«Considérer que l’œuvre de la génération précédente est «ringarde» et ne mérite que la démolition (et non la conservation) expose les auteurs de ces usages à un certain retour du bâton». Une phrase extraite du communiqué ci-après à travers lequel l’Ordre Gabonais des Architectes déplore la démolition de l’hôpital Jeanne Ebori.
Le Complexe Hospitalier Jeanne Ebori : un patrimoine architectural de plus voué à la destruction
Crée en juin 1985, la Fondation Jeanne Ebori, du nom de la mère du président Omar-Bongo Ondimba, est arrivée au crépuscule de sa vie. Situé à l’entrée du quartier Louis, l’imposant immeuble qui abrite cet hôpital de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) va être détruit.
Avant d’esquisser la réflexion sur la conservation du patrimoine, il faut préalablement rappeler que durant plus de 24 ans de nombreux gabonais (tous résidents confondus) sont nées dans cet hôpital et plusieurs personnes ont eu la vie sauve grâce aux soins médicaux de cette unité hospitalière qui fut jadis un fleuron de la médecine gabonaise.
En constatant le mutisme des élus locaux et nationaux, le manque de communication du ministère de la santé sur la question, nous déplorons que le sujet n’ait pas été débattu afin de convaincre l’opinion publique sur la nécessité ou pas de démolir cet ensemble hospitalier. C’est aussi cela le «vivre ensemble». Le citoyen devrait pouvoir se prononcer sur l’acquisition des équipements de son cadre de vie, leur maintien et leur destruction le cas échéant.
L’amiante pour justifier la démolition
Dès qu’on parle d’amiante, c’est la panique. Les gens ont en mémoire le scandale du Berlaimont à Bruxelles ou celui des travailleurs de la société Eternit. Pourtant, il faut préciser que l’amiante ne doit pas forcément déclencher la panique ou justifier une démolition automatique. Aucun danger d’ailleurs ne devrait être abordé avec frilosité.
A Liège, le principe de précaution est appliqué de manière absolue, même quand il n’y a pas de risque. Quand la présence d’amiante est détectée, on met sur pied des séances d’information pour les usagers et on appose des autocollants d’avertissement, avant d’entreprendre d’éventuels travaux. Ceux-ci doivent être confiés à des spécialistes. «Cet étiquetage sert ainsi à avertir le public mais est surtout utile aux ouvriers qui seraient amenés à effectuer des travaux de rénovation ou de démolition». Ils doivent alors suivre les instructions qu’imposent les précautions à prendre.
Dans le cas de l’Hôpital Jeanne Ebori, Les phases de préparation préalables comme l’étude ou le diagnostic d’état des lieux ont-elles été menées ? Si oui, pourquoi ne pas les avoir publiées? Que dit le rapport des solutions alternatives telles que la déconstruction ou la reconstruction des bâtiments?
Avant de prendre la décision de démolir cet ensemble hospitalier, n’avait-on pas là l’occasion de mettre en place un mécanisme de sensibilisation aux questions d’amiante dans les édifices d’un certain âge ?
Les élus locaux et nationaux des deux chambres se sont-ils prononcés ou se sont-ils concertés? Il ne faut pas perdre de vue que c’est avec l’argent du contribuable que toutes ces constructions sont censées être financées. Toute démolition est d’abord un «gâchis», une destruction de biens et ressources. Une réfection est une revalorisation (donc un gain) de ce qui est frappé de dépréciation par la vétusté.
Conservation du patrimoine
Le terme «patrimoine» englobe un large éventail de biens tangibles et intangibles : il peut s’agir d’une construction, par exemple une gare, une place ou une composante du milieu naturel comme un parc ou un jardin.
Sont également inclus, dans la définition, des biens non tangibles comme le folklore, les coutumes, le langage, les dialectes, les chansons et les légendes. Par «conservation» on entend la protection toute menace de destruction par un agent quelconque (qu’il soit environnemental ou humain). Une telle protection suppose aussi une meilleure compréhension du patrimoine et une plus grande sensibilisation à ce qu’il sous-entend.
Identifier pour Connaitre et Reconnaitre
L’identification du patrimoine, notamment architectural consiste à dresser un répertoire le plus exhaustif possible du bâti figurant sur les territoires gabonais (domaines on shore et étrangers). Déterminer leur valeur ainsi que leur degré d’intégrité et à contrario leur niveau de vétusté.
Ce qui est identifié doit ensuite faire l’objet d’une classification par significations et symboles. A ce titre on peut déplorer la disparition déjà effective ou à venir de plusieurs ouvrages qui faisaient les cartes postales du Gabon et de Libreville. On peut citer sans être exhaustif :
• L’hôtel Dowé,
• L’hôtel Dialogue,
• L’hôtel Rapontchombo
• Le complexe Jeanne Ebori.
Ces grands édifices ont marqué les images du Gabon en tant qu’excellents équipements urbains en leur temps. En termes d’impact architectural, on pourrait citer à leur suite, les immeubles suivants :
• Elf Gabon (abritant le musée national),
• Axa,
• Air Gabon International,
• Chambre de commerce,
• Rénovation.
Les propriétaires des bâtiments Elf Gabon et Axa ont su réhabiliter leurs ouvrages et les mettre aux goûts et exigences du moment. Ce qui démontre que la démolition systématique n’est pas toujours un impératif implacable.
Protéger pour pérenniser les acquis
Dans les sociétés modernes, la conservation du patrimoine occupe une place importante parce qu’elle traduit la solide volonté de préserver les liens tangibles avec les racines historiques. Elle permet ainsi d’assurer et renforcer le «sentiment d’appartenance» à une chaine de valeurs, de générations en générations.
© D.R.
L’intérêt envers la conservation du patrimoine s’est accru parallèlement à un engouement général pour la conservation : on admet dans l’ensemble que la société ne peut plus se permettre aucun gaspillage de quelques ressources que ce soient.
Le patrimoine architectural est une ressource léguée par les prédécesseurs. Il doit faire l’objet d’une gestion responsable au même titre que les richesses culturelles et naturelles, afin qu’on puisse transmettre à son tour un héritage intact aux futures générations. Cette gestion responsable couvre aussi bien l’aménagement des habitats urbains que ruraux et doivent faire l’objet de mesures visant à les rendre plus agréables pour les gens qui y vivent.
Considérer que l’œuvre de la génération précédente est «ringarde» et ne mérite que la démolition (et non la conservation) expose les auteurs de ces usages à un certain retour du bâton. A savoir, la prochaine génération trouvera aussi les ouvrages d’aujourd’hui «ringards» et les rasera sans ménagement aucun.
Une génération rase le travail, la production et la créativité de la génération qui l’a précédé. Est-ce la mentalité et la moralité que les forces vives d’aujourd’hui veulent inculquer à leurs descendants ?
En effet, s’il n’y a pas de liens respectueux et de considération entre générations, l’engrenage est implacable : les musiques, les vêtements, les danses, usages des anciens sont systématiquement considérés comme dépassés et voués aux oubliettes. Comme il n’y a pas de placards pour ranger les constructions «ringardes», soit on les réhabilite, ou on les rase.
Quand on dépèce le coq, le canard voit.
Ordre Gabonais des Architectes