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Gregory Ngbwa Mintsa : «Pour que les citoyens cessent d’avoir peur»

Grégory Ngbwa Mintsa
Grégory Ngbwa Mintsa
Gregory Ngbwa Mintsa, lauréat du Prix de l’Intégrité de Transparency International 2010, s’est livré, le 16 mai dernier, à une interview avec la directrice du département communication de Tansparency International, Rosie Slater. Il y revient sur ses débuts dans la lutte contre la corruption au Gabon, l’affaire des Biens mal acquis, son action, mais aussi de ce qui doit changer au niveau du TPI.
Alors que vient de s’ouvrir l’appel à candidature pour les Prix d’Intégrité 2013, les responsables du pôle communication de Transparency International, se sont saisis de cette opportunité pour deviser avec celui qu’ils considèrent, au Gabon, comme un «héros de la lutte contre la corruption dans son pays».

Tel que raconté dans l’interview accordée à Rosie Slater, directrice du département communication de Tansparency International, le combat de Gregory Ngbwa Mintsa commence lorsqu’il constate que les leaders de la majorité comme ceux de l’opposition jouaient tous le jeu de la corruption et de l’enrichissement illicite. Dans ce contexte marqué par le trafic d’influence, indique le militant gabonais de la transparence financière, le président Omar Bongo Ondimba orchestrait le bal dans tous les camps politiques. «J’ai longtemps milité dans un grand parti politique de l’opposition. J’ai vite déchanté lorsque j’ai compris que, grâce à l’argent public, (l’ancien président gabonais) Omar Bongo avait toujours été, de fait, le leader de la majorité et de l’opposition», explique Ngbwa Mintsa pour justifier sa démarcation et son engagement. Et de relever, de ce fait, que pendant plusieurs années, il s’est mis à dos les politiciens de tous bords, du fait notamment des articles et autres textes qu’il produisait pour dénoncer la corruption dans le pays.

«Pendant des années, je me suis mis à dos tous les leaders politiques de la majorité autant que de l’opposition, à cause de mes éditoriaux qui insistaient sur le fait que l’Etat de droit ne vient ni des politiciens, ni des anciennes puissances coloniales, ni des syndicats, mais de l’aptitude des citoyens à défendre leurs droits eux-mêmes», rappelle Gregory Ngbwa Mintsa. Fort de ses convictions, en décembre 2008, il a «courageusement pris position contre la corruption. Avec Transparence International France, il a déposé une plainte qui dénonçait le détournement présumé de fonds publics au Gabon. Cela fait partie des Biens Mal Acquis, une enquête sur plusieurs présidents africains soupçonnés de voler des fonds publics à grande échelle», indique Rosie Slater en guise d’introduction à son interview.

Pour qualifier la situation de son pays, Ngbwa Mintsa explique que «la corruption qui sévit au Gabon est la plus nocive et la plus dramatique possible : celle qui est instituée par la classe dirigeante». Et de rappeler que «le Gabon est un pays très riche mais 60% de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté, dont 10% sous le seuil de pauvreté absolue […] Le patrimoine qui aurait du servir à développer le pays et répondre aux besoins quotidiens des Gabonais a été utilisé par un groupuscule pour se maintenir au pouvoir par la corruption et le clientélisme au service de la gloire et de l’enrichissement personnel […] lorsque la corruption est érigée en modèle de gouvernement, il ne faut pas s’étonner qu’elle s’étende à toutes les sphères de la société : à l’école et à l’université où des enseignants vendent des notes, à l’hôpital, aux innombrables contrôles de police, dans les églises, dans les services publics et même dans les familles».

Amené à expliquer son engagement personnel dans l’affaire des biens mal acquis, le membre du mouvement des Indignés du Gabon indique que «c’est pour prêcher par l’exemple que je me suis associé à la procédure dite des Biens Mal Acquis de Transparence France, sans m’exiler mais en prenant soin de rester en vie pour que les citoyens cessent d’avoir peur et qu’ils apprennent que c’est par eux-mêmes qu’ils doivent cesser de placer qui que ce soit au-dessus des lois».

Si son acharnement à combattre toute forme de résistance de la corruption semble avoir été reconnu à l’international et notamment consacré par le Prix pour l’Intégrité reçu en 2010, il relate qu’aujourd’hui sa marge de manœuvre est extrêmement ténue. «Mon salaire est confisqué, ce qui me prive du minimum vital et de lancer quelque activité que ce soit. Il ne me reste que ma conscience et ma parole, dans un contexte où même la plupart de ceux qui me soutiennent, le font dans la plus grande discrétion».

Ngbwa Mintsa réjouit tout de même du fait que l’Affaire des biens mal acquis pousse forcément à changer la donne. «Je suis personnellement satisfait que l’affaire des Biens mal Acquis ait contribué à reconsidérer une conception de l’Etat qui était établie : que le chef de l’Etat d’un pouvoir personnifié use légitimement des biens de l’Etat de façon personnelle. Il était acclamé comme un héros lorsque, à l’occasion de campagnes électorales, il initiait une ou deux mesures régaliennes ou qu’il fasse des “dons” de médicaments, d’argent ou de cahiers dans quelques villages», explique-t-il avant d’indiquer que «ce qui a changé, c’est qu’il devient de plus en plus difficile aux prédateurs du patrimoine public de placer les avoirs détournés en France, la “mère-patrie” de la Françafrique».

Et pour l’avenir, Gregory Ngbwa Mintsa estime que «le crime patrimonicide – l’appropriation de patrimoine public à des fins personnelles – doit être considéré comme un crime contre l’humanité». En cela, il trouve anormal qu’on ne puisse trainer devant le Tribunal Pénal International que des personnes ayant commis des exactions qui se sont soldées par des dizaines de morts, et qu’on «déroule le tapis rouge à des criminels qui s’approprient ce qui est destiné à permettre à des milliers ou des millions de gens de naître, de grandir, de se soigner, de s’éduquer, de travailler, d’aimer, de fonder une famille, d’élever leurs enfants, et de mourir en paix».

La longue interview se clôt sur le souhait de Gregory Ngbwa Mintsa d’une mobilisation pour «imposer une cour civile internationale qui pénalisera les crimes économiques qui tuent le présent et le futur de millions d’êtres humains et menacent la paix du monde».

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