Le maire de Libreville se prépare pour les élections municipales du mois de novembre prochain. Déterminé et sûr de son fait, »Jacky » veut battre tous les records : après 26 ans au total au gouvernement, dont 7 années à la Primature, il vise à présent, malgré un bilan qui ne plaide pas pour lui, un second mandat dans une commune qui n’a jamais accordé un deuxième mandat à son édile.
A l’Hôtel de Ville de Libreville depuis le 19 juin 2008, Jean-François Ntoutoume Emane, 74 ans, estime avoir un «bilan» pour prétendre à un deuxième mandat. Des sources proches de lui soutiennent que parce qu’il a fait réaliser trois ronds-points (au niveau de la Préfecture de Police, au carrefour de la Résidence de Jade à l’aéroport, et face à la Fondation Jeanne-Ebori) et aménagé un carrefour à Ozangué (carrefour Nyama) et lancé les travaux de construction d’un marché à la Peyrie -seuls faits remarquables pendant cinq ans en plus de la titularisation de 360 agents de la main-d’œuvre non permanente-, il est en droit d’exiger à Ali Bongo son maintien à la tête du Conseil municipal de la capitale gabonaise pour les cinq prochaines années. Un bilan qui prête à sourire ceux-là même qui l’énoncent.
Accord basé sur des considérations politiciennes ?
Les vrais mobiles de l’acharnement à la rebelote seraient plutôt ailleurs. Il s’agit en réalité de considérations politiques, voire politiciennes : Jean-François Ntoutoume Emane s’estime capable de rassembler les cadres et responsables politiques de l’Estuaire derrière Ali Bongo face à une éventuelle candidature de Paul Biyoghé Mba en 2016. C’est le «joyau» qu’il a vendu au «Distingué Camarade» du PDG pour obtenir l’investiture de l’ancien parti unique à cet effet. Celui-ci semble y avoir cédé.
En fait, pour garder l’Hôtel de Ville, le doyen de Lalala aurait joué sur du donnant-donnant. Le deal s’est donc joué sur le plan politique. Il faut absolument contrecarrer les velléités de l’ancien élu de l’ex-canton Ikoy Tsini. Et cela passe d’abord par la mise à l’écart et un acharnement transformé en haine viscérale contre des cadres qui seraient plus ou moins proches de Paul Biyoghé Mba. Comme d’autres en même temps ou avant lui, Charles Mba Bissighé est viré de ses fonctions de directeur général des Affaires sociales et des Relations avec les Partenaires sociaux à la mairie de Libreville et humilié à longueur de journées, soit en petit comité, soit dans les colonnes des journaux. Gisèle Akoghet, député du 5è arrondissement, se voit arracher une parcelle de terrain que lui avait offerte, en 2010, l’édile de Libreville à Okala dans la zone dite Mikolongo. Cela passe ensuite par des caravanes communes des membres du Bureau politique de ce parti dans les arrondissements et localités de la province de l’Estuaire. Le prétexte est tout trouvé : célébrer ensemble et en famille le 45è anniversaire du PDG partout dans la province, avec pour mot d’ordre des attaques feutrées contre Paul Biyoghé Mba. Et Jacky apparaît à cette occasion comme le «grand apôtre» de la réconciliation des fils de l’Estuaire, alors que dans sa propre «maison», le 5è arrondissement qui va finir par brûler, il bannit des cadres, responsables et militants politiques.
Le PDG n’est jamais aussi fort que lorsqu’il s’attaque aux siens, à ses propres enfants, même si certains d’entre eux ont été élevés avec «des souris dans les sacs d’arachides». Avec quels cadres de l’Estuaire, Jean-François Ntoutoume Emane veut-il battre campagne pour Ali Bongo en 2016, s’il en écarte et veut «briser, faire ramper, réduire à néant» un grand nombre d’entre eux ? Homme politique pas aimé, mais craint car il aurait la rancune tenace, l’actuel maire de Libreville n’est pas de ceux qui ont laissé une marque dans l’histoire, si ce n’est que dans les curriculum vitae. Aujourd’hui, son bilan à la mairie est, comme cela se répète dans les couloirs de l’hôtel de ville, bien maigre, «peu épais» pour parler en bon français.
«Il faut que ça cesse»
Le quotidien L’Union vient encore, la semaine dernière, de souligner que la tenue de deux conférences à Libreville -le Sommet extraordinaire de la CEMAC et le New York Forum Africa- a permis de montrer les carences de l’équipe actuelle de l’Hôtel de Ville. Elle n’a pas réagi à l’insalubrité ambiante, et n’a pas -ne fût-ce que- pavoisé les principales artères de la ville. L’Union n’est pourtant pas connue pour avoir des sympathies pour l’opposition gabonaise.
Tout de même, cinq ans jour pour jour à la mairie, et seuls l’aménagement d’un carrefour et de trois-ronds-points et des jeux de lumière lors des fêtes de fin d’année sont à mettre au crédit de cet édile dont on pouvait attendre mieux. On peut même être surpris qu’il s’en gargarise, qu’il se contente de si peu. Aucune mairie d’arrondissement n’a subi de lifting, alors qu’un grand besoin s’y fait sentir. On en arrive à douter de son ambition pour sa ville natale. «En fait, tout le monde le sait, Jacky est venu ici consolider ses acquis matériels et donner de l’emploi à sa parentèle élargie», souligne un cadre de l’establishment municipal.
Celui-ci ajoute que des arrêtés de nomination sont signés chaque semaine ou tous les quinze jours, et malgré toutes les précautions et entourloupes qui les habillent, on reconnaît toujours sa volonté de placer des proches à des postes chaque fois plus élevés d’arrêté en arrêté, causant ainsi des frustrations chez les agents les plus anciens. On signale également des emplois fictifs : certaines personnes travaillant ailleurs sont payées ici ou reçoivent des rémunérations alors qu’elles n’exercent pas à la mairie. «Il faut que ça cesse !», souhaite le même cadre de l’establishment municipal. «On veut voir non pas des arrêtés portant nomination, mais des actions sur le terrain». «En plus il est essoufflé», il avait promis de faire la guerre contre les squatters du cimetière d’Ambowé, mais dès la première réaction de ceux-ci, il a remballé ses engins, raconte, avec une pointe de satire, un autre cadre de la mairie de Libreville. Les villas y poussent de plus belle. «C’est le symbole de son échec», pense un Conseiller municipal du 4è arrondissement.