À la faveur du 5e Congrès du pétrole africain (CAP V), clôturé à Libreville le 28 mars, Étienne Ngoubou, ministre gabonais du Pétrole, s’est entretenu, le 27 mars, avec un certain nombre de médias qui l’ont amené à se prononcer sur le projet d’offshore profond du Gabon, le contentieux de l’Etat avec Addax Petroleum et l’avenir du secteur pétrolier gabonais. Gabonreview était de la partie.
Gabonreview : L’offshore ultra profond nécessite une technologie très coûteuse pour les opérateurs. Apparemment ceux-ci attendent la publication d’un nouveau Code pétrolier avant de soumissionner sur de nouveaux appels d’offres dans le deep offshore. Où en est-on à ce sujet ?
Étienne Ngoubou : Comme annoncé lors de la visite du président de la République, à la fin de l’année 2012, à l’occasion des Journées économiques de Londres, en Angleterre, nous avons engagé des négociations pour des blocs en offshore. Mais il faudrait que la technique pour ces nouveaux blocs se situe à la frontière technologique et que les besoins d’investissement soient capitalistiques, et ne peuvent réellement y aller que les majors dudit secteur. Ces majors sont déjà en négociation avec nous. Très prochainement, nous vous annoncerons la conclusion de certains contrats. Je me mets donc dans la perspective d’achever ces négociations pour la fin du mois de mai2013.
Le nouveau code pétrolier gabonais a été déterminé. Nous sommes dans une phase d’évaluation de sa conduite. Cette phase durera 3 mois et je peux vous assurer que depuis plusieurs semaines, le Code est appliqué et les différents opérateurs pétroliers intervenants au Gabon le savent, puisque les principales clauses de ce Code sont appliquées aux nouveaux contrats et parmi elles, il y a des clauses qui renforcent la protection de l’environnement, le soutien au développement durable et le développement communautaire, mais également l’amélioration du Local Content dans le domaine pétrolier.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le Local Content ?
Ce que nous appelons génériquement «Local Content», c’est l’implication du secteur des hydrocarbures dans le développement du pays. Cela signifie donc l’implication des PME (petites et moyennes entreprises) et PMI (petites et moyennes industries) dans la sous-traitance. Ce qui implique notamment la formation des cadres locaux, le soutien au développement des populations locales et le renforcement de la contribution du secteur des hydrocarbures à l’économie nationale.
Dans les années 1980, le prix du baril de pétrole n’était pas ce qu’il est aujourd’hui, cela sous-entend-il qu’avec la hausse de celui-ci, trente années après, le pétrole va générer de nouveaux revenus ?
Comme je l’ai dit précédemment, aujourd’hui moins de 20% des revenus du pétrole restent sur le territoire national sous forme de taxes, de profits et sous forme de sous-traitance. Notre objectif est de pouvoir faire passer cette part de 20% à 40%, et le nouveau code pétrolier a été conçu dans cette optique. Celui-ci crée une séparation claire entre les permis de domaine conventionnel et les permis de domaine frontalier. Et lorsque nous parlons de «domaine frontalier», il s’agit là de frontière technologique, entre profond et très profond offshore.
© Gabonreview/Jordan
Le gouvernement est actuellement engagé dans un contentieux avec Addax Petroleum, que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
La République gabonaise a décidé de l’application d’une certaine réglementation de son secteur pétrolier. Elle appelle donc à toutes les sociétés opérant dans le domaine et soumises à cette réglementation de bien vouloir la respecter. Pour ce qui est de l’entreprise Addax Petroleum Services dont l’actionnaire majoritaire est Sinopec, nous avons constaté un non respect des réglementations gabonaises, un non respect de l’environnement et un non respect de l’obligation faite à chaque opérateur présent sur le territoire national de respecter les normes et les prescriptions en vigueur.
Mais malgré les nombreux rappels à l’ordre, les responsables d’Addax ne se sont pas exécutés et non pas pris en compte les remarques faites par l’administration gabonaise. Ce qui nous à contraint à prendre la décision de ne pas renouveler l’autorisation exclusive d’exploitation du permis de Panthere Nze. Ce qui nous semble tout à fait être notre droit.
Je vous rappelle que la société incriminée a, avec la République gabonaise, deux contrats d’exploitation et de partage de production basés sur le fait qu’elle a déclaré avoir une expertise avérée dans la production des hydrocarbures et une expertise reconnue dans le développement des champs pétroliers. Cela fait 3 ans qu’Addax est passé sous le giron de Sinopec ; cela fait plus de 6 ans que cette société opère au Gabon, pourtant elle n’a pas mis au standard de l’industrie pétrolière les infrastructures qui lui ont été confiées par la République gabonaise. Elle n’a pas respecté sa part de marché. Nous avons, de ce fait, décidé de mettre un terme à notre relation, et mettons en observation le permis de Maghena. De plus, après avoir publié dans les colonnes du quotidien L’Union leur protestation suite à notre décision, la direction générale d’Addax a montré l’esprit qui l’anime. Mais s’ils ne veulent pas respecter la réglementation gabonaise, nous allons les inviter à quitter le pays.
Gabon Oil Compagny opère sur le permis d’Addax Petroleum réquisitionné en décembre dernier. Cette compagnie gabonaise va-t-elle naître et se développer sur les installations d’Addax ?
Je tiens dans un premier temps à préciser que le champ d’Obangué est un champ faisant partie du permis de Panthere Nze. De ce fait, la République gabonaise ayant une structure législative et réglementaire inspirée de celle de la France, il arrive donc que le gouvernement puisse être amené à réquisitionner un permis. Ceci ne doit pas être perçu comme une suspension des obligations contractuelles de la société et cela n’est nullement un transfert de responsabilités civiles et sociales des employés de cette société vers l’Etat. La réquisition signifie que l’Etat prend jouissance et que l’Etat décide de prendre sous son contrôle l’activité. Le personnel de ladite société doit donc continuer à être payé par cette dernière et l’Etat est chargé de compenser financièrement. Ceux qui sont, comme le Gabon, des utilisateurs du principe du Code Napoléonien, le savent.
Il nous est parvenu que la société Addax Petroleum a refusé de continuer à payer les salaires de son personnel opérant sur le champ d’Obangué et refuse également que ce personnel soit soumis à la réquisition gabonaise. A partir de ce moment, pour ne pas laisser tomber ce personnel qui a fait preuve de patriotisme, nous avons décidé de compenser son salaire et d’utiliser l’outil et la structure de la République, compétente en matière d’exploitation pétrolière, afin que les employés puissent continuer à opérer dans le champ d’Obangué. Pendant 3 mois, ce personnel avait été laissé à la disposition de la société Addax. Mais, aujourd’hui, on se retrouve dans une situation sociale anormale, il faudrait donc que le gouvernement puisse rassurer ces employés quant à leur avenir. C’est la raison pour laquelle j’ai effectué le déplacement sur le site d’Obangué et j’ai demandé aux employés trouvés sur place de bien vouloir soumettre des demandes de recrutement à la société Gabon Oil Compagny (GOC) pour que cette nouvelle société puisse assumer toutes les différentes obligations sociales d’un employeur vis-à-vis de son employé : des obligations sociales que la société incriminée a refusé d’assumer. Pour preuve, nous détenons des exemplaires de la lettre que la direction générale de cette société a adressée aux banques et dans laquelle elle les informe qu’elle n’assumera plus les obligations, fragilisant ainsi ses employés.
Offshore ultra profond. © Gabonreview
Pour revenir à l’attribution des nouveaux blocs en eau profonde et très profonde, y aura-t-il un appel d’offre obligatoirement ou s’agira-t-il d’une sorte de gré à gré ?
Pour l’attribution des nouveaux blocs, nous procéderons par consultations, appels à consultations des majeurs du secteur des hydrocarbures. Vous pouvez constater que nous avons Exxon, Marathon, Total, Nobels, une société chinoise (Sinopec) et une japonaise, entre autres, qui ont déjà une expérience en mer profonde et très profonde et qui sont intéressées par ces blocs. Nous avons informé officiellement, au cours du Congrès africain du pétrole (CAP V) que les négociations commenceront dans la quinzaine du mois d’avril de cette année, et ces majeurs qui détiennent le savoir-faire technique, qui ont la capacité financière nécessaire pour pouvoir prospecter et développer des champs en eau profonde et très profonde vont rentrer en compétition et le gouvernement choisira les opérateurs pour leurs compétences techniques, financières mais surtout pour leur contribution au développement de l’économie gabonaise.
Combien de champs sont mis à disposition ?
Le nouveau domaine pétrolier qui s’ouvre pour cette consultation est évalué à 40 blocs dont la profondeur varie entre 800 mètres et 4 000 mètres.
Par rapport au thème général du CAP V, qui porte sur «les perspectives pour les hydrocarbures en Afrique : équilibre entre production et développement durable», quelle est la vision du Gabon ?
La stratégie gabonaise quant au développement de son secteur pétrolier a été indiquée lors de la Conférence des ministres de l’association des pays producteurs de pétrole africains (APPA) et au cours du présent congrès. Nous avons décidé, de commun accord, de la mutualisation de notre expertise et de notre expérience afin d’améliorer la contribution de nos différents secteurs des hydrocarbures aux économies de nos pays respectifs. Dans cette stratégie, il va avoir très bientôt des rapprochements entre Etats dans le but de mettre en commun certains de nos marchés et avoir de ce fait un impact plus important dans chaque économie locale. Nous avons donc décidé d’établir une stratégie commune sur le «Local content» en créant un réseau de centres de formation spécialisés en Afrique.
Pour ce qui est du Gabon, nous avons également décidé de la construction d’une nouvelle raffinerie qui aura pour objectif de tripler la capacité de raffinage des raffineries actuelles évaluée à 16 000 barils par jour. La nouvelle raffinerie se donne pour mission d’atteindre 60 000 barils/jour dans sa première phase. Et sur la zone franche de l’île Mandji, nous envisageons développer une industrie pétrochimique.
La manne pétrolière ne semble pas profiter aux populations des pays membres de l’APPA. Que faites-vous pour distribuer équitablement les ressources du pétrole ?
Nous ne rentrerons pas dans ce débat car il est connu de tous que dans la totalité des pays africains producteurs de pétrole, plus des 50% des revenus proviennent de la ressource pétrolière et ces différents pays connaissent un certain développement. Du Tchad à la Côte d’Ivoire en passant par la Sierra-Léone, des infrastructures sont financées grâce au pétrole. Et dans l’environnement des compagnies exploitant le pétrole, on note le développement des écoles, des routes, des dispensaires, des activités communautaires.