Recrutés à travers l’Afrique dans le but de travailler pour les entreprises Mbadou, il y a plus de trente ans, sept familles se retrouvent aujourd’hui dans la rue, leurs affaires à même le bitume. Le crime : avoir occupé par décision de justice des appartements de leur ancien employeur ayant fait faillite en attente du payement de leurs arriérés de salaire. Délogés manu militari dans l’après-midi du jeudi 5 septembre 2013, par les bérets rouges sous l’impulsion et en présence de la plaignante, Mme Marie Joséphine Kama Dabany (alias Patience Dabany), c’est près d’une cinquantaine d’individus qui, médusés par une telle intervention, crient à l’« injustice ».
En bref. Les entreprises Edouard Mbadou ayant fait faillite en 1990, la société, par deux décisions de justice datées du 25 février 1993 et du 22 avril 1993, était sommée de payer aux 94 anciens employés leurs droits dont le montant total était évalué à 251 570 737 francs CFA. Faute de quoi, stipulait alors le «Commandement à Payer» établi par Me Edo Ernest Gervais (Huissier de Justice), la veuve Mbadou née Andjouono serait « contrainte par toutes voies de droits, notamment, par la saisie de [ses] avoirs, biens, meubles et immeubles ». Ce qui, finalement, avait été arrangé entre les anciens employés et la veuve.
Or, vingt ans après, les immeubles sis au quartier Derrière la prison, occupés par les sept familles, s’étaient révélés appartenir désormais à Mme Marie Joséphine Kama Dabany, sans que les plaignants aient été informés de la succession, à en croire Matimona Lubaki, porte-parole des anciens employés.
Pour l’ancien chef d’atelier des entreprises Mbadou, « les nouveaux propriétaires des locaux ne jouent pas franc-jeu. Quand en 2006 M. Mbadou décède sans nous avoir payé nos droits, on ne savait pas à qui s’adresser pour sa succession. Ce n’est qu’en 2010 que nous avons pris connaissance des mandataires qui deviennent les véritables successeurs de notre ancien patron, et le nom de Mme Kama Dabany avait alors été évoqué sans réelle assurance. Mais nous lui avons tout de même fait part des décisions de justice de 1993, ce à quoi elle n’a pas donné de réponse. Deux semaines après elle vient nous menacer et fermer les maisons. Nous sommes désormais sans abri. Où allons-nous dormir ? Où irons-nous ? »
Joint par Gabonreview, Me Noel M’Voubou (Huissier de Justice), représentant les familles, a quant à lui indiqué : « Il y a comme un deux poids deux mesures. Lorsqu’on assure la succession d’une affaire, on est aussi bien responsable de l’actif que du passif. Mme Kama Dabany ne veut pas se soumettre aux jugements qui datent de 20 ans et qui exigent d’elle qu’elle paie les arriérés de salaires échus aux anciens employés de la société dont elle aurait hérité, mais les met à la porte manu militari. Ceci, en ne tenant pas compte du délai contenu dans la signification d’ordonnance que j’ai reçu il y a seulement deux semaines. Nous sommes dans un pays de droits me semble-t-il. »
Effet, le 19 août 2013 dernier, les occupants des deux immeubles avaient reçu une « Signification d’ordonnance de référé et commandement de quitter les lieux », à la requête de Mme Kama Dabany, qui leur accordait un délai de trois mois pour libérer les appartements à leur propriétaire. Mais seize jours seulement après, les familles ont été délogées sans heurts, par les bérets rouges, en présence de Mme Kama Dabany qui a tenu à effectuer le déplacement.
« Le document qui nous a été transmis signifiait pourtant noir sur blanc qu’on avait trois mois pour nous préparer à partir d’ici. Maintenant que ferons-nous ? Devons-nous dormir à la belle étoile quand on sait que les entreprises Mbadou nous doivent toujours notre argent ? La loi est faite pour tout le monde. Bien que nous ne soyons pas des Gabonais, nous méritons nous aussi d’être protégés par la loi. Nous ne sommes pas venus au Gabon en aventure. C’est M. Edouard Mbadou qui nous a fait venir et nous réclamons nos droits. Nous ne sommes pas des squatters. Les appartements nous revenaient de droit par décisions de justice », s’est insurgé Matimona Lubaki.
Cette affaire qui, une fois de plus vient ternir l’image de la justice au Gabon, et notamment la réputation de certains individus qui se croient au-dessus des lois, interroge sur le véritable usage que des Gabonais, sous prétexte d’une sacrosainte liaison avec le pouvoir, font des forces de sécurité et de défense dont la mission devrait être cantonnée à la seule protection de la chose publique. « Faire intervenir des bérets rouges pour faire appliquer une décision de justice, qui plus est, une histoire de particuliers, c’est grave ! On se croirait devant une intervention de militaires en vue de déloger des terroristes », a lancé un badaud ahuri, avant d’être repris par un des chefs de famille désœuvrée : « Nous sommes dans un cas de violation flagrante des lois et règlements. Nous ne sommes pas des assassins. On veut juste être traités comme des gens honnêtes que nous sommes. » Gageons que la justice tire son épingle du jeu dans cette affaire et qu’on y voir un peu plus clair.