Encore un texte récemment publié par l’hebdomadaire «La Loupe» et du même auteur, Guy Romain Madienguela, qui se présente comme un docteur en sociologie. Un peu dur tout de même, mais toujours aussi mordant, il est ici question de corruption, de mauvaise gestion des ressources humaines, d’exclusion, de vision erronée… Bref de bien de maux qui font de la promesse de l’émergence du Gabon un leurre.
Le Gabon a encore du plomb dans l’aile. Ali Bongo Ondimba a promis faire du Gabon un pays émergent à l’horizon 2025, ou tout au moins de construire les bases de l’émergence. A quelques 3 ans de l’échéance, les constats sont très amers et même très désespérants. Le pays continue de jouer parmi les derniers de la classe dans le classement du PNUD sur le développement humain. Le rapport 2013 classe le Gabon à la 106ème place. Que ce soit sur la qualité de l’éducation ou la construction du capital humain, de l’intégration sociale, de l’innovation technologique, de l’équité genre, des flux commerciaux internationaux, de la gestion durable de l’environnement, le Gabon n’a pas décollé. Ici c’est la République du 3D, la République virtuelle.
Autant dire que les indicateurs ne sont pas bons. Les données utilisées par ce rapport 2013 datent de 2012. Ce qui signifie qu’elles sont très actuelles. C’est donc clair, le pari d’Ali Bongo débouchera incontestablement sur un échec lamentable. Du reste, il n’y a que lui et son état-major politique qui peuvent penser qu’il est possible de sortir le Gabon du trou où ils l’avaient plongé après plusieurs décennies de politiques publiques incohérentes et à la limite aventuristes pour le hisser au rang des pays émergents. Ces politiques étatiques ont eu jusque-là pour principal mérite de faire émerger des hommes et des femmes outrancièrement riches, s’accaparant tout ce que l’Etat offre de secteurs porteurs et de marchés juteux. L’émergence des nouveaux riches a sans doute fait croire aux concepteurs du programme politique d’Ali Bongo Ondimba que la floraison de fonctionnaires leader d’opinions, des immeubles et propriétés privées acquis parfois sur le dos du contribuable pouvaient constituer les fondements d’une économie émergente.
Ils ne se sont même pas rendu compte que l’on ne construit pas une économie émergente avec ce taux hallucinant de corruption (une grande partie des plus riches sont soit issus de la légion étrangère soit, des opérateurs économiques du système), une éducation au rabais avec une école et une université publique abandonnées dans la massification au détriment de la qualité. Comment peut-on construire une économie émergente si les secteurs les plus porteurs comme les mines et le pétrole font l’objet d’une gestion des plus opaques et même des plus curieuses avec des faveurs inexplicables à des multinationales qui ont tous les pouvoirs et tous les droits ?
Comment bâtir une économie émergente quand les vrais entrepreneurs nationaux sont exclus des marchés publics (ou contraints de se contenter des parties congrues) au profit de nouveaux acteurs promus par les réseaux politico-mafieux qui ont pion sur rue ?
Comment bâtir une économie émergente quand la « minorité agissante » se livre à des pratiques concurrentes aux vrais acteurs du privé ?
Comment parvenir à construire les bases de l’émergence avec des écoles publiques en proie à un manque terrifiant de créativité cumulée avec une absence de vision politique à long terme ? Quel rôle joue les universités publiques et la formation et l’emploi des jeunes dans la construction des bases de l’émergence ?
Bref, avec un minimum de lucidité, l’on se rend vite à l’évidence que malgré tous les discours politiques et les promesses, le Gabon ne changera pas qualitativement avec la manière dont il est gouverné sous le régime d’Ali Bongo. Le mieux que l’on peut espérer du pouvoir actuel, c’est qu’il pose les bases d’un retour aux valeurs et des bonnes mœurs dans la gestion de la société et du bien public. Le plus grand bien que le président Ali Bongo peut encore faire pour son pays, du point de vue de la construction des bases de l’émergence, c’est de mettre fin à l’impunité des détournements de deniers publics par sa légion étrangère, à la patrimonialisation de l’Etat, aux règlements de comptes, au déni des autres au bonheur et à la destruction de nos universités publiques.
Si des signaux forts sont enregistrés dans ce sens, le président de la République aura moins de mal à déraciner le mal. Le Gabon lui sera au moins reconnaissant de l’avoir débarrassé des pratiques de certaines sangsues qui, à l’ombre de son système, dépensent leur énergie et leurs génies dans la recherche de tous les moyens d’enrichissements personnels. L’on pourra enfin penser à la construction du pays et non au pouvoir d’un individu, aux richesses et aux angoisses d’une poignée d’insatiables. L’on pourra alors penser enfin à poser les bases de l’émergence en permettant à ceux qui désirent mettre leur talent au service de leur pays de libérer leur génie créateur.
Car, l’un des problèmes majeurs de la gestion de ce pays, c’est que tout porte à croire que bien de ceux qui occupent des postes de responsabilité déploient leur génie soit pour plaire au président Ali et à sa légion étrangère, soit pour s’enrichir autant que possible. Parfois, ils font les deux. La construction du pays n’est jamais le premier de leur souci. Pourtant Dieu seul sait, combien d’hommes et de femmes de talent ont été enrôlés dans ce jeu déshonorant. Mais on ne va pas leur plaindre. Comme nous l’avons toujours écrit, chacun est maître ou prisonnier de ses choix.
Pour sûr, ceux qui ont préféré étouffer leurs talents au profit de la médiocrité, de la servitude et de la prédation assumeront tôt ou tard leur part de responsabilité devant l’histoire. En attendant, en lieu et place des bases de l’émergence, le Gabon est parmi les pays du monde où tout va mal. C’est cela la triste réalité !
Guy Romain Madienguela
Docteur en sociologie