Mardi dernier, le 1er président de la Cour d’appel de Libreville, Edouard Ogandaga, est allé auditionner un ministre de la République pour les besoins d’une enquête sur un crime de sang exécuté en janvier dernier et qui a bouleversé une population gabonaise déjà dans la peur quotidienne.
Raphaël Ngazouzé, c’est de lui dont il est question ici, a en effet reçu chez lui la Cour d’appel de Libreville pour répondre à quelques questions en présence de son avocat. Son nom est cité depuis cinq mois dans l’affaire de l’assassinat, à 15 km de la ville de Ndjolé, d’Amadou Yogno, ressortissant camerounais de 46 ans et père de 17 enfants. C’était en janvier dernier.
Les images parvenues aux Gabonais montraient un corps mutilé et d’ailleurs une première autopsie avait conclu à un meurtre avec mutilation. Mais la gendarmerie avait préféré parler de crime crapuleux. Et cinq mois après, l’enquête semble avoir progressé puisque Raphaël Ngazouzé, cité à maintes reprises par les présumés assassins a fait l’objet donc d’une audition.
Edouard Ogandaga a tenu à rappeler que cette audition n’établissait nullement la culpabilité du ministre délégué à la Fonction publique et au Budget. « Pour les besoins de faire la lumière, il était nécessaire que monsieur le ministre se fasse entendre sur sa position afin de donner sa position sur les propos qui ont été portés à son encontre », a-t-il déclaré devant la camera de Gabon Télévision. Avant de rappeler la loi qui stipule dans l’article 486 du code de procédure pénale que « lorsque une autorisation préalable n’a pas été donnée par le gouvernement, le 1er président de la cour d’appel du tribunal du ressort où la procédure est menée peut se déporter au domicile du membre du gouvernement pour l’entendre (…) c’est en vertu de cette disposition légale que nous nous sommes transportés pour recueillir son audition ».
Jusque là la loi seule prévaut et personne ne trouverait rien à redire. Sauf que cette audition est intervenue tout juste trois jours après la « marche du 11 mai » contre les crimes rituels mais aussi qu’elle s’est faite devant une camera et qu’elle a été diffusée sur une chaine publique, en l’occurrence Gabon Télévision.
Les réactions n’ont donc pas tardé. Sur les réseaux sociaux où les Gabonais s’expriment de plus en plus mais aussi dans certains médias, reprenant les propos d’hommes politiques et de leaders de la société civile, la condamnation d’une telle procédure a rythmé les débats. « Une justice spectacle », a-t-on pu lire. « Pourquoi ce ministre là ? », se sont interrogés certains. « Il y a violation du secret d’instruction », ont clamé d’autres.
Et si finalement le gouvernement avait envie de donner un signal fort autour des enquêtes concernant les crimes de sang à caractère rituel, il semble bien aujourd’hui qu’il lui est difficile de justifier une telle démarche. La presse écrite évoque bien d’autres noms dans d’autres affaires. Ces personnalités seront-elles aussi auditionnées en présence d’une camera pour que Gabon Télévision en parle encore? Pour démentir la thèse d’un complot contre le ministre Raphaël Ngazouzet, il semble inéluctable de procéder de la même façon pour ces autres personnalités accusées d’avoir commandité d’autres crimes.
L’Union du 18 mai énonce des noms : Pr Léon Nzouba, ministre de la santé ; Raymond Ngombéla, député de Booué ; Pascal Désiré Missongo, ancien ministre de la Fonction Publique; Rigobert Ikambouayat Ndécka actuel Directeur Général de l’OPRAG ; Martin Mabala, ancien ministre des Eaux et Forêts ; Thomas Melliong, sénateur de Booué ; Sylvain Momouadjambo, ancien ministre délégué aux Mines ; Jean Mindoumbi, ancien ambassadeur. Ils devraient tous être entendus. Mais encore une fois, leurs auditions seront elles rendues publiques par Gabon Télévision ? Car c’est cela qui semble déranger plus qu’autre chose. Entre temps, Gabriel Eyeghe Ekomi, le sénateur de Kango est en liberté provisoire. De quoi être sceptique quand on sait que les dernières sessions criminelles à Mouila et à Oyem ont donné lieu à de nombreuses condamnations par contumace. L’affaire n’a-t-elle pas trop duré ? S’interrogent certains impatients de la justice rendue avec justesse.
D’autre part, Raphaël Ngazouzé restera-t-il dans le gouvernement ? Certains réclament déjà sa démission ou son éviction pour qu’il soit tout à fait mis à la disposition de la justice gabonaise.
Après cette grosse ambiance médiatique, il a fallu rappeler à tous qu’une personne, fusse-t-elle accusée publiquement, bénéficie jusqu’au bout de la présomption d’innocence. Raphaël Ngazouzet et ceux qui vont se succéder devant la cour d’appel ne seront pas coupables tant que la justice ne l’aura pas dit. Mais les Gabonais perçoivent-ils les choses de la même façon ? Il suffisait de tendre l’oreille au lendemain de cette fameuse audition, dans les transports en commun, dans les débits de boisson, sous les lampadaires ou les arbres à palabres pour comprendre que la présomption d’innocence ne signifie presque rien pour un peuple qui estime qu’il y a eu beaucoup trop de laxisme dans le traitement des dossiers des crimes de sang. Il semble évident que si ce ministre avait été livré à la population, il aurait été lynché de la façon la plus sauvage possible parce que pour beaucoup le fait d’être accusé implique une complicité ou une culpabilité à un niveau ou à un autre.
« Il faut éviter la mise en scène » a donc souhaité au bout de la semaine Alain-Claude Billié By-Nzé comme pour mettre un terme à la spéculation qui a fait son nid en très peu de jours et qui a jeté en pâture un ministre de la République encore en service.