Malgré l’arrivée des ordinateurs à Rabat, la machine électronique n’a pas encore pris ses vacances au musée. Les écrivains publics qui en font usage au quotidien au marché central de la ville royale, ne peinent pas à écrire et résistent, bon l’an mal an, face à la présence massive des cybercafés ou de l’outil informatique. Le métier d’écrivain public qui se transmet de père en fils au royaume chérifien a encore des lendemains meilleurs devant lui. Ceux qui travaillent encore arrivent, malgré la crise qui sévit partout, à joindre les deux bouts.
Ce mardi 4 juin 2013, il est 11h, il fait chaud au marché central de Rabat. Les écrivains publics sont déjà là devant leurs machines à écrire. Ils attendent les clients au milieu des effluves d’urine et la poussière dégagée par les travaux de la muraille de Bab Al Had Bab Al Had. Trois d’entre eux ont placé leurs tables à l’ombre contre le mur. Sept autres sont en plein soleil, protégés par leurs parasols.
«J’exerce ce métier depuis vingt ans. Je suis assistant, j’écris dans deux langues, le français et l’arabe. Nombreux ici ne maîtrisent pas encore l’outil informatique ou refusent d’attendre pendant longtemps qu’un ordinateur soit libre dans un cybercafé pour écrire une lettre. Alors, ils viennent ici parce qu’ils ne savent pas parfois comment écrire à la justice, à la police, au maire ou au Roi. Ils profitent donc de notre expérience en la matière pour aller très vite », nous confie Mohammed, la quarantaine révolue, le regard caché derrière les lunettes noires et confortablement installé dans un fauteuil recouvert par un plastique usé.
Sur une table qui a connu des jours meilleurs, sont disposées deux machines à écrire et un verre de thé. Dans le tiroir entrouvert, dix enveloppes blanches et du papier attendent d’être utilisés. Mohammed parle en fixant un point imaginaire : « Malgré l’arrivée de l’ordinateur, on reste incontournable et nous avons toujours des clients. J’arrive à joindre les deux bouts et on ne sent même pas la crise».
L’autorisation de Mohammed a été délivrée du temps de Moulay El Hassan Al Awal. Il explique qu’au départ, la place était réservée aux « talbas », ceux qui connaissent le coran par cœur. Les plus lettrés d’entre eux se sont convertis par la suite au métier d’écrivain public.
Un autre écrivain public très allergique à la caméra, le visage courroucé, tente de menacer Douglas Ntoutoume, journaliste et reporter de Gabonews.com. C’est un véritable langage de sourd. L’un parle en arabe et l’autre en français. Par des gestes le journaliste comprend qu’il refuse d’être filmé. Son débit est rapide, au point qu’il en devient incompréhensible.
Pour tromper l’ennui, les autres écrivains s’occupent en grillant une cigarette ou en se passant un journal en arabe. Un autre, Hamza, regarde de temps à autre sa montre tout en jouant avec son téléphone portable. Son père était également écrivain public. « Je ne maîtrise que la langue arabe. Quand je reçois un client qui veut rédiger un document en français, je l’oriente vers un collègue. L’informatique est certes notre principal concurrent, mais on s’en sort très bien », nous dit Hamza à voix basse avant d’ajouté avec un sourire moqueur, « ici c’est interdit pour un touriste d’amener une femme marocaine dans une chambre d’hôtel sauf si vous êtes mariés ou de critiquer le Roi et surtout de filmer sans autorisation ».
En une fraction de secondes, son regard est attiré par une cliente. Il glisse rapidement son téléphone portable dans la poche, arrange sa casquette, sort du papier et se met devant sa machine. Il penche la tête et se concentre sur sa cliente.
Une manière de nous signifier qu’il ne veut plus être dérangé. Le client se fait rare. Et la concurrence entre écrivains, est très rude.