Gifles et coups de pied au cul, insalubrité, non-respect des patients et de la déontologie médicale, lobbying et manipulation de l’opinion, le Dr Albert Schweitzer dont on vient de célébrer le centenaire de l’arrivée au Gabon, n’était pas le «le saint de la jungle», le «chirurgien héroïque» ou même «le plus grand homme du monde» que prétend la légende. Compilation des petits déboulonnages d’un mythe.
Alors que son prédécesseur, Omar Bongo, affichait son manque de sympathie pour le personnage d’Albert Schweitzer, l’actuel président du Gabon, Ali Bongo, à qui on faisait remarquer, à l’aéroport de Lambaréné, le caractère controversé du bon docteur Alsacien, s’est contenté d’indiquer que le moment était mal choisi pour aborder cet aspect des choses et que, la perfection n’étant pas de ce monde, il fallait plutôt se concentrer sur ce que le «Grand Blanc de Lambaréné» avait fait : «Voilà un homme qui a passé une grande partie de sa vie dans notre pays et qui nous a aidé, qui est venu travailler pour les populations. Ce n’est pas évident de quitter son continent, sa famille, pour venir en Afrique, en terre totalement inconnue. C’est de cela qu’il faut se rappeler, et de son œuvre qui a permis aussi, en sorte, de mettre le Gabon sur la carte : je me souviens lors des premiers voyages que je faisais notamment aux Etats-Unis, on ne connaissait pas le Gabon, mais on connaissait Lambaréné, on connaissait le Dr Schweitzer. Ce fut un grand homme. Pour nous, il a été quelqu’un qui a partagé la vie des Gabonais et qui est venu soigner des Gabonaises et des gabonais.»
Vieilles anecdotes de Lambaréné
Il n’en demeure pas moins qu’Albert Schweitzer n’était pas le saint homme ou l’humaniste qu’on présente et qui a été célébré au Gabon début-juillet 2013. Bien de vieillards instruits de Lambaréné n’en disent, en effet, pas grand bien. Des anecdotes ou peut-être de simples commérages au sujet du «bon docteur» ont traversé le temps, faisant état d’un Albert Schweitzer hautain, méprisant les autochtones, se servant d’eux comme cobayes et comme prétexte pour gagner l’aide internationale et obtenir, au finish, un Prix Nobel de la Paix. Un Nobel pour des choses que firent, ailleurs en Afrique, bien de médecins de brousse, de médecins religieux ou coloniaux. «Des Albert Schweitzer, il y en a eu tout plein au Cameroun. Surtout au Congo belge. C’est ce que me racontait mon père qui avait travaillé là-bas. Plein de blancs, surtout les prêtres, on construit des hôpitaux en brousse. Pourquoi on ne parle que d’Albert Schweitzer. Le Gabon-là vraiment…», fait remarquer un vieillard rencontré à Atongo-Wanga, un quartier de Lambaréné.
Transmis de bouche à oreille, les anecdotes Lambarénéennes sur Schweitzer ont conduit un fils de la localité, Séraphin Ndaot Rembogo, à la rédaction d’un ouvrage intitulé «Le procès d’un Prix Nobel, ou, le Médecin du fleuve» (Ed. La Pensée Universelle, 1983). Dans cette pièce de théâtre qui a inspiré «Le Grand Blanc de Lambaréné», le film du Camerounais Bassek Ba Khobio, Albert Schweitzer est devant un tribunal, jugé pour des exactions et autres dérives envers les autochtones-cobayes du Gabon. Il est insinué qu’il amputait des bras et des jambes à la moindre gangrène persistante, qu’il pratiquait à outrance le placébo sans se soucier des effets pervers, qu’il opérait des patients parfois sans anesthésie. Une scène du film «Le Grand Blanc de Lambaréné» montre à ce propos une opération d’extraction dentaire à la tenaille, à vif et dans les hurlements, le patient étant ensuite flanqué d’un seau d’eau pour ne pas tomber dans les pommes.
Témoignage première main d’un contemporain
Au-delà des anecdotes Lambarénéennes, on peut retenir le témoignage d’un autre médecin Européen de Lambaréné, contemporain de Schweitzer : le Dr André Audoynaud, Français, 83 ans aujourd’hui et jadis Médecin Colonel du Corps de Santé Colonial des Armées. Celui-ci a dirigé, pendant trois ans, l’hôpital public de Lambaréné et a fréquenté Schweitzer durant cette période. Cherchant à «comprendre pourquoi une telle nullité fit mise sur un piédestal», il a écrit, en 2006, un livre titré «Le docteur Schweitzer et son hôpital à Lambaréné : l’envers d’un mythe», (Ed. L’Harmattan). On peut notamment y lire : «Où finit la réalité et où commence la manipulation ? Une chose est certaine : on ne sait pas vraiment qui était le docteur Schweitzer et celui que je connu n’est pas celui que la légende nous demande d’imaginer.»
Pour le Dr André Audoynaud, il semble que les études de médecine entreprises, sur le tard, par Schweitzer étaient plutôt bâclées, rapides, dépourvues de stages pratiques, peut-être même sanctionnées par un diplôme de complaisance et débouchant évidemment sur des connaissances assez limitées. Ce qui a contribué à faire écrire au Dr Audoynaud que «Le Grand Blanc de Lambaréné» était un petit médecin : «En dépit de ses insuffisances, de ses erreurs médicales, il bénéficiera de l’adulation de beaucoup d’hommes et de femmes. Médecin fort moyen, ignorant totalement les notions d’hygiène et de prévention, peu soucieux des droits de ses malades, il fut pourtant l’objet d’un culte extraordinaire. Cette gloire, Schweitzer ne l’avait pas gagnée sur le front de Lambaréné. Il était allé la chercher en Amérique et en Europe. Ce n’était pas juste, il ne la méritait pas, mais elle eu pour résultat que le monde entier admira, sans s’étonner et sans chercher à comprendre, le docteur de Lambaréné».
Audoynaud indique que l’Hôpital Schweizer de Lambaréné était puant, infect, avec des baraques rouillées sans le moindre confort, sans la moindre hygiène, parce que le maître des lieux, le «bon docteur», était résolument réfractaire à toute modernité : «pas d’eau courante, pas d’électricité, pas de latrines, pas de literie décente, pas de moteurs pour les pirogues». Dans une critique du livre du Dr Audoynaud, on peut lire : «Vis-à-vis des Gabonais, c’est un patron méprisant, pire que paternaliste, à la limite raciste, qui n’a jamais offert à ses auxiliaires, même les plus dévoués, la moindre occasion de formation ni de perfectionnement et qui pratiquait à l’égard de tous des relations fréquemment marquées par les gifles et les coups de pied au cul» (sic).
Mais parmi les jaloux, ceux qui sont contre le succès d’Albert Schweitzer, préfabriqué par les protestants américains, il y a également ses propres parents. A l’instar de son célèbre neveu, le philosophe existentialiste français, Jean-Paul Sartre. Celui-ci, parlant de Schweitzer, avait dit à l’écrivain Jean Cau : «C’est le pire grand filou qui soit. Il a bâti à Lambaréné grâce au pognon de la mère Eléonore Roosevelt. […] Il lui a fait le coup du saint ermite qui joue de l’orgue sous les palmiers. […] Il fait trimer les Noirs et dans son hôpital à la gomme, trois ou quatre toubibs exilés qui ne pourraient pas travailler ailleurs et qu’il mène à la baguette.»
Il y a à dire sur la face cachée d’Albert Schweitzer. Toute une bibliographie existe à ce sujet. Vraisemblablement, son mythe a été construit et porté par les missionnaires américains unitariens, ceux-ci, également protestants libéraux, étaient en conflit larvé contre les Missions évangéliques de Paris pour l’évangélisation de l’Afrique noire. Ils disposaient surtout de puissantes ramifications dans le monde américain de la politique, du spectacle et de la religion et Schweitzer lui-même avait ses entrées en Suède et notamment des liens avec Nathan Söderblom, prélat et prix Nobel de la Paix en 1930. À 78 ans, en 1953, Albert Schweitzer obtiendra le Prix Nobel de la Paix. De quelle paix et par quel lobbying ?