«Pourquoi tu permets aux commanditaires des crimes rituels de parvenir à une élévation sociale grâce aux amulettes fabriquées à l’aide des organes humains alors que tu devrais faire échec à leur entreprise», peut-on lire, entre autres, dans la lettre à Dieu signée par le journaliste Jonas Moulenda, spécialiste des faits divers du quotidien L’Union, qui boucle ainsi sa trilogie après son adresse au chef du gouvernement gabonais, Raymond Ndong Sima, et au président Ali Bongo. Entre angoisse métaphysique et cri de détresse pour une justice divine sur les crimes rituels.
Je garde par-devers moi cette lettre parce que je ne sais pas où la déposer pour qu’elle te parvienne. Comme bon nombre de tes créatures, j’ai perdu ton adresse à force d’écouter les allégations de tes serviteurs, qui disent que tu es tantôt au ciel, tant sur Terre, tantôt bientôt de retour. C’est à croire qu’ils grugent les fidèles pour atteindre leurs desseins inavoués. «On trompe un enfant avec le sein pour le raser», disait mon grand-père.
J’aurais aimé me trouver en face de toi pour te parler de vive voix parce que j’ai tellement de choses à te dire. J’aurais aimé que tu m’expliques ce phénomène abscons des crimes rituels qui me donne de la névralgie à force d’y réfléchir, de jour comme de nuit. Si je te voyais un jour passer devant moi, toi le Très-Grand, je t’interpellerai même en te touchant par les oreilles, quitte à ce que tu me regardes de guingois. Mon aïeul disait : «Celui qui a la diarrhée ne craint pas l’obscurité.»
J’aimerais tellement que tu sois le Dieu des Gabonais, qui ne les lâche pas contre vents et marées, qui les rassure par ses bienfaits. J’aimerais tellement avoir la certitude que tu ne les laisseras plus jamais se faire dépecer par des individus en quête d’élévation sociale. J’aimerais tellement être sûr que jamais, au plus grand jamais, tu ne permettras à ces mafiosos d’ôter le souffle à de pauvres innocents, qui sont pourtant appelé à mourir naturellement. J’ai tellement de vœux, Seigneur. Mais malheureusement, ce ne sont que des vœux, qui risquent de me rendre malheureux parce que, comme disait mon papy «qui vit de désirs meurt désespéré.»
En réalité, je ne suis sûr de rien, ni de toi, ni de moi-même. Je ne comprends pas pourquoi tu laisses des agneaux sans tâches subir des avatars qui modifient le cours de leur vie. Je ne comprends pas pourquoi tu ne réponds pas depuis que le peuple gabonais t’implore pour mettre fin à ce cancer qui gangrenne leur société. Je ne comprends pas non plus pourquoi tu es absent où tu devrais être présent alors qu’on clame urbi et orbi que tu as le don d’ubiquité. A cette allure, je finirai par donner raison à mon grand-père qui disait : «Dieu est comme le serveur d’un restaurant, il ne peut pas être au même moment à toutes les tables où on l’appelle.»
Je ne comprends pas pourquoi des gens disent qu’ils t’ont vu et que tu leur as parlé alors que d’autres te cherchent désespérément, matin, midi et soir, affichant un comportement le plus rectiligne possible pour que tu te manifestes à eux. Je ne comprends pas pourquoi depuis que tes serviteurs parlent de ton retour imminent, tu ne viens toujours pas. Seigneur, quelle voie as-tu empruntée pour y mettre autant de temps ? Combien de victimes de crimes rituels faudrait-il encore pour que tu te manifestes et t’ériges en bouclier ? Mes ‘‘pourquoi’’ ne finiront jamais, car je ne comprends rien de toi, Seigneur. Il faut que tu éclaires ma lanterne pour que je ne fonce pas droit au mur. Mon aïeul disait : «Si le soleil se couche à l’insu de la perdrix, elle picore du sable.»
Tes mystères et l’énigme que tu incarnes me fatiguent, à terme. Tout ce que je sais c’est que tu existes, à telle enseigne que je t’implore sans cesse. Je brûle d’envie d’être édifié sur toi. Comme tu as montré à Moïse comment bâtir un endroit sacré, j’aimerais que tu orientes chaque jour tes créatures là où elles ne seront ni persécutées, ni honnies. Seigneur, je ne comprends pas pourquoi tu permets que des gens sacrifient leurs semblables pour s’enrichir davantage et que les pauvres s’appauvrissent au point de n’être pas capables de manger à leur faim. Dois-je comprendre par là que tu as des préférés ? Pourtant, mon grand-père disait: «L’aigle apporte la pitance à tous ses petits.»
Ton fils Jésus-Christ a versé son sang pour sauver l’humanité. Seigneur, pourquoi permets-tu encore que des êtres que tu as façonné, telle de l’argile, tuent leurs semblables pour atteindre leurs espérances occultes ? Pourquoi accordes-tu plus de longévité à ces méchants qu’aux saints ? Pourquoi permets-tu des injustices flagrantes qui font douter de ta bonté ? Dois-je comprendre par là que tu incarnes le bien et le mal ? Pourquoi ne sévis-tu pas depuis le début de ce phénomène abominable ? Mais la justice des hommes a montré ses limites ! Les commanditaires de ces crimes font tout pour ne pas en inquiétés ou zigouillés à leur tour. Finalement, mon aïeul avait raison, lui qui disait: «Le sorcier qui égorge les hommes ne veut pas que le couteau passe près de sa gorge.»
Seigneur, je ne comprends pas pourquoi des individus sont plus en contact avec toi que d’autres alors qu’ils sont tous tes créatures. De même, je peine à comprendre pourquoi chacun d’eux se fait une image personnelle de toi que tu es alors que tu es unique. Seigneur, je ne comprends pas pourquoi tes serviteurs font une clownerie sur Jésus et s’accapare de la vérité alors que tu as dit de tout donner gratuitement. Je ne comprends pas pourquoi nous sommes si différents de toi alors que tu nous as créés à ton image dans l’humilité la plus absolue. «Ce qui rampe ne donne pas ce qui vole», disait pourtant mon grand-père.
Je me demande pourquoi tu permets aux commanditaires des crimes rituels de parvenir à une élévation sociale grâce aux amulettes fabriquées à l’aide des organes humains alors que tu devrais faire échec à leur entreprise. Je ne comprends pas pourquoi tu armes davantage les puissants pour martyriser les faibles alors que tu prétends que toute arme forgée contre tes créatures est nulle et sans effet. Seigneur, je ne doute pas de ton existence. J’espère que tu me comprends ; je ne suis ni païen, ni mécréant. Je suis juste curieux. Mais dans ma soif inextinguible du savoir, j’évite de fouiner partout. «Si le poussin fouille trop, il finit par voir les os de sa mère», disait mon grand-père.
Vois-tu, tu as beaucoup des choses à m’expliquer, Seigneur. Après avoir écrit au Premier ministre et au Président de la République, je n’ai pas voulu m’adresser à tes serviteurs de différentes confessions religieuses parce qu’ils sont complices de ce phénomène de par leur mutisme. Tu es mieux placé pour m’édifier sur toutes mes interrogations. «Vaut mieux avoir à faire à Dieu qu’à ses saints,» disait d’ailleurs mon aïeul.