6 km, c’est long quand on marche seul. Mais quand on marche en groupe, cela parait si peu. 6 km pour dénoncer un fléau comparable à une épidémie de peste, de choléra ou d’ébola, ce n’est vraiment rien.
Et cela les Gabonais l’ont compris. Ils ont bien compris que battre du bitume pour aller au front d’une bataille qui touche l’ensemble des populations et qui jusqu’alors n’est pas punie comme il faut est une noble action. Le fléau c’est bien le crime rituel. Il s’agit d’un crime de sang à caractère fétichiste. Il y a là dedans le fait de tuer, de mutiler, de vendre ou d’utiliser à des fins de pouvoir les organes humains, les « restes humains » selon la terminologie d’usage dans le code pénal.
Le code pénal justement consacre la condamnation du crime de sang mais aussi les forfaits comme l’anthropophagie, la transaction des restes humains mais nulle part il n’est fait mention de crime « rituel ». Et comme l’affirmait le juriste Matthieu Ndong Essono au cours du colloque de l’UNESCO qui s’est tenu à Libreville en 2005 sur le phénomène de crime rituel en Afrique, « ce n’est pas parce que un fait n’est pas nommé qu’il n’existe pas ». Au même colloque, Ali Bongo Ondimba, alors ministre de la défense avait dénoncé ce phénomène.
Et que le 7 mai dernier le ministère de l’intérieur ait autorisé une marche contre les crimes dits rituels et qu’à la fin de cette marche le Président de la République ait accueilli les marcheurs montrent qu’il y a une dimension politique désormais dans cette lutte
Ce n’est donc plus la seule affaire de la société civile. Le politique aussi en a fait son affaire. En tout cas le Président de la République l’a promis : les commanditaires et les praticiens des crimes rituels seront punis selon la loi, puisque bientôt loi il y aura.
La marche du 11 mai qui est partie du Rond Point de la Démocratie à l’esplanade du Palais du Bord de mer a eu le mérite d’arriver à son terme alors qu’au même moment une autre marche, interdite par le ministère de l’intérieur, a dégénéré au quartier Nzeng Ayong.
La première chose que nous relevons c’est que la marche du 11 mai, on la doit d’abord à un homme : Jean Elvis Ebang Ondo, le président « courage » de l’Association de Lutte contre les Crimes qui n’a pas baissé les armes depuis 8 ans et la mort atroce de son fils, victime de la faim anthropo-mystique d’un individu qui doit jouir encore aujourd’hui du sang et des organes qu’il a pu tirer du petit enfant. Et ce Jean Elvis Ebang Ondo était sur les 6 km. Par respect pour son combat et par respect pour toutes les familles mobilisées parce que victimes de la méchanceté humaine, tous ceux qui pensent avoir le monopôle de la douleur et qui réclamaient de marcher eux aussi ailleurs, devaient s’aligner derrière l’ALCR. Il n’était pas nécessaire de faire une marche parallèle sous prétexte d’éviter la récupération politique
La deuxième chose, c’est bien cela. La récupération politique. On en a parlé sur les réseaux sociaux. Notamment sur Facebook. D’aucuns ont estimé que la marche n’aurait plus sa dimension civile et de liberté avec la présence dans les rangs des manifestants de Sylvia Bongo Ondimba, qui avait déjà défrayé la chronique en recevant les membres de la société civile et notamment le président de l’ALCR. Sylvia Bongo Ondimba s’est donc exprimée en expliquant qu’elle était d’abord une citoyenne et qu’elle ne supportait plus ce spectacle déshumanisant imposé par les criminels rituels. Spectacle de cœurs ôtés, d’organes génitaux coupés, de langues inexistantes ou d’yeux arrachés. D’autres ont estimé qu’il n’aurait pas fallu se rendre à la Présidence de la République parce que le Président serait suffisamment informé sur les crimes et connaîtrait d’ailleurs les commanditaires sans les punir.
En définitive, l’on a critiqué le fait que le couple présidentiel se soit mobilisé pour accompagner la lutte contre les crimes rituels. En témoigne donc les banderoles et autres tee-shirt qui faisaient de cette marche « la marche d’Ali Bongo Ondimba contre les crimes rituels ». C’est vrai que l’on peut regretter une telle démarche de certains partisans de la politique d’ Ali Bongo Ondimba, mais cela n’a rien enlevé à l’essentiel du message. La marche était faite pour dénoncer. Et si Jean Elvis Ebang Ondo et les siens ont accepté que la Première dame ou d’autres hommes politiques marchent avec eux, tous ceux qui estiment vouloir continuer ce combat avaient le devoir de rester à leurs côtés, parce que c’était leur marche à eux. Et si l’idée de ceux qui ont critiqué cette présence était de défendre la crédibilité de la manifestation en faisant une autre marche, ils ont peut-être, eux, tué la crédibilité qu’ils avaient réussie à conserver jusqu’à lors.
La marche a donc eu lieu. Il y avait bien une dimension politique. De toute évidence, face au fléau, la solution n’est que politique. Désormais, il faut attendre cette loi. Il faut attendre que tous les Eyeghe Ekomi de l’histoire, qui se cachent encore sous leurs pouvoirs, soient jugés et condamnés. La perpétuité évidemment. Déjà la justice peut se féliciter d’avoir interpelé les assassins du lieutenant Mayombo dont le crime crapuleux a laissé peu de répit à l’armée et aux enquêteurs. Le temps nous enseignera. Et déjà, les vainqueurs de « la Marche du 11 mai » doivent se ressaisir pour engager d’autres actions, en attendant que l’engagement du PR fasse ses premières victimes parmi les « sorciers, ces perfides trompeurs » que Georges Damas Aleka nous invite à chasser de nos terres. Une terre prospère est une terre où le sang ne crie point vengeance.