ruphin Nkoulou-Ondo du barreau de Libreville, très remarqué pour avoir défendu, en mars 2011, le général Jean Philippe Ntumpa Lebani de la Garde républicaine. L’avocat parisien William Bourdon, connu comme président de l’ONG Sherpa, un groupement de juristes qui a joué un rôle moteur dans le dossier des biens mal acquis, avait été annoncé au début de cette affaire mais n’a pu faire le déplacement de Libreville ce 8 mars.
Pour sa part, le chef de cabinet du président de la République, Liban Soleiman, était défendu par Me Georges Arama, avocat au barreau de Paris bien connu pour avoir défendu le président Ali Bongo sur bien d’affaires, et Me Francis Nkea, du barreau de Libreville, qui a indiqué que Marc Ona a été lâché par son réseau de soutiens internationaux. Il n’était certainement pas informé de ce que l’American bar association center for human rights, qui est l’association des avocats américains du Centre pour les droits de l’Homme, a versé au dossier un mémorandum pour la défense du leader de Brainforest.
Ce «mémorandum porte sur un ensemble de reconnaissances des conventions internationales auxquelles le Gabon a souscrit, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l’homme, entre autres. […] On s’en est servi dans le cadre de notre plaidoirie vu qu’il s’agit de dispositions conformes au préambule de la Constitution gabonaise sur les principes du droit de la défense et sur les principes généraux de la liberté d’expression. Le document est un rappel à l’obligation du Gabon de tenir compte de ce qu’il est lié, au niveau international, par des conventions inhérentes à des situations précises ; et celle dans laquelle se trouve Marc Ona rentre parfaitement dans le cadre de ce qui a été prévu par ces conventions», a indiqué Me Ruphin Nkoulou-Ondo.
L’essentiel du procès
Long de plusieurs heures, ce procès a été instruit à la suite d’une plaine de Liban Soleiman pour obtenir de la justice une condamnation de la déclaration de Marc Ona faisant état d’une collusion d’intérêts entre Olam Gabon et Liban Soleiman. «M. Marc Ona, oui ou non, avez-vous tenus ces propos selon lesquels Olam est le business de Liban Soleiman. Car le chef de l’Etat n’étant pas partie civile dans cette affaire, je ne parle pas de lui», a demandé le président du tribunal, Fulgence Ongama, au leader de la société civile. Celui-ci, après avoir vu sur Internet l’émission dont la phrase incriminée était extraite, a exigé que la bande originale soit fournie, non sans indiquer que ses «propos ont été déformés».
«Il faut que l’on apprécie le contexte dans lequel les propos de Marc Ona ont été prononcés : les déclarations ont-elles été faites exactement telles que formulées ? Selon Marc Ona, il a évoqué un lien de collusion entres ces hautes autorités du pays et la société Olam en s’appuyant sur la campagne de sensibilisation qui a été menée par ces personnes dans le but d’implanter la société Olam au Gabon et particulièrement dans le nord du pays. Mon client s’est donc demandé pourquoi ces personnalités ont procédé à une telle campagne pour un opérateur économique, quand elles ne le font pas pour d’autres sociétés telles que Total Gabon, Perenco, Schlumberger, Comilog ou d’autres sociétés qui ont, elles aussi, besoin d’un certain soutient, d’autant plus que le rôle d’un pater familias est de veiller à l’équité entre les personnes qui sont sous sa juridiction», a expliqué Me Ruphin Nkoulou-Ondo, rencontré quelques jours après le procès.
Sanction exemplaire ?
L’avocat estime que, dans un pays démocratique, face à certaines situations, un leader de la société civile a le droit de se poser des questions, d’interroger et surtout de susciter le débat. De l’avis de nombreux témoins à ce procès, le réquisitoire du ministère public n’a pas pris en considération le statut et le rôle de Marc Ona Essangui. «On n’a plutôt voulu le ramener au statut de délinquant», a déploré Me Nkoulou-Ondo.
Un autre avocat stagiaire ayant assisté au procès a souligné à cet effet qu’ «il y a eu un réquisitoire relativement musclé vu que le ministère public a sollicité une sanction exemplaire. Sur quelle base ? Je ne peux le dire. Il n’y a «sanction exemplaire» que lorsqu’on estime que le prévenu a posé un acte qui mérite la sévérité de la part du ministère public. A moins qu’on veule réduire la société civile au silence et qu’on estime qu’un acteur de celle-ci n’est pas en droit de s’exprimer sur les différents problèmes qui se posent dans son pays.»
Comme s’il emboitait le pas à cet avocat, Arnaud Tchombo, journaliste de La Nouvelle République, qui était au tribunal le 8 mars, a souhaité pour sa part que «le tribunal juge Marc Ona dans sa stature d’acteur de la société civile gabonaise. Car à c’est à ce titre qu’il contribue à susciter le débat démocratique dans ce pays. D’autant plus qu’aujourd’hui, les problèmes qu’il pose sont des problèmes aux travers desquels un bon nombre de Gabonais reconnaissent la pertinence et le bien fondé de son action de leader de la société civile. Je ne crois pas qu’il faut le voir dans la stature d’un homme politique comme cela a été mis en exergue par Me Arama, mais il faut plutôt considérer l’action de Marc Ona dans son contexte aussi bien national qu’international.»
Au-delà de toutes ces conjectures, recueillies après le procès et hors du tribunal, le ministère public a requis du tribunal un an d’emprisonnement et 300 000 francs CFA d’amende contre l’accusé, figure de proue des organisations de la société civile gabonaise. Un procès dont n’avait pas vraiment besoin le chef de cabinet du président Ali Bongo, vilipendé depuis trois ans par la presse locale mais resté de marbre face à des attaques autrement plus perfides et violentes que l’assertion incriminée de Marc Ona.
La société civile joue un rôle important dans le renforcement du processus démocratique, en exigeant la transparence dans la gestion des affaires publiques et le respect de l’obligation de rendre compte. Parce qu’ils constituent les soupapes de sécurité de la société, les troublions publics sont toujours nécessaires dans un pays qui se veut libre et démocratique. C’est en ce sens que répondant à la police qui lui demandait l’ordre d’arrêter Jean-Paul Sartre, devenu gênant quant à ses prises de positions, le Général de Gaulle avait lancé, «On n’arrête pas voltaire !». Une phrase-principe à méditer, même si Marc Ona est loin d’être Voltaire ou Sartre. Son sort sera connu le 29 mars 2013.