La candidature de Jean Eyéghé Ndong à l’hôtel de ville de la capitale gabonaise, annoncée le 23 août, alimente la chronique, d’autant plus qu’il n’a pas confirmé son entrevue avec Ali Bongo, annoncée par le Cocom. Ce qui n’est pas sans rappeler Paul Mba Abessole en 1996. Sur quoi peut donc compter l’homme fort de Nkembo ? Les contours.
L’annonce par Jean Eyéghé Ndong de sa candidature à la mairie de Libreville a suscité bien d’interrogations de la part des commentateurs, analystes et observateurs de la scène politique gabonaise. Au titre de ces interrogations, il y a que, dans le contexte actuel marqué par une arène politique monocolore et par une désaffection, visible, des populations à l’égard de la chose politique, Jean Eyéghé Ndong est-il sûr de l’emporter ? Dans l’affirmative, sur quels paramètres ou quelles alliances solides compte-t-il ?
On conviendra qu’au Gabon, avec des élections qui ressemblent bien souvent à des nominations, on n’est pas loin des surprises, vu qu’il s’agit bien souvent d’un simple casting des acteurs politiques. Les critères, pour le moins absurdes, étant de la seule discrétion du détenteur du bâton de commandement du pays. On se souvient, en effet, de ce qu’en 1996, un fait littéralement inédit avait été observé au Gabon : l’électorat librevillois, qui avait confié la quasi-totalité des sièges de député au Parti démocratique gabonais (PDG), avait refourgué, deux semaines plus tard, la quasi-totalité des sièges de conseillers municipaux au Rassemblement national des bûcherons (RNB). Ce qui avait surpris tout le monde, laissant croire puis laissant s’installer l’idée que l’arrivée à la tête de l’hôtel de ville de la capitale gabonaise procède toujours d’une négociation ou d’un arrangement avec le pouvoir.
Le revirement spectaculaire du résultat des urnes, en 1996, laissait en effet penser que Paul Mba Abessole, alors leader de l’opposition, avait négocié en secret avec Omar Bongo. Ce que confirmait, par la suite, l’évolution de la rhétorique de l’opposant d’alors : il en viendra à parler de convivialité et, au terme de son mandat municipal, l’affaire se conclura par son entrée au gouvernement.
On ne saurait affirmer que Jean Eyéghé Ndong n’est pas instruit de ces précédents. Ce qui amène à deux hypothèses sur l’option du dernier Premier ministre d’Omar Bongo. La première : si Eyéghé Ndong s’engage dans la course pour la mairie de Libreville et qu’il venait à se casser la figure, son statut d’homme fort à Libreville, et même sa stature vis-à-vis de ses pairs au sein de l’Union nationale, en serait absolument écorné sinon abîmée. L’homme pourrait ne plus jamais s’en remettre. Second cas de figure : s’il l’emporte, l’interprétation inéluctable sera qu’il aura gagné avec la bénédiction du pouvoir, d’autant plus que jusqu’ici il n’a pas laissé entrevoir sous quelle bannière il allait monter au front.
À ce sujet, Eyéghé Ndong ne pourrait d’ailleurs aller aux élections sous la bannière de l’UN, cette formation politique étant dissoute. Va-t-il y aller sous la bannière de l’UFA ? Une possibilité qui n’a pas été affirmée, même si ce conglomérat de partis de l’opposition a appelé ses militants à s’inscrire en masse sur les listes électorales. S’il y va en indépendant, est-il sûr de constituer des listes fortes à présenter dans les six arrondissements de Libreville, et donc de recueillir près de 80 conseillers pouvant ensuite lui permettre d’être porté à l’hôtel de ville ? Autant de questions que se posent les gens.
Nombreux pensent que Jean Eyéghé Ndong jouit d’une crédibilité certaine et qu’il pourrait compter sur certains appuis. Notamment de Jacques Adiahenot, dissident du PDG et ancien élu du 4e arrondissement de Libreville, connu pour avoir un franc-parler proche de celui du candidat annoncé à la mairie de Libreville, ou encore de Jean Félix Ayo Adibet, ancien maire adjoint du 5e arrondissement de la capitale, mais peut-être aussi d’Alexandre Barro Chambrier qui a affiché son refus d’un autre mandat de Jean-François Ntoutoume Emane, l’actuel maire de Libreville. Eyéghé Ndong pourrait aussi compter sur le Dr Marcel Eloi Rahandi Chambrier, père d’Alexandre, qui fait montre d’un certain désaveu de l’émergence à la gabonaise.
Au-delà de ces simples supputations, les commentateurs pensent que Jean Eyéghé Ndong est fort d’un arrangement avec le pouvoir, surtout que le Comité de communication de la Présidence de la République (Cocom) a publié, le 23 août 2013, un communiqué laconique indiquant que «Le Président de la République a reçu hier en audience Monsieur Jean Eyéghé Ndong, ancien Premier Ministre du Gabon, dans le cadre des consultations républicaines régulières entamées avec la classe politique nationale depuis 2009.» Pas plus, ni moins.
On n’oubliera cependant pas qu’en 2009 à l’occasion des obsèques officielles d’Omar Bongo, Jean Eyéghé Ndong avait prononcé une oraison funèbre, aux relents prémonitoires et pour le moins offensive envers Ali Bongo. Il reprenait alors l’histoire biblique de Roboam, successeur de Salomon, qui, à sa prise de pouvoir, était allé consulter les vieillards. Malgré que ceux-ci lui conseillaient d’être bon, Roboam avait déclaré, suivant le conseil des jeunes avec qui il avait grandi : «Mon petit doigt est plus gros que les reins de mon père. Maintenant, mon père vous a chargé d’un joug pesant et moi je vous le rendrai plus pesant, mon père vous a châtié avec des fouets, et moi je vous châtierai avec des scorpions. «C’est ainsi qu’Israël se détacha de la maison de David» », avait conclu Jean Eyéghé Ndong. Mémorable.
Que se sont donc dit Ali Bongo et l’ancien Premier ministre, le 23 août dernier ? Rien n’en a encore filtré et toutes les hypothèses sont permises, surtout que lors de sa conférence de presse ce même vendredi 23 août, Eyéghé Ndong n’en a pas du tout fait cas. Il est donc fondé de demander à Eyéghé Ndong de clarifier sa position.
De toute manière, Eyéghé Ndong sait qu’il joue gros dans cette histoire, aussi bien sa crédibilité que sa réputation d’opposant radical au pouvoir d’Ali Bongo. On n’oubliera pas, en effet, qu’alors qu’il était porte-parole de la Coalition des partis politiques pour l’alternance (CPPA), il était allé jusqu’à parler de dégoût, au sujet de l’actuel régime. Autant de faits qui sèment le trouble sinon l’incompréhension auprès de ses militants ou suiveurs.
Eyéghé Ndong annonce surtout qu’il est candidat au poste de maire de Libreville et donc qu’il vise le fauteuil encore occupé par Jean-François Ntoutoume Emane. Un fait tout de même inédit au Gabon, où la bataille pour la mairie centrale vient toujours après celle des mairies d’arrondissements. «C’est la première fois que quelqu’un se déclare directement candidat à l’hôtel de ville», a lâché un ancien ministre à la retraite autochtone de Libreville, avant de conclure : «Eyéghé Ndong doit certainement savoir ce qu’il fait».